amazed

Loup n'aimait pas les activités intellectuelles.
Il n'aimait pas non plus faire partie d'un groupe.
Pas plus qu'il n'aimait devoir suivre la consigne.
En réalité
il semblait évident pour la majorité de l'Enclave que Loup n'aimait rien.

Mais on se souvenait de cette remarque au coin de son dossier.
Expliquant que son intérêt subsiste face à une feuille de papier.
Face aux cubes de construction.
Face à l'ennemi à abattre.
Dans un grand labyrinthe où il faut trouver la sortie.
Car il y avait irrévocablement quelque chose de créatif dans ses gestes
quand ses muscles n'étaient pas saisis d'une folle envie de tout saccager.

À la sortie de l'étude
une silhouette qu'il ne reconnaît pas tout de suite lui fait signe.
C'est à l'odeur de chlore que Loup l'identifie réellement.
Il reconnaît aussi la courbe précise de ce sourire.
Peu de gens regardent Loup de cette manière, alors il s'en souvient.

Un petit pain au chocolat.
La proposition résonne comme une insulte à ses oreilles.
Ses lèvres remuent dans un silence étrange.
Il accepte l'offrande et en déchire l'emballage sans un mot.
Loup ne répond à aucune question. Il se dirige simplement
là où on l'attend.
Entre plusieurs sacs de frappe et un carré cerné de cordages.
Puis cette silhouette au grand sourire qui le suit.
Loup a fini par retenir son parfum.
Peut-être son nom.

Moelleux et coulis cacaoté s'insinuent entre ses incisives.

- Tu travailles jamais ?

Son timbre est monocorde.
Pourquoi ce type passe son temps à le suivre ?
Qu'est-ce qu'il lui veut exactement.
Mais le chocolat est bon.
Ce qui est bon est positif,
ça on lui a appris dans l'Enclave.
Il faut faire de son mieux pour garder le positif.
Donc il faut que ce type garde son sourire
ou sinon, ça voudra dire que ce n'est plus bon.

Dans les vestiaires il balance son sac au pied du casier.
Se change même sous les yeux des autres.

- Je vais battre mon record.

Un genou surélevé pour faire passer le short, il fixe le sol.
Semble s'adresser au carrelage couvert de la buée des douches.

- Je vais les battre. Tous.

Sam vidait donc les poubelles ?

C'est bizarre
il n'en sentait pas l'odeur.

Il était rare que Loup s'interroge sur les autres.
Il était en réalité rare que Loup s'interroge.

Sur les bancs, l'emballage froissé de son pain au chocolat dégringole sur le carrelage.
Un peu de chocolat persiste sur ses babines,
et Loup n'a pas besoin qu'on lui dise pour qu'il récupère les résidus d'un coup de langue habile.

Torse-nu et short enfilé, il termine de nouer ses lacets, un genou au sol.
Sam demande s'il peut regarder.
Loup hausse des épaules.
Il comprendrait qu'on veuille observer son jeu de jambes s'il y avait une intention de s'améliorer derrière.
Mais Sam ne faisait pas partie du club de boxe.
Alors pourquoi faire ?

Tandis qu'il s'avance du ring, quelqu'un semble le reconnaître et s'avance pour proposer à Loup de grimper les marches et entamer un échauffement ensemble.
Ce genre de phénomène n'était possible qu'au club de boxe.
En-dehors de ces cordages
les poings de Loup n'étaient pas les bienvenus.

Il monte, amorce quelques étirements pour étendre ses muscles, craquer ses os, préparer sa chair à encaisser les uppercuts. On peut observer une certaine rigueur dans son geste, dans la façon dont sa force se répartit dans chacun de ses membres, jusqu'à sa plante de ses pieds. C'est une concentration qu'on ne lui voit que rarement hors de ces murs blancs.

Quelques bonds sur le ring et ses épaules sursautent ;
l'excitation commence à monter.
Il ne laisse même pas le temps à son partenaire d'être prêt
que son poing s'élance, cogne une cage thoracique qui étouffe sous l'impact.

Hormis ses gants
Loup n'a enfilé aucune protection.

Il y avait peu de choses capables de temporiser les ardeurs de Loup.

C'était encore une autre croyance de l'Enclave.
Personne n'avait jamais pensé à l'amener à la rivière.
Personne ne s'était essayé à jouer à cache-cache avec lui.
Personne ne lui avait demandé de construire quelque chose d'utile.

Croyant qu'il n'était possible de gagner le silence de la bête qu'entre les murs du club de boxe,
alors on l'y jetait, tout simplement.
Sam, à défaut d'avoir eu l'idée de l'y emmener,
faisait office d'accompagnateur à ce moment saint où on balançait l'hérésie dans l'arène en faisant le vœu secret qu'elle y reste.

Il frappait et il frappait avec la même ardeur,
peu importe que les visages se froissent sous l'excès d'effort, sous l'arrivée de la panique, sous la capitulation du corps.
Il frappait.
On pouvait presque sentir ses phalanges s'attaquer directement à la chair.
La pièce se remplissait des cris des autres,
les siens étaient rares.
Quand les prédateurs font un carnage, ce sont les cris des proies qu'on entend.

Son partenaire de lutte demande un break, et Loup, comme si on avait pressé le bouton OFF, laissait ses muscles redescendre d'un coup.
Il retrouvait un calme statique, dépouillé de vie.
La sueur perlait à son front, à son trapèze, son dos, la chute de ses reins, tout.

Il survole le cordage d'un saut fluide et maîtrisé, regagnant sa place sur le banc.
De son sac, il attrape une gourde. Elle est décorée de traces d'impacts, d'éraflures dans lesquelles on y voit se refléter la vie qui circule au club de boxe.
La source dévale le long de son gosier, déborde et s'insinue jusque dans les fosses de ses épaules.
Ses poumons expirent leur labeur, il tamponne sa moiteur bouillante sous les fibres d'une serviette plus très blanche.

- Sam.

Il était étrange que Loup articule son nom alors qu'il ne l'avait plus regardé depuis qu'il était sorti de la salle d'étude.

- Tu fais des clones ? Pour moi. Je veux les battre. Tous. En même temps.

Ses yeux au bleu polaire, maculés de veines dans la sclérotique, s'étaient soudainement tournés vers le multiple comme si la discussion n'avait en réalité jamais pris fin.

Le regard de Loup s'écarquille.

Il ne s'attendait pas à un essuyer un refus.
Pas plus que la raison pour laquelle Sam décline la proposition ne semble percuter sa compréhension.

- Pourquoi ?

L'interrogation est réelle, tout autant que sa nuque a basculé un peu vers l'avant comme pour mieux entendre Sam dans sa justification.

- C'est des clones.

Il semblait évident qu'un clone ne pouvait être suffisamment vrai pour ressentir les sensations de l'original.
Son poing se serre autour de la gourde. Avec la force qui est la sienne, on croirait presque voir le métal se creuser sous la pression de ses doigts.

- Il fait que perdre.

Ses yeux se sont levés en direction du ring.
Non : ses yeux ont traversé le cordage pour atteindre la cible qui se trouve de l'autre côté de la pièce. On comprend alors que Loup scrute celui qui était sur le ring avec lui, avant d'imposer un break nécessaire.

- C'est pas drôle. Je veux quelqu'un de plus fort. Luke est pas là.

Sans Luke, il semblait parfois difficile de maintenir Loup dans un état de raison.