amazed

Cesar joue. Joue si bien qu'il s'est perdu en cours de route. Il a été cet enfant toutou, à courir après l'affection et la validation des autres. Puis cet ado désagréable, en colère, auréolé d'un mépris profond envers ce monde qui ne l'a jamais accueillie. Puis Cesar a fini par comprendre, quand ses excentricités ont commencés à le faire remarquer, quand le seul talent que Celine n'avait pas à commencer à être vu, que l'ado rebelle avait fait son temps. Qu'on préférait la diva souriante que Celine n'était pas. Que s'il y avait un jumeau solaire et parfait, il fallait son équivalent un peu moins doué, mais pétillant. Alors Cesar s'était perdu. Pour combler ses crises existentielles, il avait revêtu des rôles, pris un peu de chacun des personnages qui croisait sa route, un peu de ce que Lucien aimait, de ce que Judas aimait, de ce que le club de théâtre aimait. Jusqu'à devenir cette entité grouillante et anarchique, ce système pluri-identitaire dont on ne perçoit même plus ce qui est du premier ou second plan.

Et Cesar est épuisant. Épuisant pour les gars qui portent le costume, qui ne sait plus faire la différence entre sa peau et ses vêtements. Souvent, Cesar se sent fatigué, rincé. L'entité monde l'agresse, le bruit le perturbe. Deviens alors agoraphobe et associable, juste un peu, jusqu'à ce que l'entité monde redevienne supportable. C'est souvent le cas après les répétitions.  Si Cesar aime ses matins enfermés dans son atelier à coudre et encore plus ses après-midi, quand la scène se vide, que le théâtre redevient silencieux, le couturier se sent morose, abattue. Alors comme dans tout, il a développé ses petits rituels.

(...)

Il commande toujours la même putain de boisson. Toujours le même putain de bubble tea avec ses perles pèches et son fruit de dragon. La paille à sa bouche, Cesar savoure le goût, savoure l'aspect routinier. Pourquoi découvrir de nouvelles choses et prendre le risque d'être déçu ? Ça, au moins, malgré l'ennui, il sait que ça lui plaît.

Hey Cesar !

Put-!

Il sursaute, avale de travers. Cesar écarte précipitamment son verre pour cogner contre sa poitrine son poing. Qu'est-ce qu'il fiche là l'autre imbécile ? Ah, Cesar aurait pu l'aimer. Aurait dû l'aimer. Ezio est typiquement le genre de personnage qu'il se surprend à apprécier. Mais Ezio est dangereux, intrusif. Et Cesar à maintenant de bonnes raisons de ne pas vouloir être vu.

Ezio... Quel hasard, oui. Merveilleux hasard.

Qu'on le tue.
Évidemment, le psy prend place. Cesar pince les lèvres et se force à penser à autre chose que d'à quel point le bruit de la chaise qui racle le sol lui déplaît. Comment Lucien l’appelait déjà ? Ah oui, le ramasse miette.

On s'est vu il y a moins d'une heure tu sais ? Ce serait surprenant que mon humeur ait changé.

Il ricane, souriant. Le mange miette s'est installé et visiblement n'est pas près de partir. Moins d'une heure, moins d'une heure qu'ils se sont quittés et ils sont déjà réunis.

Je ne savais pas que tu venais ici. Fin, à cette heure je veux dire.

Il ne l'y avait jamais vu. Bien pour ça qu'il affectionnait cet horaire.

Tu comptes passer souvent ?

Qu'il sache s'il doit dire adieu à son bubble tea journalier ou non.

Hahaha, ah bon ? J'aurai pas cru.

Putain qu'on le libère. Cesar ignore si Ezio le perce à jour, joue avec lui ou se contente simplement d'être lui-même sans arrière pensée. Le couturier aspire une gorgée de son bubble tea. Son regard cherche discrètement une bonne âme pour le sortir de cette entrevue. C'était une chose d'affronter Ezio en étant préparé, s'en était une toute autre d'improviser. Pourtant, dieu seul sait qu'il aime l'improvisation sur scène.

Déprimé, vraiment ?

Cesar laisse le liquide frai clarifier ses pensées. Il doit être détendu, irréprochable. Il enterre les soupçons de pensées qu'il n'a pas envie d'avoir. Concentre son regard sur le visage d'Ezio, pour ne penser plus qu'à lui, qu'à leurs mots. Il est son compagnon de scène, son subordonné, son ami. Le couturier étire un sourire vaincu.

Fatigué plutôt. Stressé aussi un peu j'avoue. Faire suite à Maddie c'est pas de tout repos, elle a mise la barre haut.

Cesar tend son bubble tea vers Ezio.

Tu veux goûter ?

Il croise les jambes, ose s'imposer une posture plus détendue. Du regard, il cherche toujours quelqu'un à alpaguer, hésite même à envoyer un message à Lucien. Mais peut-être Ezio capterait-il ? Arriverait-il à le lire ? Il ne veut pas prendre le risque, c'est trop d'effort de mobiliser son esprit dans ces conditions. À la place, il pose une main sur la cuisse d'Ezio et lui désigne du menton une blocarde Psy dont Lucien lui a déjà parlé.

Tu sais lire les pensées, jouons à un jeu. Je paris qu'Elena pense à Lucien. Elle a crush sur lui, parait-il qu'elle lui a écrit un poème. Alors ?

Il étire un sourire, cale son poing contre sa joue.