amazed

Ses doigts s'amènent jusqu'à son museau dans une contemplation calme,
presque religieuse.
Naseaux qui gigotent, hument et prennent l'information.
Le flux grimpe et trace sa route jusqu'aux récepteurs sensoriels.
S'écrasent au plafond de ses synapses l'odeur de peinture
de texture de pigments rassemblés
de nuances écrasées puis touillées longtemps pour former l'épaisseur indélébile qui s'écarte en filaments entre ses doigts comme autant de fils d'araignée.
Couleur luisante, affamée, foncée.
Lune rousse sous sa pulpe dont le croissant ne cesse de former la grimace étrange au recoin de ses lèvres sèches.
Ses yeux se ferment.
Sensation grasse d'huile qui s'effeuille.
Rouge limpide, éclatant et serein
comme le tranchant du couteau.
Couleur chaude, vibrante et remplie de nuances.
Remplie d'un peuple réduit en poussière
Remplie d'un carnage qu'il connaît déjà.

Cet imposant rituel l'appelle mystérieusement.
Semble siffler à son lupin de le rejoindre.
Loup s'en recouvre donc le visage.
Il plaque sa paume sur sa joue
puis étale grenat contre os
contre le nez
contre son menton.
Il s'illustre de symboles étranges.
Semble vouloir dessiner l'entièreté d'un univers dont les lois et les contours ne sont définis que par l'angle ciselé de sa mâchoire fermée.
Et tout de gauche à la fois
il étale.
Il écoule le pigment qui se décalque de ses doigts jusqu'à sa figure.
Moitié de regard recouvert par amarante.
Son masque lui donne des airs de colère assourdissante.
Mais tout en lui est calme.
Tout en lui est un fracas silencieux
tout en lui n'est que vide.

Face à la toile vierge
la gueule fardée d'écarlate
un gamin aux cheveux noirs le pointe du doigt.
Il désigne le ravage dans un rire qui tremble et fait suffoquer sa propre gorge.
Les mots sont interdits et tout le monde le sait pourtant.
L'accusation révèle le fait à tous les autres
qui à leur tour tournent le visage
observent l'animal maquillé de son massacre paisible
comme on regarderait un drôle de tableau.
Loup ne voit pas
il ne voit pas ces regards
mais il sent leur odeur.
Et sous sa paupière couverte d'incarnat
la pupille bleue de son œil se met à luire.
Elle luit comme le couteau de son masque rouge
scintille comme faucille sous toison ébène.

Le poing se dresse trop vite.
Court embrasser la porcelaine d'une dent.
Sourd à l'avertissement
le vide qui fut jusqu'alors s'est rempli d'un carmin furibond.

Un bref instant
Il y eut une ombre.
Si rapide et vivace qu'elle eut l'effet d'un rapace sur sa rétine.

Tout en lui s'arrêta face à l'assaut silencieux.
Face à la texture pliée sous la force de ses propres phalanges.
Non
Non.
Ce n'était pas prévu comme ça.
Ça ne devait pas être toi.

En son lui l'écorce de puissance abritée sous le ventre s'étiole de désarroi.
Le rire est parti mourir quelque part dans les abysses.
Quelque part où Loup ne sera pas atteint.
La sécheresse n'atteint pas non plus la surface de son regard écarquillé.

Deux points rouges qui ne le regardent jamais. Jamais vraiment.
Semblent fuir quelque chose eux aussi
mais pas lui.

Sa poigne se déloge de la mâchoire illégitime, retourne au repos.
Les muscles du trapèze perdent en hauteur, perdent leur vigueur.
Peu à peu chaque veine retourne se tapir sous la peau.
Comme toujours, le monde s'écarte à reculons autour de Loup.

Mais il y en a un qui demeure.

- Asmo.

Il répète
s'ancre sur terre.
Asmo.
Oui
Asmo, je connais.

La furie, progressivement disparaît.
Arrive alors autre chose, et ça,
Loup ne sait pas bien gérer.

- Pardon.

J'ai recommencé.