amazed

(RP PRENANT SUITE DIRECT AU PANIC!)

C'était l'effervescence au sein de la fourmilière : les agitations des uns suscitaient la panique chez les autres. Les phénomènes de foule sont les plus compliqués à gérer, l'aliénation des voix qui résonnent les une dans les autres ne permettent jamais la clarté du discours. Argo, elle, regardait la scène d'un oeil presque désincarné. Elle se voyait dans les étoiles, assistant à la scène loin dans le ciel, là où rien n'importait.
Tout lui semblait poussière, les terreurs de Luke ne paraissent pas si graves de tout là-haut, et les cris incessants ne sont pas si oppressants quand on n'y tend plus l'oreille.
Son expression était assez neutre ; non pas qu'elle était imperméable à la panique générale, seulement ses traits ne trahissaient pas la tornade qui soulevaient chacun de ses tracas pour les envoyer cogner contre chaque paroi de son encéphale.

« Alfie ! Attends » Elle ré-atterit brutalement sur Terre quand elle le voit prendre suite de Tay, Robin et Luke. Il fallait qu'elle lui parle, qu'elle le regarde, qu'elle s'assure que tout aille bien pour lui.
Plus important encore, il fallait qu'elle sache ce qu'il s'était passé.

« Tu-, je veux dire, tu vas bien ? Tu n'as rien, toi ? » Elle pose ses mains sur les épaules du garçon et les yeux fous d'Argo en détaille chaque parcelle, à la recherche d'une anomalie — bien heureusement absente. Puis, elle l'enlace fort.
« Luke est pris en charge, ça ne sert à rien d'être à quinze autour de lui. Reste avec moi, tu veux ? »

« Oui. J'en suis sûre, laisse le partir.
Il n'a pas besoin de toi, ni de nous, pour l'instant. » Argo s'accroche à la main d'Alfie comme du lierre sur une façade, elle escalade doucement son bras pour rejoindre finalement son épaule. Elle la presse doucement, d'une fermeté rassurante mais assez autoritaire pour l'inciter à rester en arrière.
Argo avait besoin de lui ; plus qu'il n'avait besoin de pleurer Luke.

« Je t'emmènerai à l'infirmerie, ne t'inquiète pas. » Elle retire sa main pour la laisser flotter comme ça, un instant, avant de baisser son bras. Elle a les lèvres pincées comme si ses mots ne voulaient plus sortir. Elle regarde un instant l'eau couler et effacer tous les péchés des heures précédentes. C'était une belle image, Argo pensa pour elle-même. Elle resta un instant, comme ça, contemplative. La soirée eut l'effet d'une explosion atomique, il ne restait aux spectateurs que leurs yeux pour en apercevoir le champignon de fumée, attendant comme à l'abattoir les retombées dans l'air et les fumigations insalubres.

Il faisait beau ce soir — ça ne durera pas.
« Arrête ça tout de suite, Alfie. C'était un défi qui a mal tourné, c'est tout. Te flageller en boucle ne changera pas la donne. » Elle se rapproche de la rivière et y trempe les doigts, doucement. De ses avants bras fleurissent des narcisses — ils se tournent vers l'eau alors qu'Argo se relève vers Alfie. Les fleurs meurent presque dans l'instant.
« Luke ira bien.
Toi, par contre, je ne sais pas. Je me demande, qu'est-ce qu'il se passe dans ta tête, Alfie ? Dis moi, à quoi tu penses ? »

Dans les yeux d'Argo il y avait des lueurs froides ; en reliquat d'une enfant sauvage, dans ses iris des phares guidant les âmes perdues. Argo n'est pas Charon, elle n'attire pas toutes les âmes esseulées pour leur emmener sur son rafiot de fortune et leur offrir des colliers de fleurs. Elle aime sa liberté : sur son rafiot, il n'y aura sans doute qu'elle. Max, peut-être, dans un élan d'amour.
« Pas moi. » Elle le voit à la lueur d'une nouvelle bougie ; Alfie a quelque chose d'un carriériste, il exhale cette énergie propre aux égoïstes, aux conquérants. Argo lui sourit, doucement avec une tendresse jolie. « Je ne me rappellerai pas que de Luke. »

« Tu n'aurais rien à y 'gagner', si tu voulais rester là où tu es, je pense. De là où je me situe, il faut que je regagne mon étoile, même si ça n'a absolument aucun sens, pour moi. » Elle essaie de se caler sur les rochers, s'y installe et en fait son siège de fortune. Elle semble être parfaitement à sa place : parmi la verdure, le bruit de l'eau pour bercer ses paroles, l'odeur du sous-bois qui se mélange à celle d'Argo (elle semblait toujours exhaler une odeur d'herbe coupée, de menthe poivrée, de lavande, peut-être ?)

« Ne t'en fais pas pour ça, je ne sais pas si ça sert à quelque chose d'y croire encore.
Je ne suis pas pessimiste, au contraire. Je me demande juste si y accéder vivante est possible. » Elle ferme les yeux une seconde, les réouvre pour fixer Alfie. « Excuse-moi, je voulais pas être morbide- c'est pas trop le moment.
Viens, assieds-toi, on ne glisse pas tant que ça sur les rochers. »

Elle laisse échapper son sarcasme, qui vient se noyer sous le bruit des ruissellements. Bien sûr, qu'il y a toujours ces foutus étoiles au dessus de leur tête, c'est leur épée de Damoclès. Argo ne rêve que de s'y soustraire, pouvoir retirer sa tête de la guillotine astrale qui pend juste en haut de son cou — peut-être devrait-elle en couper elle-même la corde ? Elle connaîtrait son échéance, ainsi.

« C'est gentil de dire ça, merci, Alfie. » Argo aime qu'on croit en elle. Elle aime qu'on lui dise qu'elle est belle, qu'elle danse bien, qu'elle résout bien ses oxydoréductions, qu'elle fait de parfaites boutures et que ses fleurs sont les plus jolies et les plus odorantes. Ça ne vaut rien, quelque part, pour elle, mais l'ego est une chose puissante. Argo aime se sentir aimée ; elle qui pourtant a tant de mal à aimer le reste.

« Ne sois pas si dramatique, enfin. Je ne te dis pas que je vais mourir demain ! » Elle lui tend sa main pour lui prêter aise à s'asseoir. Elle réfrène un sourire quand elle le voit frôler la chute, et se contente de fixer longtemps l'eau couler. Le rocher d'Argo commence à se couvrir de mousse, puis de petites fleurs bleus viennent y pousser, donnant au tout l'aura d'un microcosme, d'une petite planète, dont Argo serait déesse-soleil.

Argo parfois s'imagine qu'on lui arrache ses pétales, un par un. Elle en avait plein, au tout début de sa vie, de toutes les couleurs et de toutes les formes. Argo était toutes les fleurs, concentrées en un seul pied, un seul plant, une entité. Et puis, petit à petit, sans que les saisons s'y mêlent, une main venait lui arracher ses pétales. Elle s'imagine toujours que c'est le Père Suprême, armé de ses gants, qui vient lui tirer ses pétales, dans le simple but de la faire souffrir.

Une fleur se défend pas. « Je ne sais pas, tu n'as jamais pensé à ceux qui sont partis avant leur trente ans ? Comment ont-il pu être jugé admissibles au Paradis ?
Enfin, je ne sais pas, j'y pense, parfois, c'est tout.

Tu ne devrais pas faire cette tête, tu ne devrais pas être triste. Je veux dire, tu as gagné tes défis, c'est nul qu'il n'y ait plus d'audience pour le reconnaître. J'espérais vraiment que tu puisses profiter d'une bonne chose, pour une fois.
Il y eu aura d'autres, j'en suis sûre. Je te le promets. »

Argo souveraine sourit quand elle croise le regard d'Alfie. Il semble en paix, maintenant. Les turbulences de ses sanglots se sont calmés et le voilà de nouveau tel qu'elle avait pour habitude de le reconnaître — plus volatile, moins Argo et plus Alfie. « C'est marrant, j'ai l'impression qu'à chaque fois que l'on se voit, je finis toujours par de poser des questions sans réponses ! » Elle trempe ses doigts dans l'eau de la rivière et en projette quelques gouttelettes sur Alfie ; à la rupture du contact entre sa main et le rocher, son petit cosmos vert prend fin, le rocher redevient rocher. « Je te jure que je suis pas toujours aussi reloue, avec mes questions. »

Elle se rejoue en son esprit le mélodrame d'il y a quelques instants, celui-là même où tout semblait prendre feu, Luke agonisant sur les même pierres sur lesquels ils sont assis, Alfie sous le choc et Robin tûtelant la scène. Surtout, elle revoit Luke ne refermant pas ses plaies, elle revoit le sang couler — elle revoit la fin d'un paradigme. Elle y voit la fin hypothétique de ses souffrances bien trop concrètes. Elle n'y voit plus Luke : elle y voit la Mer.

« San soucis, golden-boy. » Son regard se perd sur le décor autour d'eux. La nuit est belle. « Je- » Elle s'interrompt. Argo est douée pour s'ouvrir, si peu pour se confier. Elle racle sa gorge et expire tout l'air de ses poumons. Elle fait jouer son doigt dans le cour d'eau, la fraîcheur du courant la fait frissonner. « Tu- ... Comment dire ? Est-ce que tu voudrais- Non, ce n'est pas ça ...
Tu partirais, si on trouvait la sortie ? Si on arrivait à s'évader d'ici, de l'Enclave, qu'est-ce que tu ferais toi ? »

Qui leur ouvrira les yeux, quand elle sera morte ? Qui leur dira de regarder autour d'eux, de se rappeler que le monde est vaste et qu'ils sont en cage quand ils auront fini d'arracher tous ses pétales ? Qui rappellera au monde de continuer à respirer quand ils auront tous la tête sous l'eau ? Qui, si ce n'est Argo, pourrait les convaincre que l'eau de la rivière est trop douce, qu'ils sont comme des insectes attirés par les odeurs sucrés des poisons qu'ils répandent dans les fleurs et dans les airs ?
Argo est une vraie fleur : les autres ne sont qu'imitations nocives. Et plus personne ne pourra les sauver quand on aura tué la pousse sauvage. Non, elle le sait, elle s'en convainc seule : si personne ne les force à éclore, ils mourront tous. Peut-être allumeront-ils eux-même les flammes sous les bûches du bûcher ou ils la feront mourir. Argo crèvera et peut-être que tous ceux qui l'ont prise pour une folle allumeront les premières flammes.

« Peut-être que tu devrais continuer de rêver. » Elle ne tire aucune jouissance à faire souffrir Alfie. Ouvrir les yeux est toujours une épreuve douloureuse. Argo, elle, n'a jamais pu les fermer. Il y a, tout autour d'elle, comme un buisson, des belladones qui poussent. Argo est un fruit empoisonné : qui s'y goûte n'en dort plus. « Je veux juste que tu me promettes une chose.

S'il doit m'arriver n'importe quoi » et il m'arrivera sans doute quelque chose, « j'aimerai que ce soit toi qui m'achève. J'aimerai que tu amplifies mon pouvoir et que je me change en arbre. Un séquoia, ou un sapin peut-être. Je trouverai bien. » C'est comme si je serais toujours là dans un sens.