amazed

pleurotus djamor.

Prim s'est levée avec les plus curieuses interrogations en tête.
Loin d'une quelconque remise en question, ceci dit. Des pensées sans grande importance sûrement, des constations qui l'ont fait vaguement grimacé. Elle s'est regardé dans le miroir, sous tous les angles, comme si elle pouvait trouver la réponse cachée dans les pores de son visage, au fin fond des prunelles qui lui renvoient son regard. Mais rien du tout.

Prim a pensé à aller voir une Maman, mais elle a vite fini par rejeter l'idée. Elle a mis de l'ordre dans ses pensées, dans ce qu'elle avait à dire, a trié et mis de côté ce qui l'avait interpellé ce matin-là. Elle a tenté de trouver une quelconque raison, sans grand succès non plus. En quittant sa chambre, elle faisait toujours un peu la moue. En quittant la cantine, son visage n'était pas plus détendu. En arrivant dans le foyer, ses sourcils étaient plus froncés que d'ordinaire. En s'asseyant à la place vide à côté de Robin, vers laquelle elle s'était dirigée sans même s'en rendre compte, elle pinçait les lèvres.
Tu penses que je devrais essayer la méditation?

Prim ne s'attarde pas sur des salutations futiles, sur des banalités qui n'apporterait rien.
Comment vas-tu? Bien dormi? Quelle perte de temps. Elle n'a jamais vraiment ressenti le besoin de faire semblant avec Robin.
Prim a repensé à toutes les fois où elle a hurlé sur le court de tennis. Elle ne s'énerve pas autant, d'habitude. Quand elle n'a pas sa raquette à la main, elle se considère trop raffinée pour hausser la voix et jurer. Mais c'est différent, lorsqu'elle met un pied sur le terrain. Sans vraiment savoir pourquoi. Sans vraiment comprendre pourquoi elle finit toujours par plus ou moins envoyer la raquette valser ailleurs. Quelle perte de temps. Voilà pourquoi ça la dérange. Je m'énerve tout le temps quand je joue au tennis. C'est usant. Et ça me met de mauvaise humeur toute la journée après. S'il y a bien quelque chose qui la met plus en colère que l'incompétence fictive de Saint, c'est bien de ressentir les choses trop fort, comme on est censé les ressentir peut-être.
De les ressentir tout court.

pleurotus djamor.

Prim se sent presque petite. Ça ne la gêne pas vraiment. Elle se sentirait presque en plein procès, un procès qu'elle a elle-même commencé, le dos bien droit sur le banc des accusés, un banc sur lequel elle s'est elle-même assise. Pour quelque chose qui n'est peut-être pas si important. D'aucuns diraient que ces effusions sont saines, peut-être nécessaires, qu'elle devrait peut-être les écouter plutôt que de vouloir les étouffer et les juger, les forcer à s'assoir avec elle sur le banc.
Tant que Robin ne l'a pas dit, pourtant, Prim gardera leurs mains enchaînées.

Soupir de soulagement. C'est que Prim ne se voit vraiment pas méditer. Peut-être qu'à force de fuir l'introspection, à force de la garder derrière les barreaux, elle finira par s'échapper un jour et la rattraper. Peut-être que ce jour-là elle regrettera.
Tant que Robin ne lui a dit pas d'ouvrir la porte, pourtant, Prim la gardera soigneusement verrouillée, surveillée nuit et jour.
Ça changera vraiment quelque chose, de faire des exercices? Et si ça ne marche pas?

Prim ne saurait pas vraiment dire ce qui la dérange le plus. En tout cas, l'exprimer à voix haute est sûrement un peu gênant. Admettre qu'elle se sent un peu honteuse du manque de contrôle qu'elle a sur elle-même parfois est indigne de l'image qu'elle s'est forgée, indigne de la grandeur qu'elle a construit à la sueur de son front, pour laquelle elle a sacrifié, sur des autels ensanglantés, la candeur de son enfance et la bonté de son âme. Je ne sais pas trop. Un tas de choses, je crois. Un peu tout.
Prim s'installe, le dos qui s'avachit un peu contre le dossier du canapé. Elle regarde Robin, ne redoute pas le regard qu'elle peut lui lancer, demanderait presque à voir le jugement et l'inquisition dans ses yeux, comme pour justifier sa présence sur le banc. Ça arrive à chaque entraînement, quasiment. Quand je perds, quand j'ai du mal, je ne sais pas, pour tout? J'ai vraiment envie d'étrangler des gens, parfois, tu vois? Les étrangler pour de vrai. Ce n'est pas très élégant, quelle image ça donne de moi, vraiment?

Prim grimace et pince les lèvres. Elle ne voudrait pas qu'on la croit violente et cruelle, c'est bien loin d'elle, tout ça, elle en est certaine. Peut-être qu'elle n'est pas bonne. Elle ne possède pas ces cœurs purs qu'elle voit parfois chez d'autres et qu'il lui arrive de jalouser secrètement, honteusement, c'est certain.
Mais surtout, si Prim ne parvient pas à contrôler les volcans qui rugissent si fort en elle, est-elle vraiment digne du Paradis promis? Est-elle vraiment digne des étoiles qu'on lui a attribué, digne de la gloire et du sublime?

pleurotus djamor.

Les syllabes impitoyables qui chantent aux oreilles de Prim la font sourire ; un peu, mais sincèrement.
Si elle avait voulu du réconfort, des bras chaleureux, une caresse sur la tête et des mots doux, elle aurait sûrement été voir un Parent. Prim a peut-être recherché ces choses-là, un jour, il y a longtemps, lorsqu'elle se laissait trop facilement bercer par les soubresauts de son coeur. Ces affections ne suffisent plus, désormais, si elles ont suffit un jour, et elle se sent infiniment plus comprise lorsque c'est Robin qui lui parle.
Robin, qui semble avoir tout compris. Robin, qui semble naviguer l'Enclave avec une aisance si naturelle qu'elle lui paraît innée. Innée, c'est ça. C'est vrai. J'essaierai ce que tu me proposes. Je te dirai ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, on verra bien.

Elle se laisse fondre dans la mollesse du canapé, à l'aise, à sa place. Procès agréable, bulle brève, mais protectrice. Robin, tout à la fois procureure, juge, avocate. Tout à la fois. Je lui fais confiance. Je suis reconnaissante, vraiment. Tellement. Sait-Il seulement à quel point? Imagine-t-Il seulement la révérence religieuse qu'elle lui porte, aveugle et sans borne? Non, tu as raison. Je n'ai pas envie de le décevoir, tu vois. Ça me tuerait, je pense. Elle pourrait supporter avec aisance n'importe quelles pupilles inquisitrices et insatisfaites ; n'importe lesquelles, sauf les Siennes.

Je ne le ferai pas, je le sais. Je ne l'ai pas fait jusqu'à maintenant, je crois, et je n'en ai pas l'envie non plus. Prim se laisse être poussée contre le mur, là où elle est forcée de rester dans un coin et de réfléchir, de se demander, vraiment se demander.
Elle est méritante, c'est certain.

Proche de la perfection. Si c'est Robin qui le dit, c'est forcément vrai. Robin, qui semble tout savoir déjà. Robin, qu'on croirait née pour l'Enclave ; n'est-ce pas l'Enclave qui a été créée pour Robin? Ce n'est pas si grave, alors, si je pense à tuer Saint, de temps en temps? A-ton jamais été jugé pour les choses qui restent bien enfouies, dans l'infinité des atomes?  Ce n'est pas le signe que je dysfonctionne?

Prim, les yeux curieux, regarde attentivement sa grande sœur. Bien sûr, elle n'irait pas tordre des cous pour de vrai. Et peut-être que si elle s'asseyait dans le silence et se laissait, pendant un moment, imaginait qu'elle le ferait, les pensées finiraient par la quitter pleinement. J'aime bien te parler, tu sais. J'ai l'impression de mieux me comprendre, quand je te parle.