amazed

Pierrot est un ange et Max sa zélatrice.
Pierrot a les manières rustres des pourfendeurs divins. Sa main dans la sienne, Max en a le palpitant qui tremble et le ventre qui papillonne comme une adolescente dans ses premiers émois.

Les allées friponnes lui rappellent des souvenirs, les silhouettes chétives et rieuses font rouler ses babines dans un sourire mièvre, le visage cramoisi et les prunelles attentives à chaque mouvement que Pierrot exécute avec minutie.
Elle se sent spéciale, Max. Elle se sent presque en osmose avec Pierrot. Presque.

Ses lèvres se décollent à peine et la blonde engage un mouvement évasif avec sa main, léger, à peine perceptible. L'usure de ces moments, Max en a l'habitude, elle se souvient toujours de sa paume qui caresse les pommettes encore rondes des marmots, de ses doigts qui viennent s'accrocher à ses crins de blé et les paupières qui glissent jusqu'à ne pouvoir entendre que les respirations apaisées.
Ce n'est pas qu'elle déteste ça, Max. Si Pierrot lui demande alors elle dit oui, si elle dit oui,  c'est car elle peut le faire, qu'elle peut aider. C'est qu'elle aurait pu dire non, car Pierrot est tendre avec ses surnoms qui font sortir le vermeil de ses veines à ses joues.

J'ai jamais trop aimé la soupe en vrai. Dans un ton de plaisanterie, Max retient un rire et s'approche du lit. Le poupon est excité, il ne tient pas en place et murmure des secrets à Max sans baisser d'un ton. Il veut entendre la douce voix de Max et découvrir des comptines encore jamais entendues. Max n'est pas à l'aise mais rien n'est perceptible, à travers son museau retroussé et ses mains glissées sous ses aisselles.

Il faudrait dire non pour ne pas se noyer dans ce torrent aqueux au fond de ses yeux.
Il faudrait dire non pour ne pas couler au milieu de la sève qui s'échappe de son poitrail.
Mais Max fond lorsque Pierrot s'amuse des mignardises à son égard, de ces noms qu'elle n'entend qu'à travers elle. Alors Max choisit l'une des berceuses qu'elle a souvent entendu.


Max ne chante pas très fort, sa voix raille parfois et ses doigts s'enroulent autour des siens. Ils sont si fins, si fragiles, si petits.
Il finit par se calmer jusque s'endormir et Max, comme pour imiter les Mères, dépose un baiser sur son front avant de se relever. C'était comment, Pierrot ? Tu penses qu'ils vont tous vouloir entendre ma chanson ? Et elle se met à rire, car elle n'a pas besoin que Pierrot use de son pouvoir pour sincèrement sourire et ricaner, ça non.
Jamais.

C'est une étreinte délicate qui enveloppe les deux silhouettes filiformes. C'est des flots sans violence qui font battre le cœur de Max dans des boum-boum orageux.
Les prunelles de Pierrot la font frémir. De ses orteils qui se tordent dans ses baskets jusque ses paupières qui brassent l'air et de ses bronches qui cherchent à happer le même air qu'elle.
Quelle comédienne... Un souffle se transforme en rire léger. Les deux polichinelles pourraient sonner les cloches du Paradis avec hardiesse que la mélopée n'en n'éveillerait aucun d'eux.

C'est étrange, ces manières qu'on les autres de l'étreindre.
C'est étrange, ces sensations que Pierrot offre là-dessous, entre tous ces organes parfaitement positionnés. Lorsqu'elle fait un cerceau autour de ses épaules et que sa poitrine s'affaisse contre la sienne, Max peut sentir le torrent chambouler l'intérieur intact de cette charpente osseuse et visqueuse.

Moi, une Maman ?... Je crois pas, Pierrot. J'ai pas cet instinct maternelle comme vous autres... Non, ce n'est pas dans ses gênes à Max, de servir le miel dans les rêves de ces bambins et de ployer l'échine pour les embrasser avec conviction. Puis ça a jamais été dans mes projets... Tu me vois toi, Pierrot, à border les enfants et à leur nouer des tresses ?

Max pleurerait chaque départ, elle n'y verrait aucune consécration.
Max pleurerait son départ, elle ne veut pas du sacré imposé par l'Enclave.

Ce baiser sur le front finit de faire tordre ses boyaux dans des roulements abrasifs, elle à un sourire candide et s'autorise à glisser une phalange entre celles de Pierrot et de s'y accrocher comme font les poussins à la naissance. Je sais pas trop, j'ai l'impression de connaître cette histoire de quelque part. Je saurais pas trop dire, Pierrot. Sûrement un film. Les éclanches font des soubresauts, sa colonne ne s'est pas tordue une fois et son regard navigue à travers le sien. Elle peut toujours la voir lorsque la nuit tombe. Puis, elle éclaire toujours sa fenêtre et lui permet de s'endormir sans faire de cauchemar. Alors je pense que la petite fille est heureuse quand elle regarde là-haut.
Par instinct, son nez se soulève et Max détaille le plafond placardé de quelques dessins agrafés, de fausses étoiles phosphorescentes qu'elle n'a jamais pensé à récupérer ou à acheter. Si un jour je pars, Pierrot. Je vais te manquer à toi aussi ? Tu regarderas les étoiles pour te souvenir ?
Pendant qu'elle regardera la mer qui se meure à ses pieds, des constellations ensoleillées et des chorégraphies que font les manèges au fond de son être.
 

Max n'est pas perturbée par le ballet de son index contre les formes géométriques de sa face. Pourtant c'est comme un glissement de terrain au fond de son ventre, elle pourrait jurer que ses poumons se sont décrochés et sont tombés au fond du ventre, juste sous l'estomac, emmêlés dans les intestins.
Cependant, ses organes sont bien en place.
Si Max pouvait glisser une main dans le creux de sa poitrine, elle vérifierait par millier de fois si son cœur bat toujours aussi fort d'ordinaire.

Pierrot fait tonner la tristesse en cercle salé. Il n'est ni rubicond ni d'éther, c'est une sphère diaphane qui a l'apprence des cauchemars, qui s'étend de l'épicentre de son être jusque son entier.
Pierrot ne le fait pas exprès, elle ne le peut pas, de ne pas comprendre et de ne pas savoir.
Pierrot ne voit elle pas, la frimousse peinée de Max lorsque les autres ont l'air si spéciaux à ses yeux et qu'elle redevient rien. Sa place n'est pas dans les pléiades, sa carcasse sera jetée au fond d'un trou noir, déformée et oubliée.
C'est un schéma qui doit se faire pour que le cycle et ses règles soient corrects.

Je sais Pierrot. Il faut que je parte. Mais si je pars, qui se souviendra de moi ? Pierrot, tu ne peux pas te souvenir de tous les enfants, tu ne peux pas tous les aimer de la même manière. Ce n'est pas humain.
C'est ce qu'elle croit, Max. Pourtant, c'est ce qu'elle fait, Max. D'aimer tous les autres de la même manière. J'essaie et parfois ça me dépasse. J'essaie d'aimer même ceux qui ne m'aime pas.

Pierrot est désormais debout tandis qu'elle, ici-bas, pourrait s'effondrer au milieu de la nurserie, à faire la ronde autour des bambins, à leur murmurer qu'il faut s'enfuir et rêver plus loin qu'ici. Sans oublier de ne jamais tourner le dos à ses adelphes, jamais. C'est mal, de ne pas aimer tout le monde ?

Pierrot est magnétique d'une drôle de façon. Ses mouvements qui fustigent l'air ne sont ni menaçants ni perçants. Ils sont acrobates et font fourmiller son esprit des songes endormis. Alors Max sourit, à peine. C'est un rictus léger qui déforme la fossette du menton et sa nuque bascule vers l'avant un instant tandis qu'elle se relève du lit.
Les enfants ne peuvent se réveiller mais elle, elle finira par s'écrouler ici, à chaparder de la naïveté entre les doigts et de l'espoir au fond du plexus. Max ne peut pas dérober toutes ces belles choses, ce serait cruel. Je viendrais hanter tes nuits afin d'être sûre que tu ne m'oublies jamais !

C'est un rire qui ne perce pas et qui n'affole pas non plus le tintamarre dans la poitrine.
C'est un rire qui n'exploite pas l'autre en le forçant à se joindre à elle.
C'est un souffle bruyant, des traits qui s'étirent vers le haut, des doutes qui se meurent.

Elle se sent moins coupable, de ne pas être en capacité d'accueillir tout le monde dans son grenat veineux.
Elle se sent moins détestable, d'avoir de la rancœur même lorsque ce n'est pas justifiée. Ses doigts s'emmêlent contre ses reins, jouent avec la ceinture qui enrobe son bassin avec fermeté. Merci Pierrot. Je suis contente de t'avoir rencontrée, j'aime bien croire qu'on était destiné à se parler. Les étoiles, tout ça.
C'est un rire sincère qui galbe la gorge et fait tonner la poitrine. Ses yeux se plissent, rieurs. Elle ne peut pas admettre que des noms sifflent sous sa langue, ce serait admettre l'impensable.
Non, Max laisse ses yeux rouler sur le plafond avant de rejoindre le regard de Pierrot tout en sortant de la chambre en sa compagnie. Je crois que j'apprécie tout le monde ici, avec des préférences. Mais c'est injuste, de ne pas pouvoir aimer tout le monde de la même façon.

Même ceux qui ne peuvent pas être aimer, il faut savoir les laisser se lover contre soi.
Car elle, elle voudrait que tous le fasse.
Car elle, elle voudrait que le monde lui rende toute son attention sans le dire.

Un monde se referme derrières elles - Max s'en sent presque peinée.
Elle aurait aimé rester encore un peu là, à décortiquer les rêves et à s'imaginer parcourir ces vallées.
Mais Pierrot incombe et Mx suit - elle ne sait pas pourquoi, dans le fond.
Qu'est-ce qu'elle trouve à Pierrot que les autres n'ont pas ? Sa chair en frissonne, de ces idées impies.

À la place, elle écoute avec attention sa mère. Ses mots font échos à une vie qui n'est plus - dont les bribes tanguent, s'emmêlent et ne veulent rien dire.
Il faudrait retourner dans la pièce étroite, affronter ses cauchemars afin d'en découvrir les linéaments fossés - mais Max ne peut s'y résoudre, à faire face à sans-visage. J'espère, Pierrot.
Il faut garder espoir pour survivre - sans ça, Max n'aurait qu'à se jeter à la gueule des monstres, se laisser déchiqueter. Espérer encore que dans sa vie suivante, les murs de l'Enclave ne bride pas ses désirs, que la mer en soit témoin.

C'est promis, Pierrot. Je ferais tout pour l'être. L'attraction de sa paume contre elle provoque chaleur et gaieté. Le bonheur n'est pas facile à obtenir - pour Max, il se trouve dans le dehors. Je vais aller faire des exercices avant de me coucher. Demain je reviendrai t'aider avec les enfants. Mais j'utilise pas mon pouvoir, cette fois !
Pierrot dira oui, mais ça voudra dire non. Les promesses ne sont jamais tenues.
Pourquoi en faire abstraction ?
Pourquoi continue t-elle de l'aimer ?