amazed

J'ai tenu la main à Charlie, Adriel, Elys, Sam, Anton, Ezio, Jude, et même à celle des chiens qui errent au sein de l'Enclave.

Je t'ai tenu la main aussi mais jamais en public, tu le sais, Kafka ?
Je n'aime pas devoir m'essuyer devant tout le monde.

Je t'entraîne avec moi dans le couloir. Je ne m'aperçois de sa longueur que quand l'urgence me prend aux tripes, c'est-à-dire dans des moments comme maintenant. Alors mes enjambées sont plus larges, je dévore trois pas en un, je traverse deux portes en une. Je fais comme Présent et j'avale des distances immenses en une bouchée.

Jusqu'à la porte dont tu connais les dorures.

Il n'y a pas de nom dessus, seulement un numéro ; le mien. Il a été gravé quelque part dans mon encolure, ça fait si longtemps que l'encre fait partie de moi désormais. Toi, ton encre s'est répartie à travers tous les petits compagnons ailés qui se pressent sous ta carcasse. Des tatouages difformes et mobiles, une nuée dont la saveur ne m'intéresse pas.

Ce discours sur le loup qui t'a attaqué me fascine.

- Dans la salle de bain.

Je referme la porte sur une fête qui n'existe plus.
Voici mon banquet, Kafka ! Comment tu le trouves ? J'ai déroulé le tapis rouge. Dessus, on n'y verra pas le sang. Il faudrait un buandier au nez très fin.
Ou bien un loup. Mais ce loup-là a déjà été enfermé, marqué et bientôt abattu. C'est une question de temps. Tic tac tic tac.

- Attention les yeux,

La lumière de la salle d'eau jaillit et bondit sur nous comme une horde de fauves affamés. Je plisse des yeux puisque de lunettes, je n'ai pas.

Dans le miroir, il y a notre reflet à tous les deux.
Je souris avant de me placer derrière toi et poser une main sur chacune de tes petites épaules frêles.

- Est-ce qu'on ne ferait pas une superbe photo de famille, toi et moi ?

Je me connais par cœur, dans mes moindres recoins.

Je me suis vu dans les miroirs et les regards. Je m'entends même dans les soupirs des autres et dans leurs murmures quand je traverse sans m'arrêter. C'est ainsi que je suis partout.

Et Kafka -- mon tendre. Mon doux Kafka. Où est-il ?
Bientôt, il sera dans mes recoins aussi, à laisser venir ses sucs de gourmandise sans pouvoir s'arrêter. Les êtres comme lui sont intéressants, et c'est parce qu'ils ne se trouvent pas facilement, alors qu'ils sont pourtant partout, eux aussi. Mais il est plus dur de voir les petites bêtes ramper quand elles vivent dans l'obscurité.

J'ai ôté mes lunettes à chaque fois pour mieux l'admirer.
Kafka ne veut pourtant pas de notre reflet ce soir.

Je fais la moue.

- Hmm.

J'ai l'air triste comme ça, et peut-être que je le suis.

- D'accord.

On peut tout cacher derrière les sourires,
même les tentatives de meurtre.
D'une pression, j'éteins et le voile de sélène nous recouvre.

J'ai gardé les mains suspendues aux épaules tendues.
Et puis je les ai déplacées vers l'objet de toutes mes convoitises -- fibre de soie qui recouvre la nécrose. Je délie son crime dans le noir, un geste qui fait glisser la corde au cou de l'invité. Il sent la matière scier sa peau.

Le pouce vient palper avec délicatesse le pourtour. Je devine la fosse d'une canine. Le cratère d'une gencive. La famine d'un ventre creux.

- Qu'est-ce que tu as ressenti ?

Douleur ? Peur ?

Plaisir.

Dans l'obscurité, mon pouvoir ne m'est d'aucune utilité. Alors je dois deviner l'ampleur des dégâts au toucher. Ce qui n'est pas occupé à l'exploration de l'encolure s'en va quérir une main. Je la porte à mes lèvres pour humer le vice et sa saveur ferreuse, m'emparer des vestiges que j'avale sans bruit. Je trace le pourtour des os, phalange par phalange. Le toucher est le sens que les aveugles utilisent pour voir aussi.