amazed

jim a peur de joji.
précisément parce qu'il ne s'est jamais laissé le droit de rêver, jim a peur de ce qui l'attire. il est aussi juste d’admettre qu’il est attiré par ce qui lui fait peur. il craint ces choses qui se nourrissent d'imagination mais qu'on ne peut toucher qu'avec les yeux. jim n'a pas d'imagination et se préfère ainsi.
joji est plus grand que lui, plus carré. il est plus droit, plus beau, si l'on considère qu'être dessiné selon un axe symétrique et non de travers est gage de beauté. plus ordonné. plus solide. plus autoritaire. plus méchant. joji est mieux.

dans son ombre, jim baisse légèrement le menton, le regard obstinément rivé sur son côté gauche. il devine la forme de sa silhouette dans le coin de son champ de vision, devine son visage et son regard à lui - qu'il sait noir et sévère.  mais jim n'est pas sévère, alors jim dit doucement, sur un ton qui laisse entendre une grande clémence : mais si, voyons, comme on pardonne à un enfant qui se trompe, je l'ai punie.

joji s'assoit. le poing de jim, posé sur son genou, s'ouvre et se ferme machinalement. contre sa propre épaule, large mais ployante, il devine celle de joji, carrée encore, droite toujours, taillée dans le marbre. maintenant qu'ils sont à hauteur égale, il tourne la tête vers lui. il murmure, pédagogue : elle a présenté ses excuses publiquement, devant les autres. ça a été très dur pour elle... émotionnellement. et après ça, je l'ai ignorée pendant deux semaines. elle s'en voulait énormément.

il ne s'attend pas à ce que joji comprenne mais il lui explique quand même. il s'attend à être puni, lui aussi, et comme le gibier qu'on a enfermé, battu et marqué au fer rouge, il courbe la nuque.

jim courbe la nuque. encore et toujours, il persévère à baisser le menton. le regard de joji lui brûle les paupières et l'effraie, si bien que ses épaules s'affaissent encore davantage. les yeux rivés sur un point invisible dans le sol, il se protège derrière ses cils. il hoche lentement la tête d'abord, la secoue ensuite. les blocards sont malheureux sans attention de notre part, tu devrais le savoir. voilà ce qu'il se risque à dire sur un ton désespérément plat. en vérité, il ne pense pas que joji l'ignore mais simplement qu'il échoue à le comprendre. je suis sûr qu'elle recommencera pas... alors que sa phrase reste en suspens, jim se contente de lever les yeux sans se redresser : il ose affronter le regard de joji. au fond de ce puit à la surface monochrome et froide, il croit trouver son reflet ; enrobée de cette obscurité abrutissante, sa propre mollesse lui apparaît d'un coup écoeurante. il mérite d'être puni pour sa faiblesse.

tu dis ça comme si tout le monde en était capable, jim bat des paupières. il se compose un masque, tant bien que mal, dont la surface rafistolée évoque une vague candeur un peu vaine. je crois pas que les enfants aient tous envie de tuer des chats... ou qu'ils vont l'imiter... mais non, encore une fois c'est trop incertain, trop faible. écrasé par le jugement de joji, défait par sa violence, il ne parvient pas à se défendre correctement. il tressaille d'ailleurs au contact de sa paume, il tressaille mais il ne le chasse pas. il se débat comme le font les rongeurs et autres proies de petite taille, c'est-à-dire qu'il lutte contre la secousse de son propre cœur. comme pour raccourcir le supplice, précipiter la cruauté, il demande : tu es fâché ?  

les blocards seraient malheureux si nous ne les punissions pas. mais que fait-on de l'amour ? que fait-on de son caractère inconditionnel et incontestable ? que fait-on de son pouvoir d'absolution ? jim ne veut pas l'accepter. la main de joji est toujours sur son épaule à lui, sa silhouette est toujours droite, large et carrée ; elle obstrue toujours le soleil. et cela, est-ce de l'ordre de l'amour ou de la punition ? et toi, jim, es-tu heureux parce qu'on te punit ?

jim se raidit. il n'est pas d'accord avec joji. il rejette son jugement, qu'il trouve gratuit et arbitraire. non. non, pas tout le monde. c'est juste cruel pour rien. il secoue la tête obstinément. il refuse d'envisager qu'il pourrait tuer un animal de ses mains. il ne sait pas encore qu'il en est capable et que le jour n'est plus loin. quand il brisera la nuque de marley, il pensera à joji. il se dira : c'est d'une facilité déconcertante. tout le monde en est capable, donc.
et qu'en est-il de l'abattoir pour les individus de son espèce ? jim n'y pense pas en ces termes. il ne voit pas le rapport avec le fait de tuer des êtres innocents, qui n'ont rien demandé et qui ne portent pas la responsabilité de leur dégénérescence. pour l'instant, il croit à son propre mensonge. non, je ne pourrais pas.

qu'est-ce que j'aurais dû faire ? il rajoute, le regard fuyant, espérant peut-être qu'on le plaigne. pour que tu ne soies pas fâché contre moi. le reste lui semble abstrait et lui parle peu. on essaie de construire quelque chose. qu'essaie-t-on de construire ? nous avons atteint notre date de péremption et maintenant il ne suffit que d'attendre. la viande est meilleure quand le bétail a confiance en son bourreau et qu'il meurt sans souffrance. je ne défais rien. je fais de mon mieux. je les aime.

la douleur, bien que ténue, s'impose soudainement là où le tissu de sa veste a commencé à fondre. la paume de joji est glacée. jim frémit à peine - on l'a élevé à subir placidement. son être, dans sa forme et sa chair, a lui aussi été formé à la punition. joji a raison : s'il veut le punir, jim recevra son châtiment et s'en verra comblé. pourtant, il dit : tu ne comprends pas. tu ne comprends pas l'amour ! et j'ai besoin de me justifier pour qu'à la fin, tu me pardonnes.