amazed

Sohan évolue dans une vie parfaitement réglée, à la minute près. Le réveil sonne à 6:00 mais il se lève à 5:55, soit cinq minutes avant. Pas une de plus, pas une de moins. La suite de sa journée est calibrée et rien ne saurait l'y dérober. Quand le soir vient, Sohan éteint à 22:30 et à 23:00, il dort.

Ce soir, pourtant, il ne dort pas. Minuit déjà et Sohan contemple le vide de sa chambre pourtant si remplie de ses privilèges qu'il accumule. Il est en proie à ces insomnies qui lui rongent la vie depuis treize ans. Perverses et insidieuses, elles viennent le frapper quand il s'y attends le moins pour rependre dans son cœur ce poison qu'on appelle doute. Il est rare que les démons sous sont lit le frappe avant le sommeil et tendent le plus souvent à le frapper en plein milieu de sa nuit. Mais ce soir, pour une raison que même Sohan ignore, ils sont là bien plus tôt.

Il soupire mais ne lutte pas. Il accueille ses doutes et ses craintes les bras ouverts car même si elles pourrissent son sommeil, c'est bien là les seules choses qui le rendent encore humain: ses failles. Les balayer du revers de la main reviendrait à plier les genoux, abandonner sans concession ce qui fait de lui un prince, et vendre son âme au diable pour devenir tyran. Sohan ne le peut: il doit aller au Paradis.

Alors les vibrations de son téléphone et les chiffres défilant sous le nom de Ziggy lui sont apparus comme une véritable aubaine en cette nuit sombre et solitaire. Amusée par la tentative de Ziggy de tester ses limites, Sohan n'a pas eu besoin de réfléchir bien longtemps pour hacker le code. L'important, bien sûr, n'est pas sa réussite: c'est qu'il y a prit plaisir. Il est heureux de ces messages inopinés à minuit passé. Il serait encore plus heureux si Ziggy osait monter.

"Rentre."

L'index devant les lèvres pour lui tonner de se faire, le premium lui ouvre la porte de sa chambre pour le laisser rentrer. Un bref coup d'œil à droite et à gauche dans le couloir avant de fermer à clef.

"Personne ne t'a vu ?"

Sohan a conscience de ce qu'ils sont en train d'enfreindre. Bien qu'il soit de ceux qui par leur privilège se permettent certaines bavures, il connaît sa place et n'a pas envie de devoir faire face à une autorité supérieur pour justifier la présence du une étoile, après minuit, dans sa chambre.

"Dans tous les cas, bienvenue chez moi !"

L'inquiétude se dissipe sur son visage et Sohan s'est remit à sourire comme à son habitude. Il ouvre les bras pour dévoiler son petit appartement. L'entrée donne sur le salon où se trouve un canapé face à une belle télé et une petite table basse. A leur droite sur tous le long du mur, des étagères en bois où Sohan range ses livres et ses affaires. Au centre de la pièce, une table pour quatre sur laquelle trône un échiquier en pleine partie. Les nombreuses tapisseries, les draps de couleur ocre et le bois des meubles donnent à la pièce un aspect chaleureux et oriental. On s'y sent tout de suite bien.

"Tu as sommeil ? Moi non. Si ça te dit on peut jouer à la console ou mater un film." Sohan s'avance pour se laisser tomber sur son canapé. Il tapote de sa main la place à côté de lui pour y inviter Ziggy. "Pourquoi tu ne dors pas ?"

Sohan l'observe et son regard, ce soir, il est étonnamment doux. Son sourire sur ses lèves n'a rien de cruel et n'est pas celui d'un bourreau, mais bien d'un grand frère..

Les épaules de Sohan se détendent légèrement. En parallèle à la réponse de son invité, son esprit balaye toutes les possibilités des menaces de nuit. La première s'appelle Joji mais si le surveillant avait vu Ziggy, celui-ci n'aurai jamais réussi à monter. Il reste les caméras de Austin. Sohan est certain que cette petite fouine a des yeux même dans ce couloir et surtout devant son appartement.

"Non, je n'ai pas tellement peur des remontrances quant au fait de t'avoir fait monter dans ma chambre." Sohan a milles idées pour savoir comment se justifier face aux parents. Il ignore la remarque sur le fait de coucher avec lui. Il ignore la provocation et garde ça sous le coude pour plus tard. "En fait, tu risques plus gros que moi." Car Sohan ne risque jamais rien. "Cela m'embêterai que tu perdes ton étoile à cause de moi."

Il est sincère. Il aurait très bien pu le dénoncer, après la soirée, mais il ne l'a pas fait. Il ne l'a pas fait car Ziggy est un CREA et cela, Sohan doit veiller sur lui. Il a ses méthodes. Ingénieuses pour certains et discutables pour d'autres. Mais les parents les tolèrent alors Sohan en profite. C'est là la vraie nature de leur marché. Le grand frère a toute une stratégie qu'il réserve à Ziggy et être forcé de se rendre au confessionnal au cause de lui signerai sa défaite: cela n'est pas acceptable. Sohan veut des étoiles dans sa maison. Ainsi Ziggy n'en perdra pas.

"Donc soit discret, ok ? Et profite. C'est pas tous les jours que tu finis dans la chambre d'un premium."

Il ricane, apprécie le regard bourré d'envie de Ziggy. Sohan est fier de son rang, fier de lui, fier de sa chambre, fier de son empire. Il aime ce qui est grandiose et ne rougit pas face aux éloges. Il n'a pas honte de ce qu'il est de ce qu'il possède.

"Ah ? Tiens donc." Il hausse un sourcil, un peu étonné par cette confession. Il n'imaginait pas que Ziggy soit de ceux dont les cauchemars pourrissent la nuit. "Ne passe pas les détails, ça m'intéresse. De quoi tu rêves ?"

Au fond, Sohan est mal placé pour tenir de tels propos. Lui-même n'a pas l'air du mec rongés par les insomnies. Et poutant, il est minuit et Sohan est là, devant Ziggy.

"J'te sers un truc, Zi-ggy ?"

Il imite le même air effronté que son cadet.

Ziggy l'amuse. Il a en lui la fougue de ceux qui veulent vivre sans entrave. Ceux qui se battent au cœur des vagues. Il a l'air de se lutter envers et contre tout. Contre son grand frère, contre les règles, contre l'autorité et peut-être surtout contre lui-même. Cela plaît à Sohan car il aime ceux qui se sentent éternels et qui veulent contourner toutes les lois du systèmes. Mais Ziggy n'est pas n'importe quel rebelle puisqu'il dispose d'une intelligence rare. Ziggy est vif. Il a comprit les règles et s'assurent de toujours rester dans l'angle mort de celles-ci.

"Un random ? Mais tu n'es pas un random, Zi-ggy. Je te l'ai dis: je t'apprécie."

Sohan a ses têtes. Pour le moment Ziggy se trouve du bon côté de la barrière. Alors il lui sourit. Réponds à ses provocations par le rire et l'espièglerie.

"J'invite rarement les autres. Mon emploi du temps est assez rigide et je suis souvent dehors. Cette chambre, c'est mon cocon." Si Ziggy est attentif, il remarquera que Sohan semble tout à coup triste. Ses yeux plissés balayent sa pièce de vie du regard et un sourire doux perlent sur ses lèvres. Il quitte sa chambre tôt le matin et n'y reviens qu'à vingt-et-une heure pour lire, prier, dormir. Elle n'existe que pour l'accueillir après une rude journée et trouver le confort et la tranquillité. C'est sa zone de confort à lui, l'endroit où il a le droit d'échouer. En cela, peut de blocards peuvent se targuer d'avoir réussi à y mettre les pieds. "Tu as de la chance. Ce soir, moi non plus, je ne dormais pas."

Son air est indéchiffrable. C'est tout ce qu'il ajoutera.

"Fort bien. Moi j'ai faim !" Son attitude change du tout au tout pour retrouver cet air enjoué et malicieux; Joker pour certains, bouffon du roi pour d'autres. Sohan se penche pour glisser sa main sous sa table basse et en sortir un paquet de bonbons acidulés. "T'es sûr t'en veux pas ? Ce n'est pas empoisonné, tu sais."

Il ricane avant d'en attraper une poignée à avaler. Ziggy se confie sur son rêve et Sohan écoute en silence. Il faut accueillir les mots des plus jeunes religieusement. Les petits frères peinent à se confier aux grands, alors il faut respecter quand il le font.

"Hm..." Il cesse de mastiquer ses bonbons suite à la dernière phrase de Ziggy. Il a hésité entre mâchouiller plus fort pour l'embêter mais Sohan s'est dit que ce n'était pas le moment de plaisanter. Cela a même l'effet inverse que de lui couper l'appétit. "Et bien. Toute une ambiance, dis-moi. T'as pensé à en écrire un livre ?"

Mais Sohan ne peut se résoudre à faire autre chose que plaisanter car faces à cette confession glaçante, il n'y a rien à dire. Le ton est sarcastique mais les yeux sont emplis d'empathie.

"Et avec Félix ? Ca avance ?"

Il n'a pas de mots réconfortants ou de paroles pleines d'espoir pour lutter contre les cauchemars. Il y a deux raison à cela. La première, c'est qu'il sait très bien que Ziggy n'a rien d'un enfant qu'il faudrait prendre dans ses bras et rassurer face à la terreur nocturne. La seconde, c'est que Sohan lui-même est victime d'insomnies aux couleurs d'angoisses et il sait qu'un tout ira bien ne servirait à rien. Cela ne sert jamais à rien. Alors il s'épargne ces efforts inutiles et préfère proposer à Ziggy de se changer les idées et proposant un nouveau sujet: Felix.

Le ton est sarcastique car les mots de Ziggy le sont toujours, mais Sohan croit décelé une pointe de sincérité. Il ne s'y attarde mais cela le fait réfléchir. Rendre les autres exceptionnels, mettre en lumière ses adelphes, faire resplendir les abeilles... C'est là le moteur des ses actes depuis des années. Peu s'en rendent compte puisque Sohan lui-même sort de l'ordinaire et brille comme le soleil. Pourtant, c'est vers autrui qu'il est toujours tourné. Son  succès est la résultante de ses actions mais elles ne sont jamais motivés par la gloire personnelle. Sohan est avant tout fidèle aux autres. Il a besoin des autres.

"De rien !" Il sifflote doucement, avale un bonbon et le fait jouer sous sa langue. "Et qui te poussait dans la gueule du chien ? Tu m'as dis qu'il s'agissait de connaissance."

Sohan se demande s'il voyait son visage dans son rêve. Ca l'amuserai beaucoup. La conversations s'engouffre dans le sujet qu'ils attendent tous et qui se prénomme Felix. Mais Ziggy ne mord pas à l'hameçon et ne révèle aucun secret susceptible d'intéresser son grand frère. Il va falloir creuser.

"Tu as le droit de dire que tu es amoureux de lui." Sohan hausse les épaules d'un air détacher mais son regard est espiègle. Il ne croit pas une seule seconde que Ziggy l'aime juste bien. "Je ne dirai rien à personne. Ce n'est pas honteux. C'est important, d'aimer."

Sohan aussi a été amoureux.

"Hmm…" Il fini d'avaler la sucrerie. L'acidité lui brûle le bout de la langue. Il aime ça. "Pas que parmi les CREA."

Avant-hier, Kafka a perdu son étoile. Sohan était très en colère.

"Tout d'abord je crois qu'il est important de connaître les siens. Si en temps que grand frère, je ne m'intéresse pas à vous, je ne suis pas digne de mon titre. Bien sûr, nous sommes une maison et l'entité de groupe est importante, il faut que les CREA resplendissent et que tout se passe bien. Mais imposer ça sans réfléchir, c'est oublier que cette maison est composée de personnes toutes uniques en leur genre. Si je veux être un guide, je dois respecter ça. Sinon, je ne serai qu'un tyran et la maison finira indéniablement par couler."

Ne pas respecter ses sujets, c'est prendre le risque d'une révolte. Sohan ne veut pas voir sa tête au sol.

"Dans le fond... je m'en moque que vous ne soyez pas tous étoilés. Chacun à ses propres aspirations et ses propres envies. Je respecte ça. Toi par exemple: tu veux rester invisible, soit ! Tant que ça n'interfère ni mes plans ni la ligne directive que je veux donner au CREA. Je te reprends quand tu déconnes tout en te laissant une marge de liberté et tout le monde est gagnant."

On ne peut sauver tout le monde. Sohan ne se croit pas messie comme Robin ou Paris. Il veille sur les CREA car c'est ce que le Père attends de lui. Ainsi, il ira au Paradis.

"Mais c'est clair que c'est hyper fatiguant parfois ! Surtout avec des énergumènes comme toi."

Il s'étire de tout son long, les bras au dessus de la tête, avant d'offrir un clin d'œil à Ziggy.

Le tonnerre grondait mais Sohan ne le voyait pas. Alors quand la pluie s'abat et que les éclairs tombent enfin, il se fige. Il ne bouge pas, il ne faut surtout pas. Sohan a le sentiment qu'au moindre mouvement, il pourrait mourir. Ziggy se déchaîne, les mots sont criés, crachés, vociférés avec rage et menace.

Sohan laisse faire, observe la scène. Il accepte les coups sans broncher. Il ne quitte pas Ziggy du regard, et même quand un totem à son effigie tombe au sol en un cliquetis angoissant, Sohan ne sourcille pas.

Lorsque l'orage cesse, l'ambiance pesante disparaît tout à coup. Se gavant de bonbon, Ziggy ne ressemble plus à la même personne. L'atmosphère de la pièce, elle, n'a plus rien de lourde.
Décidemment.
Quel garçon étrange.

Sohan accueille tout cela en un silence prudent. Il observe encore un peu, n'entendant que les bruits de mastications des bonbons que Ziggy a avalé goulûment. Quand il sent que c'est le moment, Sohan se penche pour ramasser le totem qui lui ressemble. Il l'observe, le tient entre son pouce et son index.

"Ca fonctionne comme une poupée vaudou ? Si tu le plante ou lui tort le cou, je meurs ?"

Le ton est curieux, un peu rieur, comme si rien ne s'était passé. Sohan se relève et place le totem dans sa poche. Il n'a pas envie de prendre de risque avec Ziggy. Il fait quelques pas vers la porte, ne dit toujours rien quant à Felix. Il donne l'impression qu'il va lui demander de sortir.

Mais finalement, Sohan ne fait rien de tout cela. Il se retourne enfin et vient s'appuyer sur la table où le jeu d'échec trône. De toute sa hauteur, il contemple son frère. Son visage est toujours aussi sérieux.

"Je crois qu'on s'est mal compris, Ziggy." Sohan affiche un tout nouvel air. Ni enthousiaste ni cruel. "Je ne me moque pas de toi et je ne me crois pas drôle."

Pas sûr ça.

"Qu'importe ce que tu ressens pour Felix, assume le. Si tu en as honte, tu n'en es pas digne, et dans ce cas, tu peux partir. Je ne te veux plus chez moi."

Sohan le dévisage avec froideur. Ziggy peut prendre la porte, il ne le retiendra pas.

"Moi-même, j'ai été amoureux. Il n'y a aucune honte à aimer."

Ceux qui le pensent sont minables.