amazed

Le corps est hissé, avec les mains, avec les pieds. Le roulis des muscles trace des veinures translucides sur les arêtes. Ses hanches se balancent pour suivre le mouvement du sceau qu’il a laissé pendre à sa main droite. La hanse creuse un sillon brique à l’intersection de ses phalanges. Le soleil l’expose et le révèle ; lui le parasite des parois cimentées, leurs yeux cristal forment les fenêtres qui le toisent.  Parfois un Oh ! plat réceptionne ces sauts de grenouilles à la verticale. Il vous sourit, vous qui jamais ne jeter vos chevelures pour qu’il entre.

La raclette relâche des bruits de succions plastiques et des bulles minuscules que Faïr a déjà fait fondre sur sa langue, attiré par leurs reflets irisés. Ca sent le travail fait. Ni bien, ni mal. Qu’est-ce qu’on s’en fout puisque personne d’autre lui n’est apte à délivrer ce genre de prestation. Ils l’aiment, Wicked, leur petite danseuse des façades accablées par l’astre blanc. En étirant la tête en arrière, il aperçoit sa destination finale découpée en noir dans l’azur éblouissant :

le balcon d’un.e premium.

Il pose son cul, sur la balustrade, puis tout entier balancé par-dessus bord. Il tombe. Contre son dos nu, le sol frais des dalles soulage sa peau brûlée. Il est tellement bien qu’il ferme les yeux, ralentit sa respiration, se sent gagner par le picotement des premières inspirations du sommeil. La bassine s’est renversée, l’eau savonneuse forme une marre qui mouille ses mèches teintées et lèche sa nuque. Le plic ploc est si loin qu’on ne l’entend pas ; chaque goutte semble cesser d’exister, s’enfuir – mais où ?

Cette sensation humide sous le crâne, on dirait des rigoles de sang, qu’il est tombé en haut, au lieu de tomber en bas. Il pensait que le sang serait bouillant, comme lui, mais le sang est glacé, comme le système de classe.

La voix qui lui parvient ressemble à un jappement court. Il n’aurait probablement pas ouvert un œil sans cette flotte dans sa tignasse qui pourrait être une commotion indolore.

Indolore. Alors un œil, aussitôt refermé, ces cils encore collés par le désir de sommeil. Alors les deux, qu’on ouvre et qu’on ferme, comme des balais essuie-glace, jusqu’à distinguer une tâche floue rousse, puis un visage pincé, puis tout s’ordonne naturellement.

Elle est belle. Les cheveux de feu font penser aux récoltes de Kiki, gorgées par le soleil et brillants d’hydratation, qui balayent presque ses épaules.

« Oui… ? »

Il ne redresse pas pourtant. Il aime la regarder d’en bas, comme un mort, comme un cafard, parce qu’elle lui semble encore plus intimidante et sévère que son visage circonspect ne laisse imaginer. Ca ne le dérangerait pas de se lever si elle lui demande.

Pour l’instant, il est bien sur les carreaux blancs, sa peau moite plaquée à la fraîcheur. Il ne demande rien mais il sourit, il sourit parce qu’elle est belle et que d’une certaine manière, il a beaucoup de chance que ce soit la première personne qu’il voit en ouvrant les yeux.

« Il est pas mal ce balcon. Il est vraiment sympa. » Avec ses mains, Faïr tapotent et retracent les rainures du joins, il fait à la manière d’un fin connaisseur de balcon. Il fait exprès parce qu’il ne voudrait pour rien au monde qu’elle le prenne pour quelqu’un d’intelligent. « C’est le temps idéal pour un barbecue avec des amis, tu sais. On pourrait faire un pichet de limonade… ou de sangria… » rêveusement, Faïr passent les mains à l’arrière de son crâne, au-dessus de lui les nuages prétendent être des invités de passage. « Un balcon pareil ça ouvre les perspectives ! »

Et il se marre, haut et clair, un écho plein de chaleur dans le silence du canard.

C’est joli les personnes sarcastiques, Faïr, il les aime même cyniques, préfèrent ceux qui rient d’eux-mêmes. Et il rit pour récompenser cette faible tentative, là-haut, dans le ciel, le croassement d’un corbeau pétrole lui fait de l’écho. Accroupie au-dessus de lui, Faïr peut dévisager à loisir ses yeux couleur menthe à l’eau, ils ressemblent à des baies brillantes et sont serties de cils épais, lisent les âmes, il en est certain. Lui aussi la reluque, comme un animal de foire, se permet d’avantage puisque les premiums sont des exemplaires rares bien que très similaires les uns aux autres.

Tu t’es perdue
Avec sa voix qui crisse l’interrogation
bah alors gamin, tu t’es trompé dans l’ascenseur,
t’as raté ton diplôme de parachutiste ? t’as raté quoi d’autres hein ?
faïr faïr faïr qu’est-ce qu’on va faire de toi

« Ah oui ? J’suis le moins épais de ma chambre pourtant. Oui oui. Voilà, oui, je me suis perdu, enfin plutôt endormi, mais l’un n’empêche pas l’autre. »  

Il s’est blessé, les yeux ronds, il n’a pas mal, c’est peut-être la teinture de ses cheveux qui se dilue dans le brevage savonneux. Les yeux clos parce que le zénith l’étreint trop violemment, Faïr grommelle gentiment.

« Oui… oui… peut-être. J’aimerais bien mais il ne faut pas déplacer les blessés au crâne. C’est La Voix qui le dit. C’est quelque chose quand même La Voix… »  rêveur souriant, le souvenir des inflexions berçantes et alimentent dessinent sous ses  paupière une nymphe merveilleuse. « Tu L’écoutes toi ? je veux dire, tu l’écoutes encore depuis que tu as toutes... »  il cherche laborieusement un mot aimable, un mot insipide qu’il a déjà entendu rouler sous la langue de son « grand frère », « ...tous, toutes ces responsabilités ! »

Un clin d’œil joueur, peut-être moqueur, parce que chaque minute en compagnie de la rousse sera soustraite de son temps de travail.

Les balcons sont propices aux déclarations. Il y a toujours cell.eux qui y soupirent, las des beautés sous cloches et des merveilles en partition, et ceux qui s’y suspendent. Il est très heureux de ne pas la connaître assez pour la juger. La rousse anonyme qui se penche sur son visage et lui sourit, c’est elle, qu’il veut emporter d’ici. Un souvenir tiède qui lui permettra de s’émouvoir devant le crépuscule qui partage les mêmes pigments. Le malade imaginaire plisse les yeux à cause du sourire. Il ne rêve plus que de la retenir, près de lui, pour qu’elle ne s’efface pas trop tôt, trop vite, des dentelles de sa mémoire.

« A-Attend ! Reste s’il te plait. » En appuyant sur ses avant-bras, il a soulevé ses omoplates, sa nuque redressée dans un effort endolori. « Je… Je préfèrerai que tu t’allonges un peu, à côté de moi, s’il te plait…. » une langue râpeuse passe sur ses lèvres. « tu pourrais me dire ton prénom. Et puis, je ne vais pas tarder de toute manière. Tu n’auras qu’à me donner un verre d’eau avant que je parte. » Maudit lézard, sec et rampant, qui voudrait tout, tout, et la jolie inconnue, et son hospitalité, et un baiser sur le front pour se dire au revoir.

Cramoisi, il tente de l’apercevoir pour la retenir, seulement quelques minutes.

Les supplications de Faïr flottent dans l’air chaud. Sur la dalle, il a distribué son corps comme les branches d’une étoile pour profiter de chaque pouce de fraîcheur. Les yeux clos, les pas de la rousse ressemblent aux frottements légers des Mères la nuit tombée. Le son de parquet lui plaît, les crissements qui tirent comme ceux d’un animal surtout. Il se demande s’il ne devrait pas s’y allonger, pour se rendre compte par lui-même de l’attrait de cette surface.

Ls images cotonneuses de sa rêverie se déchirent sur son hôte. Il grimace en apercevant la trousse de soin – est-ce qu’elle sait que comme les bambins il ne supporte pas les crèmes et le produit piquants. Elle est tout proche alors Faïr gonfle ses bronches plus haut pour retenir de son parfum.

« T’es pas très sympa, hein ? » il lui offre le sourire contrit de ceux qui constatent « En plus tu mates si fort. J’ai envie de rougir quand tu fais ça. » Et ça ne manque pas. Le torse blanc a pris une jolie carnation dorée, il luit, encore grêlé de transpiration. Faïr n’essaye pas de se cacher. Il préfère cuire sous son regard que sous le zénith.

La remarque lui arrache un rire sarcastique, fort et clair, et il frotte le coin de ses yeux pour repêcher les larmes minuscules et hilares. « J’suis éboueur. C’est une corvée pas un travail. » Un longue expiration pour calmer les soubresauts de son amusement. « Et toi tu travailles dans un grand appartement. » L’index fait un grand cercle pour imiter la superficie démesurée des lieux.

« Je me sens mieux. Tu me fais visiter ? »

Le rire est un rayon sorti de sa gorge, la pomme d'Adam tressautante, sans se tenir le ventre mais le souffle en forme de ressac. C’est plus fort que lui. Il a l’impression qu’elle s’imagine des choses horribles. Il a l’impression d’être un criminel vautré à ses pieds, le corps déjà sous l’ombre des barreaux en arabesques de sa rambarde. Le vent hurle dans l’hilarité qui s’amenuise.

« rien. crois le ou non. rien. j’ai juste la main… » il en lève une au-dessus de son crâne, les yeux plissés, il distingue ses doigts épais rongés par les solutions basiques et écorchés par le crépi des murs, des outils d’occasion « la main pour ça ? » il bascule le visage, sa joue contre la pierre froide anesthésiée, pour l’observer avec une curiosité espiègle. « tu pensais que j’avais… tué quelqu’un ? un truc du genre ? » les doigts plaqués sur les lèvres pour retenir un nouveau fou rire, Faïr fait l’effort d’un début d’excuse. « …Scuse. Mais c’est, un peu, ridicule, enfin, je suis surpris. »

Cette surprise irrésistible que sont ses iris qui brillent et son sourire. Il arrête de parler. Il regrette qu’elle ne soit pas bavarde, qu’elle n’aime pas laisser sa voix monter, descendre, juste pour le plaisir d’étaler la moindre anecdote. « je te comprends. j’adore me reposer aussi. Ça doit être génial de dormir dans un lit qu’on ne dépasse pas même en tendant les deux bras. » Faïr bascule sur le bide, il croise les bras contre le sol et appuie sa tête comme sur un oreiller. Les édredons épais et l’odeur de la lessive, il a la chair de poule d’imaginer un matelas assez moelleux pour l’engloutir comme un cocon.

« Oh ne le prend pas comme ça. » Il fait un sourire contrit et désolé, ses yeux levés dans sa direction, un chiot trempé, la même odeur de poils et de musc. « je ne suis un blocard moi aussi. tu voulais me soigner à l’instant. » sa voix est implorante. « si tu veux. bande moi  les yeux et attache moi les mains. Je me contenterai des odeurs et des pièces telles que tu me les décriras. » il propose.

Elle belle quand elle rougit, que sa carne pâle prend l’apparence d’un lait à la fraise. C’est pour ça. Faïr ne peut pas lui en vouloir. Pour les doutes, la peur, les préjugés. Ca. Il l’accepte comme elle vient, dans ses habits très beaux, son teint frais de santé, et ces phrases qui transpire une sympathie compatissante. Lentement, Faïr roule son poitrail contre les dalles fraiches, il aimerait qu’on soit déjà la nuit pour se raconter des histoires. Ses longs cils balayent ses yeux pour nettoyer le visage de la rousse, il ne reste plus que l’autorité des questions et le désir dément d’y répondre. Ca soulève les mots de sa poitrine, les arrache, douleur dans la gorge.

« Je ne sais pas ce que tu veux dire par invalide. Je veux venir pour ne pas travailler, parce que t’es belle, grande, et que tu veux des choses. Parce qu’il fait chaud dehors, froid chez toi. » il essaye de respirer mais il est comme s’est construction de tissus qui se délite entièrement quand on a tiré sur le fil. « Parce que c’est un moment spécial et que je ne m’en souviendrais pas. Parce qu’il faut plus de moments spéciaux pour que je les vivre. Parce que j’aime vivre. Parce que t’es belle mais je te l’ai dit. Je crois. » Il est au désarroi des mots qui ne veulent plus se taire, de la peur que la vérité qu’on exige de lui ne s’arrête plus jamais. Son souffle, qu’on lui rende, il mord son avant-bras pour forcer l’air à repasser par ses sinus et son sang à s’oxygéner.

Il est surpris, ce qui surpique sa chair d’effort et d’une adrénaline agréable. Il aime se sentir ordonner même s’il en fait beaucoup sous la pression de ce pouvoir. Il attend que les crépitations se tassent, des yeux affolés pour l’impératrice sur son seuil.

« ...Tu peux le refaire ? »

La rousse imite les saintes des prophéties. Ses lèvres nacrées ressemblent aux coquillages. Sa silhouette est la voûte de la providence, romane et romanesque, qui abrite sous son sein le pêcheur et l’orphelin. Faïr y voit les signes de la mystique qu’il préfère, lui qui tremble encore de l’apnée de ses confessions, épouse sans un mot le silence des pas gracieux.

Son corps ébréché par le travail ingrat est une babiole sur ce parquet plein de nœud. L’odeur de propre lui rappelle l’eau savonneuse qu’il aime, tout ici, semble immaculé. Son regard tâtonne sur la table basse, le sofa de cuir, gêné par cette propreté rectiligne et froide. Il pensait que la fraîcheur le soulagerait des rayons cuisants mais trop vite, il se sent oppressé par la symétrie de l’ameublement et l’absence de taches jaunes sur les napperons. Il garde ça pour lui, dans son estomac, un nœud très similaire à ceux étalés sur les lattes.

Assis sur son lit, Faïr est nerveux, est-ce qu’elle va l’allonger comme ces histoires qui bruissent dans les couloirs. L’édredon est d’une douceur qu’il ne connaît pas. S’il n’était pas aussi tendu, il s’enfoncerait de lui-même dans les plumes d’oies pour goûter l’extase de ce confort inconnu. Coi, son dos cherche le coussin immense et parfumé où plaquer son dos nu. Sa colonne ronronne lorsque les vertèbres déforment la matière moelleuse. Intimidé, son souffle lui est revenu mais l’absence de mots forment une barrière qu’il hésite à briser, cette position de spectateur lui plaît.

« C’est plus facile si tu me l’ordonnes… enfin. Je crois. » Ses ongles vernis caressent les motifs de la parure de lit comme on caresse les petits animaux du jardins. Sur son avant-bras, la marque de ses dents ressemble à une petite couronne accusatrice, excitante aussi. Il pense, les oreilles brûlées. « Je suis nerveux. » parce que l’attitude de la rousse le prend au dépourvu, lui, encore chamboulé qu’on puisse arracher de lui ses désirs. Et aussi que le décor l’abreuve de nouvelles sensations, vœux et réticences. « …je ne suis pas un gigolo tu sais. » les yeux baissés, l’air étroitement blessé dans cette posture inclinée, il sent son bas-ventre se contracter douloureusement.

tu t’en vas.
il reste sagement sur le lit. ses orteils s’enfouissent dans les crins de la descente de lit. c’est agréable. en ton absence, il s’interroge. si les mots se déroberont encore sous l’autorité ou s’il y a d’autres choses que des mots qui vont lui être dérobées. y réfléchir lui est inconfortable, il arrête, se laisse tomber en arrière où la sensation moelleuse du matelas lui arrache un gémissement de plaisir. s’il ferme les yeux, il va s’endormir d’un sommeil de plomb, c’est certain. tu dois le savoir puisque tu reviens avec un grand verre d’eau.

relevé et à deux mains, il s’empare du verre, et s’oblige à aspirer la surface pour ne rien renverser. même l’eau est meilleure. moins calcaire. en regardant ta décoration aseptisée, il a le sentiment d’être la chose la plus personnelle que tu as ramenée ici.

« C’est la première fois que t’amènes quelqu’un d’aussi crade chez toi ? » et lui ? est-ce que c’est vraiment la première fois qu’il passe de l’autre côté des baies vitrée. il n’en sait rien. ne pas savoir ne le dérange pas. à vrai dire il y puise beaucoup de réconfort. il passe une main à l’arrière de son crâne, un tic embarrassé, et souris au-dessous des parois de son verre. « C’est que. J’y suis pour rien moi. Si on est dans ta chambre. Que t’es une jolie fille… » son ton descend progressivement quant à l’inverse le vermeil remonte jusqu’à ses oreilles. « On a le droit de rêver non ! » il s’exclame, presque sec, tant il se sent acculé par ses propres fantasmes, propres désir.