amazed

A la lueur d'une lampe torche attachée autour du front, Ziggy prépare le matériel qu'il utilise habituellement pour se sublimer. Il est assis en tailleur sur le sol de la cabane, à l’affût du moindre bruit pouvant trahir un indésirable. Il sait que Kafka sera à l'heure - et que s'il a l'audace de se pointer en avance, il envahira la zone de mouches en reconnaissance. Devant lui, une petite boîte en métal trône sur un marche pied en bois. Elle renferme plusieurs aiguilles de différentes tailles, des petits bijoux en titane qu'il a soit confectionné lui-même, soit acheté avec ses promotion tickets.

Ah ! Ziggy tend l'oreille. On dirait des pas hésitants qui rôdent dans les fourrés. La voix nasillarde de Kafka perce le silence de la forêt et Ziggy ne bouge pas d'un millimètre toujours dans la position du sage.

Entre, entre !

Il porte son pouce à sa bouche se le ronger, faisant claquer ses dents sur le bord de l'ongle.

Installe-toi, allez allez ! Ne me fais pas attendre ! J'ai pas envie de rater l'heure du repas...

Il le presse un peu parce que ça le stresse de le voir debout - et sa silhouette bouche la seule source de lumière.
En réalité, Ziggy a déjà sauté le dîner de nombreuses fois. Il ressent peu la faim, et c'est devenu un problème avec le temps, alors que les médecins ont constaté qu'il perdait du poids sans raison apparente.

Tu peux fouiller dans la boîte. J'en ai plusieurs en stock. T'as déjà pensé à l'endroit ?

Il se penche un peu plus vers l'arrière, décontracté. Ziggy se gratte le bas crâne, à l'endroit de sa repousse, tout en scrutant Kafka comme une bête curieuse.

Et surtout... tu veux impressionner qui ?

Ziggy admire les élans impulsifs de la jeunesse - lui qui a ressent le besoin de tout contrôler de son environnement, il ne peut que s'incliner devant le courage irréfléchi de Kafka. Il espère cependant qu'il ne changera pas d'avis au dernier moment, et que par conséquent, il n'est pas en train consciemment de lui faire perdre son temps. Ziggy est devenu obsédé par l'idée de le marquer, de voir Kafka porter sur lui un symbole de l'amitié qu'ils pourraient tisser, avec de la volonté.

C'est bien de changer. Généralement, on le fait pour les autres. C'est pour ça - ça m'a intrigué. Mais je te crois.

Il aimerait décortiquer l'esprit de Kafka - ouvrir son crâne pour en soulever chaque strate ; choper ses rêves à la pince à épiler, comme des filaments brillants qui sortiraient du lot.

D'accord. Hm, si tu me laisses choisir. Je te dirais... de faire l'oreille. Pour commencer. Je ne suis pas un monstre, je ne te percerai pas la langue ou le nez. Mais si jamais ça te plaît et que tu veux tenter...

Dans un sourire, ses yeux se plissent naturellement, si bien qu'ils n'ont l'air que de deux petites fentes lumineuses.
Ziggy tapote le sol à côté de lui pour inciter Kafka à s'installer plus près. Il se saisit d'une aiguille qu'il trempe dans une solution d'alcool et de serum physiologique, volé quelques mois plus tôt à l'infirmerie.
D'une précision de maître, il fait danser ses doigts au-dessus de la boîte puis chope un des bijoux en métal.

De profil. Que j'ai accès à ton oreille.

Il glisse une de ses mains sous son bras pour le presser contre lui, ainsi le tenir. Avec un coton, il désinfecte la zone. Il en profite pour se confier, avant d'approcher dangereusement la pointe de l'aiguille vers sa peau.

Je suis content. On sera pareil.

(tw: absence de consentement + léger gore) Kafka a l'air sincèrement surpris - voir horrifié par la perspective de la langue. Ziggy le sent trembler sous sa poigne. Pour le rassurer, ou peut-être pour se donner en spectacle, il sort la sienne et l'agite devant le visage de Kafka. En son centre trône une petite boule de titane, moite de salive, qu'il s'amuse à faire bouger sous le joug des dix-sept muscles que composent l'organe.

Stylé, hein ?

S'il est fier de son petit effet, c'est éphémère. Ziggy fronce les sourcils et se penche vers l'oreille de Kafka, qu'il pince fortement entre le pouce et l'index pour la maintenir la peau droite et tirée.

Arrête de gigoter ou je vais te rater.

C'était peut-être le trigger nécessaire pour faire bondir Kafka, qui s'agite sous sa prise. Le voilà qui change d'avis ! Ziggy fait la moue, perturbé dans la désharmonie de son système.

Partir où ?

Sans s'en rendre compte, Ziggy a enfoncé ses doigts dans la chair blafarde et efflanquée de Kafka. Il approche l'aiguille dangereusement et perce la peau avec force, de sorte à faire traverser la tige comme il l'a déjà fait de nombreuses fois, sans s'y reprendre à deux fois. Le sang coule sur le parquet et se mêle à la poussière, mais Ziggy reste concentré. Malgré Il complaintes vocales de Kafka, il positionne le bijou à l'extrémité de la tige et la ressort par l'autre côté de la plaie. Ce n'est qu'une fois l'oeuvre achevée qu'il consent à le lâcher.

Tu vois, ce n'était pas si horrible !

Ziggy sait déjà qu'il va passer pour un monstre ;
son esprit s'est préparé à accueillir les cris et les pleurs. Il s'empresse de se justifier, d'une voix tranchante et acerbe :

Tu allais te dégonfler comme un bébé. Là, je dois désinfecter ! Pense à comment tu seras beau dans quelques jours quand ça aura cicatrisé...

Il penche la tête et étire un sourire glacial, yeux fermés.
Comme moi.

Si ça fait mal, c'est que c'est efficace. Ziggy le libère - lui laisse un peu d'air pour mieux revenir le chasser quand il lui manquera. Il se place un peu vers l'arrière, en équilibre sur ses paumes. Sous l'une d'elle, l'aiguille ensanglantée est plaquée contre le parquet poussiéreux. Il aime le contraste de leurs couleurs.

Hein ? Qu'est-ce que tu marmonnes ?

Ziggy laisse échapper un petit rire singulier. Le misérabilisme de Kafka est aussi pathétique que grotesque - et pourtant, il s'en nourrit.

Ah, je vois. Tu es du type modeste.

Kafka a tous les atouts que l'on peint chez l'ange dans les livres d'image. Il a la peau diaphane, les joues légèrement bombées et rose, des cheveux blonds et bouclés, des lèvres purpurines. Tout ce que Ziggy aurait pu convoiter s'il n'était pas lucide sur sa propre décrépitude. Ziggy n'aime la beauté que dans son saccage. Il a besoin d'effacer pour tout redessiner. Il se demande si Kafka en serait capable.

((sauf si ses mains tremblent))

Ah la la ! Je ne suis sûrement pas celui dont tu cherches les compliments ! Mais dis-moi, ça m'intéresse... Pas vraiment. Pourquoi est-ce que tu m'as envoyé ce message ? Pourquoi tu es venu ?

C'est vrai ça - pourquoi ?

Vu que ce n'était ni pour un autre, ni pour ta beauté. Je ne comprends pas.

On ne se ressemble pas tant que ça, tu as raison.

La conversation l'ennuie un peu. Ziggy a accepté le fait qu'il n'arrivera pas à convaincre Kafka de sa beauté. Au final, ça l'arrange presque qu'il soit persuadé de l'inverse. Ziggy puise son pouvoir dans les complexes, les insécurités, les vicissitudes. Ce sont toujours les désespérés qui se tournent vers lui - et ce sont toujours les mêmes qui s'adonnent à des choix discutables que Ziggy prend un malin plaisir à encourager.

Tout ce que je vois, c'est que ça a pas l'air cool et facile d'être toi.

Il se moque un peu, le rire léger.
En voyant Kafka sur le point de s'effondrer, il se redresse ; range l'aiguille dans sa petite boite en métal, sans la désinfecter.

Je ne suis pas toi et pourtant, j'en aurai marre aussi - d'être toi.

Désormais accroupi comme une créature des marais, Ziggy gratte le sol du bout de l'ongle pour en décoller les gouttes de sang séché sur le parquet.

Est-ce que moi aussi, je ressens la même chose ? Désolé, mais tu n'osais pas poser la question. La lourdeur de tes hésitations m'agace.

Il ne le regarde même pas - il laisse la tension s'installer entre eux, bercé par le grattement incessant. Le sang est bien incrusté - tout comme ses vices.

En vrai, je rigole. Je crois je t'aime bien.

Et on ne sait jamais avec Ziggy si on doit s'en inquiéter ;
plus que l'inverse ?

Je le fais parce que je trouve ça esthétique. Et j'aime bien la douleur momentanée, elle me rappelle que je suis vivant. Mort, je ne ressentirai plus rien. Et comme ça peut arriver à tout moment, j'en profite. Maintenant.

Mince ; les caprices de Kafka l'ont encouragé à trop se parler. Ziggy tire la langue.

Tu sais tout ! Adieu l'image du mec mystérieux que j'entretenais volontairement...

Kafka est différent à sa manière, mais similaires aux autres par certains aspects élémentaires - la peur de la faim, la peur de la douleur ; la peur d'avoir peur. En Ziggy, le tonnerre d'émotions qui s'entrechoque le rend malade. Il a la nausée rien que d'y penser. La peur d'avoir peur. Si seulement il pouvait se tourner vers quelqu'un qui lui dirait je te comprends ! lui aussi.

Au moins, tu n'hésites pas ; ça te rend en cela meilleurs que la plupart. Accroche-toi Kafka, bientôt - tu auras tout ce que tu voudras. Il suffit de le désirer plus fort que tout et de te résoudre à aller jusqu'au bout pour l'avoir.

Ses conseils ne sont pas des plus avisés, mais assurément des plus acérés.

Évidemment que tu ne diras rien. Je m'en assurerai. Pas que je ne te fasse pas confiance mais tu as l'air de traîner avec des gens qui n'approuveraient. Si j'étais toi, je les surveillerai de près mais je m'en méfierai.

Ziggy range ses affaires, prêt à décamper.