amazed

occupé à regarder le temps passer à défaut de pouvoir lui tordre le cou moi-même je n'avais pas remarqué qu'il faisait déjà nuit.
on m'appelle je me lève trop vite la pièce tourne un peu. j'ouvre la porte. kafka est là, sans surprise - on reste debout comme ça tous les deux à se regarder un moment pendant que le silence se glisse sous mes côtes. j'ai remarqué qu'il n'attendait jamais et qu'il lui suffisait d'une ou deux secondes pour me tourmenter.
je fronce les sourcils ou je souris. ouais ouais rentre. je tourne en rond. j'indique le matelas d'un geste vague. pas par terre kafka ! je te l'ai déjà dit mais t'écoutes pas. toujours à t'excuser... détends-toi, par pitié, je dors jamais à c't'heure là.

je m'assois en tailleur en face de lui. je pose mes mains sur ses épaules et par là je le tiens. sous mes doigts je sens ses omoplates qui ressortent en croissants de lune un peu comme les miennes. cette observation me réconforte étrangement, je n'ai pas l'impression qu'on se ressemble. allez, pas de manières entre nous, je te l'ai déjà dit mais t'écoutes pas. pas d'ça ici. même assis il me dépasse d'une tête et je ne sais pas trop ce que j'en pense. de l'envie probablement ou autre chose qui y ressemble ou rien du tout. il fait sombre, sous l'ampoule jaune de mon plafond kafka a l'air malade ou fatigué ou juste fidèle à lui-même. son teint me fascine autant qu'au premier jour.
je me penche plutôt je lève le menton vers lui, je veux lui imposer ce face-à-face et peut-être que si je suis assez proche il n'aura plus peur de tout me dire. est-ce que des confessions me suffiraient ? il faudrait que je soies le seul qui en profite pour en apprécier la valeur ? crache le morceau mon chou. dis à dani ce qui te tracasse. à moi j'espère qu'il se révèle absolument.

(cw langage un peu cru, mention de sexe)
il faut le suivre, kafka, et j'avoue que parfois j'y arrive pas. je me sais difficile aussi comme lui alors je laisse faire. il balbutie. il cherche ses mots. il refuse de me regarder mais moi je l'observe attentivement j'étudie chaque petite mimique sur son visage tout pâle.

trop gênant ? je hausse les sourcils. forcément ça m'intrigue. plus que ça même, ça m'intéresse. gênant, ça me parle.
vas-y, balance pour voir. teste-moi. je ne pense pas qu'il puisse me gêner ou plutôt je ne me pense pas capable de ressentir la gêne. promis j'me moque pas. j'oserais pas... c'est faux, j'ai déjà osé. mais il faut me croire, je ne mens pas cette fois.
et je le tiens par les épaules comme ça pour qu'il se confie. hector, oui, j'vois, un type bizarre, plus âgé. j'écoute kafka sans le lâcher je refuse d'en perdre une miette. je veux les détails tous les détails j'en suis avide sans ces détails l'histoire n'a pas de saveur.

que vous pourrez plus quoi ? je demande, il t'a mordu ? c'est-à-dire ? où ? je demande encore, parce qu'en fonction de l'endroit ça ne veut pas du tout dire la même chose et ça même kafka devrait le savoir, vous vous êtes pécho ? t'as quoi ? finis tes phrases par pitié. t'as joui ? c'est ça ? je fronce les sourcils, c'était quoi ? c'était quoi ??? il est chelou ce mec non ? on comprend rien à c'qu'il dit... et j'comprends pas trop c'que tu dis non plus. tu l'aimes bien ? ou pas ? avec une précaution dont je n'ai pas trop l'habitude je libère ses épaules. je pose une main sur sa tête. j'me moque pas. vous avez baisé ? ou même pas ? c'était la première fois ? pourquoi tu trouves ça gênant ? c'est pas gênant. pas pour moi. relax.

il faut le suivre, kafka, et j'avoue que parfois j'y arrive pas. je me sais difficile aussi comme lui alors je laisse faire. il balbutie, il cherche ses mots, j'attends. il refuse de me regarder mais moi je l'observe attentivement insistant et intrusif attentif à chaque semblant de révélation. la faim moi aussi je la connais. et là j'ai soif de tout savoir, chaque détail est une couleur de plus au tableau érotique ou horrifique que je peins sur les murs de mon crâne. après avoir écouté kafka, je décide que je n'aime pas hector. il est pas clair ce type.

j'vais te dire la vérité j'crois que j'sais pas comment ça doit se passer, ça se passe et puis c'est tout, et souvent c'est bizarre et quand j'y repense j'ai un arrière goût de sang sous la langue. et ça, est-ce que c'est normal ? j'y vais au feeling perso, quand quelqu'un me plait j'le sais, enfin j'le sens. je le regarde. pas toi ? j'encercle son visage de mes mains et ses joues sont un peu froides contre mes paumes. sans le dire je lui demande : et là ? tu sens quoi ?

moi j'te trouve pas dégoûtant... mais tout le monde sait que je ne suis la référence de personne si ce n'est la mienne, moi ce que personne ne veut toucher m'aiguise l'appétit. je hausse les épaules. ok. et quand t'as faim de quelqu'un, tu te sens comment ? tu le sens où ? je le lâche et je me penche en arrière sur mon matelas. moi j'le sens là, je pointe ma ceinture du doigt. et là, je lui touche la tempe, comme si mon coeur battait dans ma tête. tu captes ? puis je pose ma paume à plat sur son torse. et là. je le scrute. et ça t'fait quoi, de savoir que les rôles peuvent être inversés ? ça t'fait quoi de te dire qu'on peut te goûter, toi aussi ? moi je sais ce que ça me fait et je ne sais pas m'en passer.

askhat ? ah ouais... je vois qui c'est, je crois. j'ai toujours trouvé qu'il regardait mal mais je saurais pas l'expliquer. en y réfléchissant deux secondes, ça m'étonne peu que kafka jette son dévolu sur lui. ça m'amuse, aussi. tu lui as dit ? je me demande si kafka a déjà confié son amour à quelqu'un d'autre que moi. je suis loin de me faire des illusions simplement le fait d'être détenteur d'un petit secret me procurerait un plaisir incorrigible.
ma paume se détache du torse de kafka. je garde la main levée, doigts dépliés comme si j'allais prêter serment. peur ? je souris. je crois que je comprends. ça prend aux tripes ça retourne l'estomac le foie les poumons et le coeur et moi j'aime ça. moi je crains pas la peur, je l'adore je la convoite et je m'en moque tant que je me submerge dans la recherche de l'autre et si je m'égratigne au passage c'est tant mieux. c'est normal d'avoir peur, t'as pas trop d'expérience, non j'en sais rien je dis ça comme ça. moi mes premières fois sont passées depuis longtemps et même sur le moment elles n'ont pas eu l'air nouvelles. j'ai déjà presque tout goûté, presque tout donné et je n'ai pas vingt ans.

en voilà une question ! une bonne question, oui bien sûr. je suis pas certain de savoir qui j'aime pour de vrai. mais je comprends que kafka parle de faim et la faim ça me connaît. ouais... y en a. je pense à love qui me visite parfois la nuit quand toutes les lumières des sous-sols sont éteintes. je pense à max à qui j'offre des fleurs en vain. je pense à elys dont le visage toujours réinventé m'apparait en rêve. et à d'autres avec lesquels j'ai déjà dansé et d'autres encore sans prénom ou sans visage. tu t'poses trop d'questions. j'essaie pas d'être méchant. on s'en fout que ce soit bien ou pas. moi j'm'en fous. et qui décide ? pas le père suprême ou les parents, ça c'est sûr. t'as quel âge ? j'te rappelle que si on gobe leurs conneries, dans dix ans tu disparais. j'sais pas moi j'veux toucher à tout. tu devrais pas t'poser toutes ces questions kafka sinon tu vas pas profiter d'ta vie. si j'me trompe pas c'est pas en baisant, tant pis si mon choix de mot le bouscule, que tu vas perdre une étoile.
je bascule en arrière et me laisse tomber sur mon matelas. mes yeux trouvent une tâche de moisissure dans un coin du plafond. et de toute façon, t'es comme moi. t'as plus rien à perdre.

non kafka, je suis pas courageux, il n'est pas question de courage je te jure, ce que tu comprends pas c'est que j'ai pas fait exprès d'être moi-même, j'ai pas décidé de m'en foutre, c'est juste arrivé. je suis comme toi au fond, je ne peux rien face à ma nature. c'est peut-être pour ça que je t'aime autant. j'ai l'impression de te comprendre.
et ? c'est pas grave, tout le monde a peur.
et je suis censé l'éclaircir sur des questions dont j'ai moi-même jamais trouvé la réponse, je suis censé lui peindre un tableau facile et simple et uniforme sans relief sans couleurs de ce qui est brouillon désordonné sale brûlant grouillant et d'autres. je suis pas sûr de me faire confiance.

je dis : c'est bien, oui.... j'peux pas vivre sans perso, je sais que je  risque pas de mourir d'un manque d'amour, pas pour de vrai - d'un manque de chaleur humaine, peut-être, alors je fais celui qui sait tout.

j'te jure c'pas compliqué, que je commence, et je me penche vers kafka. je lui sers le sourire que je réserve aux tentatives les plus audacieuses, je passe une main sur son front pour en dégager les mèches blondes. simple comme ça. tu te rapproches... je donne l'exemple. je m'arrête quand nos nez se touchent. kafka connait déjà cette partie-là. et là bon ça dépend des cas... si l'autre a les yeux en coeur, s'il a faim quoi, vous vous embrassez et après ça va tout seul, j'te jure. tu vois bien. sinon si t'es pas sûr... t'es sympa, poli, tu demandes avant. tu captes ? et si t'es trop coincé pour demander... je pose une main sur son épaule. mes doigts s'enfoncent légèrement dans sa peau, descendent le long de son bras, pianotent contre son poignet. tu t'fais comprendre. pas compliqué, promis. facile. pour moi ça l'est ; j'ai l'habitude de la scène et des performances. j'énonce donc des évidences.

je m'arrête là, c'est la fin de ma démonstration. je lâche un soupir. faut juste essayer, y a pas d'secret... je me rends compte en le disant que peut-être, peut-être je ne peux pas aider kafka.