amazed

J’ai hérité de la dernière réplique, ultime écho d’une pièce qui se dénoue sous mes mots. On m’a confié le rôle qui nécessite que je  dissimule mes mèches sous une casquette usée, étoffe modeste qui jure avec ma physionomie. Pourtant, je l’apprivoise, ce couvre-chef, comme une vieille compagne fidèle. Il m’amuse, même, de peaufiner des rôles que l’on réserverait à d'autres, que certains jugeraient plus aptes que moi. Mais voilà, j’ai appris le texte la semaine dernière, l’ai répété sans relâche sur les chemins jusqu’à ce qu’il devienne une part de moi-même. Aujourd’hui, en pleine répétition, la tirade est déjà gravée — ma mélodie intime. Je suis une machine de théâtre, créature de la scène, et il y a une douce satisfaction à voir, du coin de l’œil, le souffleur bailler, désœuvré, à chacun de mes passages.
La fin de la répétition retentit dans une clameur, les applaudissements éclatent, et les comédiens se dispersent, chacun regagnant ses occupations. Mais toi, je t’ai aperçu dans l’ombre du public. Alors, au lieu de retourner dans l’obscurité des coulisses, je franchis d’un bond la scène pour te rejoindre, là, entre les rangées silencieuses.

C’est gentil d’être passé. D'un geste léger, je me défais de cette casquette, laisse mes boucles dorées se libérer, cascade soyeuse qui retombe sur mes épaules, sur mon dos. Je redeviens Paris. D’un mouvement, je pose une main sur ma hanche, te lance un sourire complice, accompagné d’un signe de tête, une invitation secrète. Encore félicitations pour ton nouveau rôle, dis-je, la voix douce mais enjouée. Tu as eu l'occasion de parler avec les autres ? Je parle bien sûr de Robin, Sohan, Lucien, Luke, Tess… Tu le devines sans doute.
Derrière moi, la scène, peu à peu, se vide, l'effervescence des répétitions s'éteint comme un feu en déclin. Mais toi, tu restes, et pour moi, tu deviens alors le cœur de mon nouveau spectacle.