amazed

Il les a arrachées à la serre -- évidemment, sans autorisation préalable.
Tandis que les caméras ont peut-être enregistré son passage dans les ornières, le voilà qui arbore le bouquet dans une main.

Certaines tiges sont déjà fanées et un peu de lys a perdu de sa blancheur.
Loup ne connaît aucune signification particulière à ces fantaisies, seulement qu'elles vont bien à Max. Les belles choses s'attirent entre elles, après tout.

Il n'est plus si bien coiffé, si bien vêtu. Une veste de sport recouvre son débardeur et un pantalon arrive jusqu'à ses malléoles. Ses basques, qui devaient être neuves, se retrouvent avec un peu de terre incrustée à la semelle, cette ligne qu'il faut toujours gratter à l'éponge.

La chambre de Max n'a pas changé, contrairement à la sienne.
Il frappe avec le poing gauche fermé.

- Max ?

La colle du silence rend sa voix un peu pâteuse et âpre.
Les fils de ses cordes vocales se délient en même temps que la parole s'ouvre.

Il y a donc ailleurs que sur le terrain que de telles compétences peuvent être requises.

La force, l'endurance, l'agilité,
mais pas seulement.
Il faut aussi une délicatesse toute particulière à ne jamais fêler la porcelaine, et là est la chose la plus difficile.

La douceur.

C'est ce qu'a utilisé Max pour emballer les cadeaux d'anniversaire. Ce qu'elle a mis dans ses doigts pour le coiffer le soir de la fête. Ce qui a versé à la nuque de Loup quand elle est venue absorber ses tourments.

Max a déjà cette habilité naturelle à glisser l'amour dans ses gestes. Elle le transmet à Loup quand, à nouveau, ses courbes ondulent sous la liesse.
Et c'est étonnement bon de ne pas détruire. De ne pas hurler à la mort. De ne pas gronder de tonnerre. Seulement expirer un plaisir à deux. Loup apprend qu'on peut faire du carnage le plus beau des partages.

Il se meut jusqu'aux crins longs et blonds, des rivières dorées dont il reconnaît le parfum et le savon qui y a frotté.
Auparavant, il ne prenait pas Max dans ses bras car trop occupé à mémoriser ses moindres détails.
Et à présent que le marbre a coulé dans ses mains, Loup s'y love, un ronronnement subtil et étouffé sous la langue tandis que ses boucles se confondent à l'incarnat de la joue contre laquelle il se presse.

- J'ai envie qu'on reste comme ça.

Pour toujours.

- Max, je t'aime.

Pour toujours.

- Je veux qu'on court ensemble.

Bientôt.

La mer ne sera plus très loin.
La mer ne sera plus jamais conjuguée à un peut-être ;
elle sera là, sous leurs yeux.

- Dis...

Ses doigts, enchâssés à ceux de Max, jouent avec les ombres et les lumières qui traversent à travers le carreau.
Un peu de jour colore le sourire qui borde ses commissures.

- Dans l'eau. On fera ?

Max, tout à coup,
redevient le vent.

Elle s'échappe de l'édredon, des plumes aplaties et mal rembourrées. Elle se recouvre, fait disparaître le cadeau et sa chaleur. Elle redevient humaine -- et c'est donc ça, la froideur bipède. C'est celle qui se pare de murailles en tissus, qui se délient avec tellement de difficulté. Loup a essayé d'être comme eux.

Loup regarde Max faire avec des yeux un peu ronds, un peu abasourdis. Son sourire se dilue sur ses lèvres, jusqu'à fondre avec la sueur qui reste.
Max agit comme si tout cela était une erreur, une rature sur leurs dessins. Est-ce qu'il va falloir l'effacer ?

- Max ? Je peux pas te tuer.

Sauf si tu me demandais.

- Pourquoi ? C'est pas bien ?

Lui n'a pas le droit d'en parler, mais Max, elle, va le faire ?

Sa nuque plie de côté, et c'est toutes ses mèches qui chavirent avec le cœur.

- Tu t'en vas ?

À son tour il déplie la couverture pour laisser dépasser ses jambes. Loup est nu et ça ne change rien, il se lève pour arriver à hauteur de Max. Il la surplombe toujours, couchés, comme debout.
D'instinct, il entoure les hanches de Max.
Elle n'a pas répondu quand il lui a dit qu'il l'aimait.
Peut-être que c'est aussi ça, redevenir humain.
C'est ne jamais dire ce qu'on pense vraiment.

- Encore un câlin...

Avant qu'elle ne s'en aille.
Il fait pleuvoir le bout de sa truffe dans la fosse sacrée, y dépose une dernière preuve de son passage. Celle-là ne laissera aucune trace, la coureuse n'a pas à s'inquiéter.

- Je dirai rien.

Si elle en doutait.

- D'accord.

Max, quand elle parle beaucoup, c'est d'habitude avec la gaieté qui presse son cœur et soulève ses épaules d'allégresse.
Max, qui parle beaucoup, donne à Loup l'impression que quelque chose ne va pas comme il le faudrait. Loup ne sait dire quoi. Il ne sait même dire. C'est peut-être un aspect des tourments de l'être humain qu'il n'atteindra jamais.

Ses doigts laissent partir à contrecœur ceux de Max, il y a un peu de cet étau d'attachement qui tire jusqu'à la pulpe des phalanges, avant que ceux-ci ne s'éloignent définitivement. Loup, dont la chaleur n'a toujours pas quitté ni les muscles ni la chair, en dépit de la nudité, réfléchit à la proposition de Max.

- On dessine quoi ?

Loup n'a jamais été très studieux mais le dessin n'aurait pas été sa première envie suite au ballet qu'ils viennent de mener. C'est d'ailleurs étrange, comme façon de transitionner vers autre chose. Mais après tout, c'est bien leur première fois à tous les deux.

- Je sais.

Il ne s'habille pas -- pas tout de suite, trop précipité à grapiller une ramette qu'il étale au sol avec une pluie de crayons de couleur. Loup dessine toujours systématiquement à terre, il se couche sur le ventre. La froideur du carrelage ne semble lui faire ni chaud ni froid et le recouvre au moins d'une face.

Alors son poignet s'active, rouge en main, à racler contre la feuille avec une énergie nouvelle.
Quoique dise Max sur son allure de sauvage allongé n'importe comment, Loup illustre ses émotions des dernières heures.

Max est derrière Loup, assise sur le lit. Malgré sa compagnie, malgré le fait qu'ils soient deux dans cette pièce si étroite, sa solitude est intense, immense et dérangeante.
Ses muscles se froissent et s'étirent lorsqu'il colore la feuille avec hargne. Il n'a pas froid, la carne gravée contre le sol ? Elle, toute sa silhouette tremble et vacille presque, alors qu'ici, il n'y a ni bourrasque ni vague.
Il n'y a qu'eux et pourtant - Max a l'impression d'être seule.
Ici, il n'y a qu'une désolation brutale qui placarde chacune des pensées qu'elle essaie d'ériger adroitement. Elles tombent comme un château de cartes.

Je sais pas.

Mais lui sait. Alors Max finit par venir à ses côtés, le menton enfoncé dans son avant-bras et elle laisse sa grippe se fermer sur un feutre bleu - elle allonge la couleur en long et en travers.
C'est une mer vaste où il est facile de dériver - il n'y a pas d'horizon et pas d'île, pas de poisson ni de soleil.
Max jette de temps en temps son regard contre Loup.  

Si t'appuies trop tu vas casser la mine..