amazed

J'aime la façon que tu as de me lancer une invitation au rencard avec ce sourire que tu ne réserves d'habitude qu'à tes machines.
Si je suis capable de te prendre de telles expressions alors suis-je moi aussi une de ces machines avec lesquelles tu aimes tant faire affaire ? M'en voilà ravi.
En réalité je n'ai pas eu besoin de verbaliser ma réponse, je t'ai déjà donné mon accord.
Toutes mes autres activités de ce soir je les ai barrées, je les ai barrées pour qu'il n'y ait que toi pour qu'il n'y ait que ton nom dans mon planning imaginaire celui qui est dans ma tête celui qui change de plan à tout instant.
Dans ma tête c'est une surface lisse et cabossée à la fois, tout en longueur une feuille de papier qui se froisse puis se défroisse et parfois l'encre se met à afficher ton nom.

Je veux être avec Charlie.

Et j'ai été avec toi toute la journée tu sais.
Je t'ai pensé dans ma tête jusque dans mes mots, j'ai utilisé ton nom qui s'est gravé entre chacune de mes dents et les autres en ont eu marre d'entendre Charlie Charlie Charlie.
Car tout le monde ici sait où est Charlie.
Je t'ai jusque sous la peau.

Et tu m'as sous le bras pour me prendre m'emmener avec toi vers les fauteuils capitonnés de velours. Je les adore ces sièges, j'adore cette façon aussi qu'ils ont de se rabattre sur nous comme une gueule de requin à chaque fois qu'on s'y assoit à chaque fois qu'on s'y redresse.
C'était un jeu tu te souviens ? Celui de ne pas se faire croquer par ces gueules rouges alignées comme autant de soldats.

- PLACE 111 !

Je m'y jette et je t'entraîne avec moi sur ces strapontins de luxe.

- Charliiiiiiiiiiiiiiiiiiiiie,

Je t'ai laissé tout payer et peut-être que plus tard je te rendrai la monnaie.

- On est tout seuls ? Personne veut voir l'ace des détectives ?

Tant mieux.
Je t'aurai exclusivement pour moi.
Tu sais que je n'ai toujours pas lâché ton bras ?

- Chuuuuuuuuuuuuut le film commence..........

Les lumières s'éteignent sur un écran immense, je pense même ce doit être la vision périphérique du père suprême.
Et si nous étions seulement un film de plus dans cette médiathèque géante ?

- T'as pris du pop-corn ? Ou à boire ?

J'ai les pieds insolents sur les sièges avant, j'y laisse des traces et ça rebrousse le poil écarlate sous mes chausses crades de terre de soleil et de vie tout simplement.

Tu sais pas ce que ça me fait l'idée que tous les sièges que toute la salle
aient été réservés à ton nom.

Je m'imagine entouré de plus de trois-cent Charlie, des Charlie à moi tout seul. Qu'est-ce que je ferais avec autant de Charlie ? J'essaierais de vivre autant d'aventures que j'en ai eues avec toi. Oui mais même une vie même deux vies même quinze ne suffiraient pas. J'aurais besoin de pouvoir vivre autant d'existences qu'il y a eu de films devant nos yeux.

J'aimerais pouvoir me balader entre les dimensions ou bien pouvoir changer de vie d'un coup comme sur l'autoroute quand je m'imagine que je change de voiture d'un seul regard hop hop hop. Ma vie démarrerait sûrement dans une Dodge Coronet d'ailleurs.

- Alors toi tu es le chien ?

Si je suis celui qui conduit je ne peux pas être celui qui aboie. Mais ça ne me dérangerait pas d'être le chien non plus.

- Awouwouuuuuuu... Hé ! Tu as vu ?? Il met des lunettes aussi !

Peut-être bien que c'est moi, Ace. L'as des conducteurs.

- NOOOON ??? des Pop Tarts ???? Mes préférés !!!

Je me rue sur le fond du sac pour déterrer les emballages à la marque rarissime.
Ceux qu'il faut décoller en deux comme ça je lèche que la partie avec la garniture. Sluuuurp.

- Qu'est-ce que tu penses de la fille ?

Celle à qui appartient le chien.
Est-ce que que tu la trouves jolie Charlie ? Est-ce qu'elle serait à ton goût ? Est-ce que...

- Tu veux un morceau ?

C'est celui fourré à la cerise et avec des confettis d'anniversaire dessus.

- Dis tu crois que je serais stylé avec une chemise comme ça ?

Melissa...?

Mais...
Tu sais comment ça se finit pour Melissa à la toute fin...?

Je ne dis rien. Le spoil ? C'est le mal. Même quand on a vu le film cent fois.

- Moi ? Je ne suis pas une fille.

Jusqu'à preuve du contraire.

- Mais je la trouve pas jolie, elle. Melissa elle est beaucoup mieux.

Ses seins sont moins gros mais elle a quelque chose que l'autre n'a pas.

- Je l'aime bien Melissa, je...

Je me rapproche un peu plus de toi.

- ... je pourrais sortir avec elle.

Pendant que je ferais tout plein de bêtises, Melissa serait là pour me dire de sortir de l'aquarium.
Melissa m'emmènerait aussi à l'hôpital quand ça ne va pas. Melissa me gronderait quand je ferais trop de bêtises.

Je soupire. Peut-être que ça ne s'entend pas avec la musique et les vieilles voitures des années quatre-vingt.

- Si tu es Melissa alors je suis ton Ace.

Mais est-ce que je suis un bon Ace ? Je ne sais pas.
Mon gâteau au chocolat me le dira.

"Je sais"

Mais qu'est-ce que tu ne saurais pas sur moi exactement Charlie ?
Depuis le temps
j'ai eu suffisamment de quoi te murmurer mes pires cauchemars sous la couette.

Parfois
souvent
j'ai eu envie de murmurer d'autres choses.

- Charlie ?

Je ne quitte pas l'écran des yeux.
D'aucuns pourraient dire que je m'adresse directement à Melissa, et qu'à l'année de sortie de son film
elle pouvait déjà m'entendre lui faire la demande.

- Tu sais ce qu'il se passe à la toute fin ? Quand Snowflake a été retrouvé et qu'il marque un but avec sa queue ?

Je ne tiens pas aux sous-entendus ce soir.
Non
je préfère être franc.
Maintenant que je te regarde, Charlie.
Que j'ai récupéré avec la langue un morceau de chocolat qui traînait au bord de mes badigoinces.

- Puisque tu es Melissa,

Je suis très sérieux.

- alors on va devoir faire pareil.

Et je suppose que la caresse sur le dos de ma sénestre veut dire quelque chose.
Je suppose que c'est le moment où Melissa avec son beau chapeau blanc attrape le visage de son détective animalier pour déposer la plus formidable des preuves d'amour directement à l'orée de ses mots.

Mais dans notre version du film,
dans notre remake,
je suis celui qui regarde son voisin avec la plus tendre des expressions avant de profiter d'un élan et des applaudissements du stade de rugby pour bondir et ficher ma preuve d'amour à moi quelque part près de ce sourire que je n'aurais manqué pour rien au monde.

Charlie il y a toujours ce truc un peu irréel dans tes yeux.
C'est peut-être le temps passé dans la carcasse des machines, ça t'a amené à compter, à écarter les fils et à contredire sans que même tu t'en rendes compte.
T'appeler c'est avoir l'impression de t'attraper la main et te sortir des méandres des câbles et des chiffres. C'est l'impression de te tirer d'un rêve pour te ramener dans un autre.
C'est te sortir de ton propre film en espérant que le prochain aura plus d'intérêt.
Je me suis souvent demandé à quoi ça ressemble les sensations et les histoires dans ton monde. Est-ce que ça te fait au moins un peu de bien à défaut de te sentir toujours prisonnier de quelque chose quand tu me parles de l'Enclave. Je sais qu'il y a un bout de toi qui a été arraché quelque part, un bout de toi invisible que j'ai eu beau chercher tu sais j'ai cherché très longtemps et très fort.
Mais ça n'a plus l'air de se trouver entre ces murs.

Alors peut-être que je pourrais y mettre autre chose.
Remplir l'espace comme je sais toujours bien faire. Poser plein de questions jusqu'à ce que tu arrêtes de t'en poser toi. Prendre la tristesse et la dévorer comme j'ai fait des ravages sur le sucre.
Je prendrai ça et puis un peu ton visage entre mes mains.
Je ne te dirai pas stop je ne te ferai pas remarquer que les lumières se sont rallumées.
Je n'ai pas oublié qu'il y a quelque chose chez toi qui a encore un peu peur du soleil et que c'est quelque chose qui évolue progressivement dans l'ombre pour l'instant. Si tu veux bien j'aimerais y goûter un peu...

Pour commencer je te prends un peu de tes lèvres, je prends de leur saveur et leur nectar, je l'avale. Je sens que ça me glisse, que ça roule à l'intérieur dans une caresse chaude. Tu sais je suis persuadé que le roulement des vagues il ressemble à ça. Et moi je pense que l'entêtement de la houle pour déposer son écume c'est une mer qui ne cesse de s'effeuiller sous le regard de ceux qui n'ont pas encore pu y mettre le pied.

Je te prends un peu, et je donne. Je donne, je donne à travers mon souffle, je souris contre tes mots perdus, que j'empêche de couler parce que pour une fois tu vas t'arrêter de parler, tu vas arrêter de penser.

Et tu verra enfin ce que c'est, se laisser glisser sur la mer.
C'est voir le ciel et ses nuages, c'est exister.

C'est dans ces moments là que je jalouse des capacités comme Abyss où son existence propre vibre au travers des autres. Où il suffit d'un battement de cils d'une respiration ou même de simplement se dire ça y est et on ressent tout ce qui traverse l'autre.
Je ne peux pas faire ça.
Je peux seulement imaginer.
Mais tu sais, les émotions, c'est quelque chose que j'ai parfois du mal à me représenter.
Alors qu'est-ce qui se cache derrière tes tremblements ? Derrière l'avidité de ton silence qui obstrue sa propre pensée. Même le front face à ton arcade je ne pourrais pas entendre la tempête qui ricoche sous ton crâne. Je ne pourrais pas savoir par quels chemins tu passes et à quelles craintes tu as déjà tourné le dos pour avoir accepté de faire ce seul mouvement qui est de rapprocher ta voix jusqu'à la mienne.

Mais je connais un autre moyen de dire tout ça.
Un autre que la parole.
Et c'est un moyen vraiment bien, Charlie. Je pense que ça vaut la peine que tu le connaisses.
L'idée même de te voir embourbé dans la confusion du désir le plus primitif au monde me tire un sourire, et je suis bien obligé d'admettre que si ça n'avait pas été toi je n'aurais pas eu la patience d'attendre tout ce temps.

- Si le trailer t'a plu, je te propose de poursuivre le film dans ta chambre.

La tienne.
Pour que ce sentiment d'être le feu partagé d'un autre ne te quitte jamais.
Puisque j'espère bien que mon insupportable présence ne fasse jamais partie des verbes que l'on conjugue au passé.