amazed

il y a
trois arbres sur le chemin du Paradis.

des sentinelles d’une splendeur capricieuse. leurs branches n’étreignent pas de fruits mais pour Elys, les choses ne se contentent pas d’être réelles ; elles doivent être imaginées, car il est parfois possible de palper l’invisible si on le veut réellement. il convoque alors les fruits qu’il désire - en fonction de ses envies, mais aussi de son appétit. aujourd’hui, trois pommiers s’il vous plait ! trois pommiers, oui, mais pas seulement. trois arbres-gâteaux aussi, où les feuilles sont des crêpes moelleuses, drapées de sirop d’érable. mais attention, trois poulaillers se dressent également – et là, horreur, les poules sont pendues aux branches, les yeux ronds comme des billes et les plumes en déroute.
Elys est affamée !

il y a trois arbres sur le chemin du Paradis, mais il y a aussi des anges et des Mamans, ou peut-être que ce sont deux visages d’une même étoile ? il n’en sait trop rien, mais il reconnaît Heya de loin - elle ressemble à quelque chose qui descend des cieux, mais pas qui est tombé du ciel, car alors elle serait broyée, éparpillée. sur le chemin du Paradis, si Heya tombe du ciel, ça fait de la compote. l’idée d’elle écrasée le terrifie autant qu’une éclaboussure de confiture - car il préfère le chocolat !

lorsqu’il s’approche, elle a des branches dans les cheveux et des vers qui rampent hors de ses narines en une procession sinistre. c’est une pomme pourrie ! pas assez digne du Paradis, pense-t-il. alors, avec une détermination farouche, il la pose délicatement sur une cheville de bois, empoigne son club de golf argenté et l’envoie, hop, loin, loin, loin dans le ciel. au revoir, Heya !

bonjour Heya ! il a cligné des yeux donc elle n’est plus une pomme mais une Maman. une Maman occupée, les bras pleins de prospectus colorés qu’elle distribue avec une énergie vibrante, elle a l’air d’aimer ce qu’elle fait. Elys penche la tête sur le côté. depuis combien de temps est-elle là, cette Maman enjouée ? ses bras chargés de dépliants semblent refléter toutes les nuances de l’univers. ses pieds sont fermement ancrés au sol, et les empreintes de ses chaussures dessinent un motif sur le gazon, témoins d’un séjour prolongé. alors Elys conclut : il y a quatre arbres sur le chemin du Paradis !

sur le quatrième arbre, il cueille l’un de ses fruits : une feuille qu’il dérobe avant de s’enfuir un peu plus loin. il la scrute avec une attention minutieuse, une curiosité insatiable. puis, il revient, l’air effronté. qu’est ce que tu fabriques ? il agite le prospectus au dessus de sa tête. on monte une association ? et le voilà qui s’insinue comme un termite dans son vieux tronc. avec lui, ce n’est jamais longtemps “tu” mais trop vite un “on” débridé, un nous qui se tisse dans les recoins de l’Enclave trop individualiste à son goût. Elys n’est pas un arbre, juste une petite graine espiègle ou bien un oiseau qui ramasse les brindilles au hasard pour nicher ses nids.

quand Heya naît, elle porte un ruban éclatant pour lui tenir la colonne vertébrale, parce qu’il faut toujours faire attention à la posture des bébés ! si Elys était une Mère, elle emballerait les enfants dans du papier cadeau argenté pour les semer dans l’Enclave. des cocons étincelants prêts à éclore. un par ici et un par là, elle avance les yeux fermés et fait de grands pas de pantin désarticulé. elle pose les bébé-cadeaux au hasard car elle croit en l’égalité des chance et sait que les vraies étoiles ont leur place dans le ciel ou dans les yeux plutôt que sur un col. alors les voilà, les petits paquets disposés partout autour. Elys ne met que quelques secondes avant de s’apercevoir que ce sont des pierres tombales.

tous les bébés sont morts mais au moins Heya offre des cadeaux, alors les obsèques deviennent trop fugaces pour se permettre d'inviter mesdames les larmes. merci Heya ! que c’est sympa ! mais moi je n’aime pas trop la publicité mensongère, je vais lui trouver un meilleur endroit où loger à ton gentil autocollant ! il a l’index sur le bout du nez, feigne la réflexion profonde. tiens voilà j’ai trouvé ! il décolle la surface adhésive et plante le sticker au milieu de son front. comme ça tout le monde saura qu’on est collègues ! tu aimes ? mais Elys ne lui laisse pas le temps de répondre, il empoigne ses prospectus et s’en va en mission.

sur la Grande Place, il agite les feuilles comme un drapeau pirate sur l’océan. il a pris l’habitude de se donner en spectacle et met du coeur à l’ouvrage. avec l’enthousiasme d’un clown sous acide, il se trémousse et virevolte, fait danser les feuilles en une farandole frénétique. sa routine est aussi agitée qu’un bonbon à la menthe dans une rivière de soda. il distribue trois prospectus avec l’élan d’un jongleur un peu éméché, ses gestes aussi chaotiques qu’un feu d’artifice dans une boîte à musique. mais voilà qu’en plein tourbillon de pirouettes, une pensée cruciale surgit : il a oublié de prévenir Heya d’une chose super méga extrêmement importante ! misère ! c’est ce qu’il aurait du lui dire depuis le début, si seulement il y avait assez de place dans son esprit pour ses propres pensées ! tant pis, il fait demi-tour et se dirige vers elle d’un pas décidé.

tu t’es trompée. là. c’est pas comme ça qu’on dit. là-haut, c’est une Suprême. pas un. tout est annoncé avec la logique des histoires et si on lui demandait de se justifier, Elys ne chercherait pas ses mots dans le brouillard. car c’est évident, qui d’autre qu’une femme aurait pu enfanter tous ces blocards ? ne sont ils pas tous Sa progéniture sacrée ? ou bien finiront ils eux aussi asphyxiés dans le papier argenté ?

il pleut, il mouille, c’est la fête à la gre- BOUM ! Elys trône dans le creux d’un chou mais sa tête est un jardin en fleurs, tout rempli de roses. elle en rêve la nuit, s'en va à leur recherche le jour ; des roses blanches, des roses roses, des roses bleues, comme elle. immense, elle est, Elys, trop grande pour ce monde là. ses grandes mains et ses longs pieds l’encombrent, la gênent. elle s’accroupit tout près des pousses, les observe à travers une loupe qui lui fait un oeil gros comme une planète, leur chuchote des histoires pour occuper leurs esprits.

elle leur raconte tout doucement avec l’intimité de la confidence : vous saviez qu’Heya accorde à ce qui nous garde l’idée de son idéal protecteur ? elle est marrante, Heya, avec ses croyances farfelues. mais je ne lui en veux pas, car moi aussi, je porte parfois ma boussole à l’envers. Elys ne touche jamais les roses lorsqu’elles grandissent, car en attendant leur maturité c’est elle qui porte les épines. il pleut, il mouille, c’est la fête à la grenade. toutes les roses éclatent, Elys s’est assise dessus ! ou bien est-ce Heya qui a tout piétiné ? il pose les pieds sur les chaussure de Maman et relève la tête vers elle. quoi ? malade ? non, je ne suis pas malade, pas du tout ! si j’étais fiévreux, cet autocollant entre mes deux yeux aurait pris feu !

mais on ne l’écoute déjà plus. Heya, toujours occupée à prêcher la bonne parole, agrippe ses prospectus comme si elle voulait garder tout l’amour de l’Enclave pour elle seule. il se demande si quelqu’un a déjà aimé Heya comme elle essaie d’aimer tout le monde, et cela l’amuse. il se lève de la barque que Maman a laissée au milieu de l’océan tandis qu’elle navigue au loin sur son paquebot. Elys agite les bras, saute, mais ne coule pas. HEYA ! tu n’auras jamais, jamais, jamais assez d’amour pour tout le monde ! jamais, jamais, jamais ! c’est ce qu’elle lui hurle, mais Maman est trop loin devant, et le vent couvre sa voix cristalline.
Elys plisse les yeux et se rassied.
il se relève.

ses longues jambes l’emportent rapidement vers Heya. il lui tourne autour comme un bourdon, mais avec des ailes de libellule et des taches de girafe. bonjour, Heya ! s’exclame-t-il, tandis qu’il lui dérobe ses feuilles avant qu’elle ne puisse réagir, les envoyant tourbillonner dans les airs. il pleut, il mouille, c’est la fête à la Suprême ! Elys danse sous la tempête de papier, sourit de toutes ses dents. il renverse la tête pour regarder Maman, qui flotte à l’envers, mais cela ne diminue en rien son rictus – elle doit le voir tout retourné, elle aussi ! est-ce que tu t’es déjà imaginée à sa place ? demande Elys, en gardant entre ses doigts l'un des papiers sacrés. Heya sait de qui il parle : ce qu’elle aime appeler un il.

ce qu’il y a de plus similaire à un corps humain, c’est un cornet de glace. sous le soleil capricieux, le visage fond comme la crème et ça commence toujours par le menton. les commissures s’affaissent, descendent chatouiller la mâchoire, laissent des traces comme celle sur les marionnettes qu’on doit contraindre à faire parler. on ne peut pas être divin et physique ? Elys pose la question à voix haute mais il est déjà convaincu de la réponse. si elle était réellement négative, Kiki n’existerait pas. et puis je ne répands pas le mal. il lui répond sur un ton de petit ruisseau mais c’est seulement car il a chassé la tempête lui-même. Heya l’a presque vexé.  

c’est d’accord, Elys imitera tes lèvres avec la précision d’un ballet, conscient de combien cela te ravit lorsque les enfants se transforment en échos de ta personne. est-ce que cela te fera te sentir un peu moins seule ? il parle d’une articulation exquise, comme lorsqu’il joue chez le médecin de la parole. jeee… n’aaaiii… paaas… il fait comme ça, insiste sur toutes les voyelles pour en faire une chanson. je n’ai pas je n’ai pas je n’ai pas quoi ? faim ! ni très envie de te faire plaisir Heya, car ce n’était pas gentil de me prendre pour un vilain. mais ça, Elys l’enferme au fond de son coeur. ce qui serait encore plus méchant, ce serait de l’exprimer. son visage se rapproche de celui de Maman couleur de lait, et il observe ses cils battre. c’est joli ce mouvement, c’est le même que le chef d’orchestre devant ses musiciens, mais lorsqu'il se penche davantage, il découvre que ce sont en réalité des aiguilles scintillantes. c’est dangereux ! si Heya laisse échapper une larme, elles risquent de rouiller dans leur chagrin.

il peut sentir la chaleur réconfortante de ses mains sur ses épaules, mais quand il ose jeter un regard, ce sont deux gigantesques pinces de crabe qui le surplombent. c’est vrai qu’elle a de la poigne cette Heya. c’est la reine sans son roi et le petit prince qui dit à chaque couplet qu’elle reviendra le lendemain ! Elys se demande toujours quel jour nous sommes, au final ce n’est pas bien grave - après tout, la différence entre un lundi et un jeudi se résume aux trois premières lettres. trois comme ces arbres sur le chemin du Paradis. Elys est heureux. là, tout a de nouveau un sens.

moi je dis qu’il te manque d’imagination alors ! moi je dis que ce n’est pas l’envie qui te manque ! moi je dis que je te vois bien à sa place, je suis sûre que tu ferais mieux attention à tout le monde. Elys sait déceler le désespoir dans les yeux des blocards, cela arrive bien trop souvent ces derniers temps. et puis tu serais enfin une vraie maman. car si Heya parle d’un père qui leur est commun alors n’est elle pas plutôt sa soeur ? il réalise qu’il a très envie de voir dans sa tête.

Elys ne mange jamais trop, car il garde de la place pour les desserts. il aime surtout le flan - nature, sans oxydants ! car c’est celui qui a l’air le plus accueillant, le plus confortable. le sucre est compagnon espiègle, il le garde éveillé, le tire hors de ses rêveries et le propulse dans un ailleurs glucosé. d'une certaine manière, son amour des douceurs se reflète dans sa propre capacité lorsqu’il n’en est pas l’esclave. on sent le sucre sur le bout de la langue, ce début gentil qui envahit les papilles comme une caresse. ça suffit à Elys, il se dit que c’est assez pour le rassasier. mais oh, combien souvent il se retrouve affamé de choses impossibles à avaler : comme l’amour d’une mère qui décide de le punir. l’amour véritable, pas celui qu’on imite. comment blâmer Heya ? elle croit bien faire, pense qu’elle est faite pour ça, diriger et modeler les autres selon sa conception du système, ou du moins, quelqu’un a dû lui faire croire qu’elle était détentrice d'une vision unique qui lui est propre. Elys voit à travers tout cela, il sait qu’elle n’y peut rien. il n’est pas fâché et accepte la punition. s'il devait compter, il dirait qu’il a reçu six cent quarante-trois leçons ! ah ! que dirait Heya en apprenant qu’elle est loin d’être au sommet de la liste ? elle a l’air de ces gens qui adorent se croire importants dans l’univers des autres. très bien, Heya, je prends ta volonté, je ferai comme tu le veux, mais sache que cela ne m’empêchera pas de recommencer, tu le sais bien. alors, est-ce que ça te convient de tourner en rond comme un hamster avec moi ? si ce n’est pas le cas, ne t’inquiète pas, bientôt, je m’en irai.

il marche sur ses traces, déterminé à conclure la conversation, car il déteste quand les choses restent en suspens, même s’il s’y est fait. il préfère quand c’est le début qui disparaît en confettis, permettant d’arriver à n’importe quel moment - c'est beaucoup plus rigolo quand on peut sauter à pieds joints dans les cerceaux du scénario ! malgré tout, Elys se donne du temps pour concocter une réponse digne de ce nom. dans les arbres, les écureuils se croient révolutionnaires, brandissent des pancartes comme des drapeaux de protestation. ils scandent en chœur à Heya : pas toi ! pas toi ! pas toi ! ce n’est pas vraiment courtois alors Elys les ignore poliment. et puis après tout, il n’est pas certain d’être entièrement en phase avec eux. une vraie maman ? c’est ce j’aurais aimé devenir, pour rester avec tout le monde, pour continuer à m’occuper des autres. pourquoi tu demandes ça ? tu trouves que t’es pas une vraie maman ? c’est les autres qui t’ont dit ça ? tu veux que je fouille leur tête pour vérifier ? je suis sûr qu’on rêve beaucoup de toi ici ! alors, tu veux ? hein dis, tu veux ? Elys ment comme il sait faire. toi Heya, c’est dans les cauchemars que tu apparais.

Elys est mère porteuse de tous les songes, la Maman des yeux fermés. l’étrange magie de donner la vie éclaire ses temps d’une douce folie. un bébé se cache dans chaque recoin de l’Enclave - Elys rêve d'un jeu avec Heya, celui de retrouver ces trésors, de vérifier, par cette quête, sa légitimité en tant que Grande Maman. ah ! quelle audace ! quelle légèreté ! ici, les enfants rêvent de douceurs, d’amour chaud chocolat et de machines ailées pour survoler le Labyrinthe. ils ne rêvent pas des entraves ni des ombres, on laisse ce qui nous enferme dans les abysses de nos nuits tumultueuses. on ne rêve pas de ce qui nous enferme ni de ce qu’Heya adore. Elys le sait, il ne se donne pas l’occasion d’aller tout déterrer. c’est aussi ce qu’il tire de son métier - on laisse à la terre ce qui lui appartient, on ne peut pas réclamer les fruits trop tôt. jamais.

il arrive que les oreilles décident de s’offrir des vacances et laissent des substituts un peu maladroits. Heya prononce “cela m’est égal” et Elys entend “je veux que tu te régales !”. il est d’accord, entamera le buffet à la recherche du dessert empoisonné - il faut chercher Heya dans les songes pour mieux l’appréhender. ce n’est pas qu’il ne l’apprécie pas, loin de là. c’est qu’elle est trop lointaine, scintillante malgré la distance. alors, il se convainc qu’il l’aime. oui, il le croit fermement ! Elys n’est pas dupe, lui aussi connaît les grandes idées qui dévorent, les amours ardents qui engloutissent. c’est promis ! il sourit, son coeur fait des pirouettes, mais ses doigts, cachés dans sa poche, restent croisés, une promesse secrète.