amazed

La matinée touche à sa fin dans cette logique où Phil ne devrait plus tarder si elle souhaite passer à l’heure pour le déjeuner et pouvoir manger convenablement. Elle ne veut pas importuner d’autres blocards en demandant sa portion en retard ni accepter de ne pas se nourrir ce midi. Quelques missions lui restent encore sur les bras, l’utilisation de son pouvoir est une solution logique, ainsi deux tâches peuvent s’effectuer en simultanés. Les champignons prennent leurs petites jambes tandis que Phil s’attarde à remettre de l’engrais dans le potager.

Le sac et les outils sont ramenés à la réserve ne la laissant qu’à la réception des cèpes. Il y a quelque chose de purement amusant pour elle à les regarder, c’est un des rares réceptacles de son pouvoir dont les extensions semblent invisibles par leur taille, rendant la scène plus comique que dégoûtante, du moins, quand elle n’y regarde pas de trop près. Pourtant il y a un problème évident dans cette file indienne au rythme doucement mécanique. Un trou qui n’a pas été corrigé, qui n’aurait pas lieu d’être, une erreur et elle le sait, ne vient pas d’elle.

Qu’est-ce que tu fais la. Le coupable est déjà identifié, c’est forcément lui, ça ne peut être que lui, encore accroupi, si petit, si insignifiant mais son estomac se retourne déjà de l’idée de la scène (elle ne doit pas exister). Qu’est ce que tu as fait Kafka. Kafka, Kafka, dis moi ce que tu viens de faire, dis le moi de suite. Son ton s'empresse, ses mains se pressent sur ses tempes, elle ne peut pas pleurer mais le veut déjà, pourquoi le champignon n’est pas là, pas dans sa main, il ne peut pas être parti ses lui. Sa voix ne prend pas la colère, elle est juste trop rapide pour être calme et réfléchi, ses pas aussi s'empressent, trajet circulaire autour du coupable sans oser le toucher, elle ne veut pas le toucher elle veut la vérité, et avec ça elle risque de rater le déjeuner elle doit savoir vite, elle le répète : VITE

Kafka n’est en rien passif, il bouge, mâche, regarde, ses pupilles la suivent, il respire, il a bien compris qu’elle lui parle. Mais Phil ne le voit que passif, muet par ses actions (ses crimes) sans que son visage ne se parre de honte (il devrait). Kafka devrait faire tellement de choses qu’il ne fait pas, qu’il embrasse en son inverse restant droit dans une impolitesse qui l’irrite, elle voudrait le secouer mais refuse de forcer son accroche sur lui.

Lui le fait dans une démarche instable dénué de doutes, sans réflexion comme si le geste lui était naturel (comment peut-il lui être naturel, comment toute cette scène ne le dérange en rien, comment peut-il manger dans la paix du père suprême, il n’est pas son heure, il ne devrait pas manger maintenant tout, absolument TOUT). Faux par son illogisme, faux par l’idée bien précise que tous ses comportements sont interdits, qu’aucun de ses comportements ne devrait pouvoir exister. Maintenant qu’elle le voit actif, qu’elle le voit en mouvement, elle le condamne encore plus, d’avoir fait et de mal faire, de trop faire, de tout lui donner.

Phil s’échappe, se recule de plusieurs pas, trébuche, tombe dans la terre, ses mains dans la terre, cris, hurle, le dégoût la prend, son corps se dessine en vague désarticulé, d’ un haut-le-coeur similaire à son supposé camarade, enfin le corps s’immobilise, se calme dans des respirations assourdissantes. Ses mains (pleines de terre) viennent couvrir ses yeux, elle ne veut rien voir. Ni Kafka ni ses rejets, elle veut que tu sois sombre et rassurant, elle ne veut rien de cette scène et Kafka a tout gâché, enfant dégoûtant. Les larmes doucement montent, elle, elle ne peut les taire, les ravaler, elle se mélange à la terre et tâche le coton de son t-shirt. Tout est de sa faute. Tu as tout gâché.

Les tissus mouillés et lourds sont renvoyés contre sa peau dans l’espoir misérable de la nettoyer, non, on ne devrait pas la nettoyer. Elle n’est pas ce larbin incapable de se nettoyer, d’avoir conscience des actes qui l’entourent, elle se refuse l’assistance, pousse Kafka du bras, se repousse du sol et s’écarte de quelques pas. Le dos de sa main pleine de terre irrite ses joues autant qu’elle en enlève les larmes sans les rendre invisibles. La terre s’y mélange et s’y concentre en un masque craquelé et difforme.

Phil est sale, c’est une image rare qu’elle déteste et qui elle ne lui donne que vu sur Kafka, dont seul le pull signale l’état désastreux de la scène qu’il vient de produire. Je n’ai pas besoin que tu me dises de ne pas pleurer. Elle le crie, la voix tremble mais elle crie, elle ne peut pas pleurer devant Kafka, elle préférerait ne jamais pleurer, elle aimerait être de ses butch qui n’ont peur de rien et encore moins de ça, qui ne sont dégoutées de rien et pas de ça, de ses mains couvertes de terre et des éclats de ce qu’elle ne nommera pas, qu’elle essuie en arrachant la laine des mains du plus jeune. Tu devras le laver de toute manière, tu devrais te laver aussi, tu es sales (tu devrais en avoir honte)

L’avoeux, l’écoeur, fait frissonner un visage qu’elle aurait voulu impassible, lui donne un nouveau haut-le-cœur qu’elle ravale avec autant de fierté que de dégoût. Et tu trouves ça normal ? Tu viens de voler de la nourriture à l’enclave tu sais ? Tu veux encore perdre une étoile c’est ça ce que tu veux, tu voulais juste voler la nourriture, il n’y avait même pas de pieds dessus, tu mens, tu mens ! La colère répond le mieux à n'importe quelle accusation, elle détruit les preuves, au fond de son intestin comme à la surface de la terre les pieds disparaissent, ils n’ont jamais été là et ne le seront jamais, il n’y a que Kafka qui peut être coupable, pas elle.

Le pied, la preuve est brandi face à elle avec trop de force, d’enthousiasme. S’inscrit dans la crasse de Kafka, ses doigts couverts d’un mélange de terre et de l’indescriptible qui lui fait détourner le regard. Pourquoi tient-il autant à lui montrer un crime aussi horrible?

Tu mens il n’y a rien. Il est vrai, le pied n’est plus, il a disparu, est partie, à fui peut-être mais il ne reste que la saleté et le vide sur ses mains. Tu vois bien qu’il n’y a rien, il n’y a pas de miracle. Phil ne regarde même pas, elle le sait car cela vient de ses propres faits, il n’y a plus, comme il y avait juste avant. Un claquement de doigts, de vie qui chavire si vite, qui ne dépend que de sa même volonté, qui la force à fermer les yeux, se détester.

Il lui suffit d’un pas, face à lui, elle n’est qu’à peine plus grande, la force à modifier sa taille de son pouvoir, s’agrandit, assez pour être à sa hauteur, assez pour lui imposer son regard, l’empêcher de voir sa supercherie, assez pour lui imposer une leçon qu’elle se sent légitime d’offrir à celui qui à tant à apprendre, qui est tellement moins qu’elle. En mangeant tu tues, c’est ça que tu veux ? Tu penses que c’est ce que le Père suprême veut, que tu nous tues tous en nous mangeant puisque c’est le vivant qui t’attire Sans hausser le ton, elle n’est pas méchante, elle se veut juste, juste dans une leçon maladroite, aussi cruelle que rassurante. Oui elle est rassurante c’est certain, et Tess serait fière d’elle, elle parle pour le Père suprême, pour leur bien à tous, elle ne fait que ce qu’il y a de meilleure quitte à surplomber son prochain. Tu dois me promettre que tu ne mangeras plus le vivant, sinon je devrais le dire aux parents.