amazed

tu observes leurs visages innocents, et tu t’attardes sur ceux qui bavardent le moins. ils ont l’air déjà prêts pour le paradis, ignorent qu’ils auraient dû crier plus souvent avant de dire au revoir. ils n’ont que des peines éphémères, que des idées candides, que des envies simplettes qui ne regrettent pas le temps. oui, ce sont en général les traits des plus calmes qui accaparent ton attention quand il faut les surveiller au repas ;

et puis il y a cette tâche sur la toile, qui gâche le paysage que tu choisissais d’observer.
comment ignorer l’anomalie qui, contrairement au tableau parfait que tu composais, ne faisait que mettre en évidence l’état catastrophique de tes traumatismes ?

dans son sourire tu t'étais convaincu d’y trouver quelque chose qui gratte la surface et qui s'insère sans ton consentement ; une sorte d’air méprisable et conscient qui ne sait pas vraiment pourquoi ça fait mal mais qui sait, malgré tout, que ça fait mal.

« love, une fois. »

tu traines des pieds derrière lui, laisse le ton grave de ta voix se poser derrière son dos quand il s’amuse à effleurer ses gants. tu ne sais pas s’il veut les retirer mais tu l’accuses d’y avoir peut-être songé.

« love, deux fois. »

et peut-être se dit-il que tu le cherches, que tu veux le voir faire quelque chose qui n’est pas interdit, pour que tu t’insurges sans être capable de punir ?

« love, il n’y aura pas de troisième fois… »

oui ; c’est forcément ça. il joue avec toi. il veut t'énerver car il ne respire que pour ça ! à chaque fois que tes yeux se posent sur lui, ici ou ailleurs, il adopte cet air malin qui veut tout dire.

« LOVE. tu restes ici après dîner. »

et il resta. tu n’oserais pas dire qu’il à obéit mais plutôt qu’il était curieux de savoir pourquoi tu étais si sec avec sa pauvre personne.

en attendant que tous quittent la pièce ; et cela prendra le temps qu’il faut, tu restes silencieux, les bras croisé et un regard accusateur sur sa silhouette. d’aussi loin, tu pourrais retrouver le tracé de ton ombre, quand tu étais gamin. toi aussi, souvent, tu as dû attendre sans bouger. mais jamais avec ce sourire insipide.

seul à seul tu t’approches enfin, les deux mains sur la table froide en métal où il est consigné ; jamais tu ne t'assois à côté de lui.

« je suis fatigué de toi, love. et je sais que tu sais. je sais aussi que ça t’amuse. et tu sais que ça ne peut pas continuer comme ça. on pardonne facilement l’insolence car elle n’est qu’un écart de jeunesse ; mais je ne pense pas être capable de fermer les yeux encore trois ou quatre ans de plus. que faut-il faire, alors ? »

ah. le simple son de sa voix est si… agaçant. sous tes yeux, sa silhouette te parait même disgracieuse à regarder. tu l’épies sans plaisir tant qu’il t’ignore, détourne le regard quand il ose le chercher.


« je ne m’acharne pas love je dois juste composer avec ton désir insatiable d’attention… » c’est dit dans un soupire, excédé mais pas à bout.

tu finis par t’asseoir en face de lui, les bras croisés sur la table, indiquant ainsi que la conversation ne saurait se conclure par une défense si mauvaise.

« là où tu vois de l’acharnement j’y vois de la discipline. » et la tienne est tendre, même si elle lui paraît étouffante. non, love ne sait pas ce que c’est que de sentir dans son dos un regard insistant qui ne veille qu’à provoquer un énième moment de solitude. mais tu dois lui reconnaître une vérité qui te déplaît.

tu ne fais pas ça avec tout le monde. peut-être l’avais-tu acquis en toi par les sévices de ton enfance ; ce besoin manifeste d’isoler ce que tu veux punir. quelle horreur.

« mais si tu te sens persécuté par mon attention, alors pourquoi ne te tiens tu pas à carreau au premier avertissement ? » tu fronces les sourcils, baisse les yeux sur la table, frottant majeur et index sur ta tempe, ton coude prenant appui sur le meuble. « c’est vrai, tu as la sensation que je te veux du mal, alors pourquoi fais-tu tout pour que nous nous retrouvions ici, tous les deux ? tu n’as pas l’impression de provoquer ton destin, love ? c’est dingue tout de même, tu ne trouves pas ? »

aurais-tu pu soupçonner tant d’égocentrisme dans un si jeune corps ? love s’exprime comme s’il avait vu le monde et l’avait trouvé trop laid pour lui. il a dans son horrible voix des plaisirs de jeunesse — brefs plaisirs qui ne t’ont jamais préoccupés.

es tu beau, remy ? tu ne t’es jamais autorisé à le penser.
ça lui aurait donné raison, pas vrai ?
alors était-ce car tu es laid ?

tu ne te répondais pas. tu pensais en une fraction de seconde au reflet de ton corps à travers le miroir de ta salle de bain, au petit matin. et au fait que tu ne l’avais jamais trouvé, ni beau, ni laid.

tu ne t’es jamais considéré, as toujours laissé ceux et celles qui te touchent et te possèdent le faire à ta place ; il fallait te discréditer sans renier ton existence, quoi de mieux que dans l’abandon pour la reconnaissance ?

ah, love. qu’il est fâcheux de penser à tout cela à cause de toi.

« ça tombe bien, personne ne t’a demandé de faire des excuses. personne n’a demandé ton avis sur les règles non plus bien sûr. » tes deux coudes sur la table tu joins tes mains en les frappant entre elles pour clore ce redressement simplet ; car voilà plus dur et il devait t’écouter attentivement. « tu penses que je suis jaloux de ta jeunesse et de ta beauté ? bien. je pourrais te prendre tes étoiles, love. te traîner dans la crasse, raser ton crâne, t’affamer et te vêtir de guenilles. et même dans cet état déplorable je serai toujours là à te suivre dans l’ombre, à épier chaque faits et gestes, à scruter le moindre écart qui pourrait justifier que je te malmène un peu plus encore… oui… je pourrais ruiner ce joli visage ; le mien paraîtrait forcément angélique à côté. et pourtant je ne cesserai pas de mettre sur tes frêles épaules cette pression si acerbe que tu ne sais t'en soulager qu'en étant bête. » tu lui autorise une rareté si précieuse que personne ne pourrait le croire s’il le racontait : tu souriais. ce n’était pas un témoignage de joie mais bien la signature d’un homme capable d'exécuter ses paroles car rien ne lui ferait plus plaisir. « je suis garant de ton paradis, love. je suis sur ton dos car tu t’en éloignes et rien ne me ferait plus plaisir que de célébrer ton départ, dans sept petites années. le temps file à une vitesse folle, tu finiras par comprendre et crois moi, mes règles n’ont rien d’abusives. arrête simplement de jouer avec tes gants au réfectoire. »

tu hausses les sourcils quand il suppose que tu n’étais pas capable de si peu ; c’était plus fort que toi. et love rougit ; love comprend. il est idiot mais pas complètement stupide, il n’a pas besoin de toucher le feu pour comprendre qu’il brûle. n’est-ce pas ?

que c’est dommage.

il finit par dépeindre la laideur qui t’habille ; toi vile perfide père aux méthodes cathartiques… tu reprends alors cet air indifférent qui caractérise si bien la mort de ton âme.

« brutalement ? » te voilà surpris ! les bras pliés, montrant tes paumes, les épaules hautes. quelle brutalité ? il n’y a dans cette pièce que des mots durs qui ne peuvent qu’effleurer sa peur, rien de brut. il soupire pour te répondre et toi tu cales ton menton sur ton poing, le coude sur la table.

mais love ne sait se contenter de la juste mesure — c’est un garçon qui déborde, toujours. prétendre être désolé ne suffisait pas à laver sa conscience non, il lui fallait se traîner plus bas que terre pour prouver qu’il apprend aussi vite qu’il oubli. tu l’observes, une pointe de dégoût dans le regard qui malgré toute ta retenue s’enfuit se loger dans le coin de tes lèvres.

plus tes yeux immortalisent son air abruti, plus il t’inspire les tortures les plus horribles.

« une histoire de gants… j’ai des yeux partout , love. je te vois, au théâtre. je te vois, à la danse. je te vois, en musique. je te vois, dans des dortoirs qui ne sont pas les tiens. je te vois. quasiment tous les jours. quasiment tout le temps. ne joue pas l’effarouché ; tu ne fais qu’accélérer l’heure de la punition. »

les mains jointes, posées contre la table, en sa direction, tu observes la finesse de tes poignets, la longueur de tes doigts, l’état sec de ta peau, tes phalanges qui n’attendent qu’un effleurement pour saigner de leurs plaies à peines fermées. toutes les horreurs que tu pourrais lui promettre ne valent rien vis à vis de celles que tu te traines encore.

« je te demande ce qu’il y a de plus simple ; tout en sachant que tu ne t’y tiendra pas. je veux que tu me demandes pardon. que tu me promettes que cela ne se reproduira pas. et je sais que tu peux le dire — je sais aussi que ce sera sans conviction. alors je continuerai à t’observer. et à la moindre filouterie, oh, love. je te tomberai dessus. car souviens-toi : je te vois. quasiment tous les jours. »

mais love ne connaît pas la demi-mesure.

il ne connaît ni respect ni limite, pas même un soupçon de bon sens. love s'agrippe à toutes les douleurs du monde, ne supporte pas que l’on puisse guérir même quand il gratte de ses ongles sales les plaies cicatrisées. love est tout bêtement un parasite à la vie et

tu ne pensais pas regretter de l’avoir trouvé.

il parle d’obsession, et tu peux feindre l’ignorance. il l’affirme, tu ne réagis pas. il s’amuse de ce gouffre qui vous sépare, tu inspires. mais il menace de te dénoncer,
et tu imploses.

tes mains à plat contre la table soudainement ont provoqué un vacarme sourd ; semblable au bruit de la fatalité qui s’écrase contre la conscience. tu n’as pas fléchi, ton dos est toujours aussi droit que l’on te l’as toujours commandé — mais tes mains, elles, ont fait tout le mal qu’elles auraient rêvé de faire sur les joues du garçon. peut-être a-t-il sursauté ?

tu demeures calme, étonnamment calme malgré ton souffle qui gronde et ton regard assassin. le geste avait été si brut et rapide qu’il n’était qu’une aparté proche de l’illusion, dont seul le son du retentissement de cette claque contre le meuble laissait croire que cette violence soudaine avait été réelle.

comment osait-il ?
oh love, sais-tu seulement ce que cela fait, d’être courtisé par un parent dont tu voudrais ne jamais avoir croisé la route ?

« tu me débectes love. »

c’est sincère mais c’est trop faiblard.

« non, tu es à l’origine d’un dégoût plus profond ; et je ne saurai le nommer, tu m’en excuseras. ta bouche est sale, laisse s’évader des mots encore plus sales. les obscénités qui t’échappent sont à l’image de ta bêtise : scandaleuses. je peux tolérer ta connerie profonde mais tes accusations fallacieuses me donnent envie de te foutre dans la panic room tous les soirs jusqu’à me lasser de ton désespoir. excuse toi maintenant avant que je ne te lave la bouche avec du savon. »

et love a finalement su apprendre. la demi-mesure.

le dire, même sans le penser. un art, il le comprendra un jour, qu’il est utile de maîtriser.

mais pour l’obtenir de lui tu as dû laisser derrière toi sang froid et bonnes manières. un échange bénéfique — tout du moins félicité par ce brin de honte qui se loge dans son regard de gamin effronté. c’est, selon ton avis, quelque chose qui devait naître en chacun des blocards (afin de mieux les maîtriser).

tu soupçonnes même mieux encore dans cette attitude soudainement résiliente : un soupçon de peur.

lorsqu’il s’élance, d’un timide je, tu joins tes mains, paumes contre paumes, devant ton visage — prêt pour cette prière. tes yeux se ferment : un suis qui s’ajoute, avec peine (tu fronces les sourcils car il bute sur la suite) et le voilà ;  le divin. désolé.

tu soupires, inaudible. tes épaules s’affaissent un peu, tu ouvres doucement les yeux. tu pourrais être moqueur, lui dire que le monde venait d’être réécrit après ce miracle, applaudir sur un rythme décousu, t’esclaffer de bonheur ! mais tu te tais, garde ton sarcasme déplaisant pour des oreilles moins sensibles. chaque seconde de silence après ces trois mots chétifs valaient des heures entières de peines endurée ; oui

en s’excusant aujourd’hui pour si peu, love l’ignore mais il venait de s’excuser pour un autre. et même si ce n’était qu’un petit pardon, c’était malgré tout aussi bon qu’un peu d’eau fraîche pendant la canicule — véritable enfer dont remy ne savait s’échapper.

enfin. tu te lèves. ton regard tombe sur le gavroche, ta voix n’a plus l’amertume des sales mots et tu lui cèdes mêmes un « je te remercie love, et je m’excuse aussi pour mes paroles. », preuve de bonne foi sinon d’une condescendance parfaite à vouloir lui exposer que ce qu’il peinait à faire lui pouvait le réaliser sans effort, aucun. saurait-il seulement où est la vérité ? « tu peux y aller maintenant. mais n’oublie pas ce que je t’ai dit. »

je te vois.