amazed

Caïn a ce manque de curiosité qui fait qu’il ne comprend pas grand chose à propos de ceux qui l'entourent. non pas par stupidité mais parce que ce qu’il doit savoir, il le sait déjà. alors il n’a pas compris quand il a reçu ce message timide de la part d’Eden. il faut dire qu’il n’a pas non plus cherché à savoir. on pourrait le croire naïf. peu de gens accepteraient d’aller à l’encontre d’une presque inconnue dans des bois là où la densité humaine se fait faible. mais de quoi pourrait-il avoir bien peur, si ce n’est que d’avoir une pensée lui échappant.

il s’imagine là, près du frêne où le rendez-vous a été convié, le corps d’Eden inerte, épousant le sol humide d’une forêt moussue. un écosystème pourrait prendre vie sur son corps avant qu’on ne le retrouve. il ne touche pas un mot à qui que ce soit vis-à-vis de cette invitation reçue. il s’y rendra car il lui est rare de refuser une proposition. pour le reste, il lui suffira de prendre sur lui, de garder ses iris sur un point pour ne pas perdre pied, de respirer à un rythme régulier ou encore de donner vie à ces techniques de relaxation ridicules que l’on leur fait pratiquer au club de méditation. cela ressemble davantage à un scénario de vieux slasher des années quatre-vingt qu’à un film à l’eau de rose où les deux personnages finissent par s’embrasser adossés à un tronc gravé de leurs initiales entourées d'un cœur.

elle lui fait dos lorsqu’il s’approche dans ce silence qu’il adopte toujours. de rien. il lui répond d’une voix monocorde après lui avoir fait un signe de la main en arrivant au loin, elle ne l’a pas vu. Caïn reste de marbre, enraciné sur le sol parmi les arbres, dans l’attente d’une continuité au dialogue d’Eden. puis le nom d’Abyss fait surface. cela le surprend en premier lieu, puis finalement pas plus que ça. il est vrai que Caïn ne se sent pas concerné par les affaires des autres. lorsque l’on vient le questionner, c’est à son sujet à lui. il en a pris l’habitude. la tension ayant prit place dans ses épaules se relâche lorsque l’attention divague sur quelqu’un d’autre. si lui n’est pas l’allié le plus proche d’Eden, il sait qu’Abyss, elle, en fait partie. ah oui… ce morceau de phrase prend l’apparence d’un questionnement mélangé à une vérité qu'il a déjà décelé. les mains dans les poches pour éviter la basse température de la forêt, il n'en rajoute pas et attend pour la laisser poursuivre. il se doute un peu de ce qu’Eden va aborder avec lui mais ne prend pas les devants. il préfère la laisser briller, elle sait mieux le faire que lui.

Caïn est grand, son regard vide fait frissonner les moins téméraires. c’est l’impression qu’il donne lorsque l’on ne le connaît pas. une fois la barrière de l’inconnu brisée, on peut s’apercevoir qu’il est un homme comme les autres, à quelque chose près. il ne vous mangera pas, il dessinera simplement cette pensée dans son esprit avant de se torturer pour tenter de rayer ces images incongrues. enlevez-lui la capacité d’imaginer, et plus rien ne reste de lui. alors il deviendrait si petit, si insignifiant, que plus jamais il n’effaroucherait qui que ce soit.

son pied gratte la terre, abîme la mousse. Eden, elle, s’adresse en désarroi à ce tronc qui leur fait face à tous les deux. Caïn se moque qu’elle ne se tourne pas vers lui. cela ne change en rien la direction de la discussion. il fait tout de même le détour pour venir à elle. son épaule prend place sur l’écorce éreintée, il abaisse légèrement la tête pour tenter de susciter un contact avec Eden qui n’a pas l’air résigné à abandonner ce frêne. elle m’a récemment fait part de ses pensées moroses, oui. Caïn emprunte un instant pour se remémorer avec précision sa discussion passée avec Abyss. je lui ai conseillé d’en parler à un parent. elle ne m’a répondu que vaguement. il avoue.

c’est admirable, ta préoccupation. il complimente sans chercher à le faire. lui ne sait pas ce que cela fait de prêter main forte à un ami. lui ne connaît que la confession de grands péchés et l’abandon de la souffrance d’autrui. toi tu as essayé de lui parler ? il questionne sans sous entendu.

les idoles et Caïn font partie de deux mondes distincts. la validation extérieure ne le fait pas vrombir de joie, il fausse une admiration envers le Père Suprême mais ne comprend pas d'où un tel sentiment est censé provenir. un supporter — Eden se doit de le savoir — il n’en est pas un.

je… il hésite mais prend tout de même la parole, laissant penser qu’il n’a pas réfléchi avant d’ouvrir la bouche. mais sa nouvelle réalité reprend le dessus : il ne faut pas éveiller de soupçons auprès d’Eden. Caïn doit se fondre dans la masse, il a l’obligation d’être semblable à tous. sa façon de se tenir, droit et sans frémir, le rend déjà anormal. alors de ses cordes vocales ne doivent résonner que des paroles sensées.

le visage d'Abyss traverse son esprit, il se remémore la détresse qu’elle a déjà verbalisée auprès de lui. il se pose de nouveau la question ; est-ce ça l’amitié ? toi et Abyss… vous êtes bonnes amies, non ? alors il se renseigne.

Caïn a cette manie non calculée de détourner le sujet lorsque ses pensées lui font défaut. il a besoin de la réponse à sa question avant de poursuivre vers la direction souhaitée. les relations des uns et des autres ne l’intéressent pas. ce que Caïn souhaite, c’est reproduire ces schémas qu’il voit ailleurs. il faut que l’on lui montre à quoi ressemble l’amitié pour qu’il en imite le pattern.

l’unique souvenir d’une amitié d’enfance pour Caïn n’est plus qu’un vestige de souvenirs parsemés ici et là qui lui reviennent parfois. dans ses souvenirs il y a Jude, dont il n’est plus aussi proche qu’avant. sa dernière rencontre avec lui remonte à mai. il y a également cette entité prenant la forme d’une ombre, esquissant de manière imprécise une image qui lui ressemble fortement.

la nature de l’amitié d’Abyss et Eden est la même que celle de Jude et Caïn. seulement, à la différence de Caïn, Eden n’est pas égoïste. au lieu de broyer la main que l’on lui tend, elle propose la sienne et s’attend à ce que l’on s’y agrippe. Eden n’en a pas l’âge, mais elle a déjà tous les traits d’une Mère.

ah j’ignorais qu’une amitié pouvait durer si longtemps. une phrase naïve se loge dans l’oreille d’Eden. pour Caïn, les amitiés comme les blocards ont une date de péremption. même en se donnant tout le mal possible, il ne s’imagine pas avoir la capacité d’en garder une si longtemps. Abyss voudrait que nous allions dans… le Labyrinthe. Caïn trébuche et hésite sur ce dernier mot. sa voix se casse un peu. lui qui a toujours cet air si neutre et impénétrable... un petit trou vient de se percer au cœur de ses émotions, exactement comme lors de sa discussion précédente avec Abyss. Caïn ne prend pas dessus et balaye l’erreur sous le tapis. tu devrais venir avec nous. il propose. cela ferait plaisir à Abyss... enfin j’imagine.

ici c’est les autres que l’on blesse. du moins c’est ce que Caïn s’est toujours dit. le sacrifice de soi c’est mal, il n’y a que par la douleur d’autrui que l’on est capable de s’élever. jamais sa propre personne ne s’est infligée de douleur. lorsqu’il souffre, c’est une faute extérieure. et lui aussi cause du tord aux autres. mais ça, il arrive à le concevoir, à l’inverse du projet d’Eden. tu es prête à te blesser pour Abyss ? il retourne la phrase dans tous les sens, tente d’y déchiffrer l’intérêt de l’intention. il ne s’attend même pas à une réelle réponse à son questionnement, l’ayant déjà trouvé dans les paroles d’Eden à maintes reprises depuis le début de cette conversation.

à la place, une scène claire prend place dans sa tête : à l’intérieur du Labyrinthe, trois figures s’y baladent l’air de rien. l’une est intriguée, une autre effrayée, mais la troisième a un plan précis en tête. cette dernière silhouette, c’est Eden. la deuxième, quant à elle, tente comme elle peut de masquer la terreur habitant son corps. il ne lui suffit que d’une seconde de répit pour blesser Eden avant qu’elle ne le fasse elle-même. un accident est plus crédible qu’un jeu d’acteur. alors seulement de cette façon, l’idée prendrait sens.

Caïn reprend ses esprits. je n’ai pas l’intention de balancer qui que ce soit. ses paroles sont sincères. il fait face au regard d’Eden ainsi qu’à son sourire mais son visage à lui reste fermé. si tu as besoin d’aide pour te blesser... il laisse la suggestion en suspens, il propose sans malice. on fera passer ça pour un accident. Caïn en a l’habitude. il parle mais ne comprend pas d’où lui vient la source de cette invitation saugrenue. elle réside pourtant en lui depuis tant d’années.

Eden met en scène cet air théâtral qu’elle porte toujours avec elle. certains blocards ont un don pour choisir leurs clubs. elle ressemble aux soldats jurant fidélité à leur patrie. la sincérité dans le ton employé transcende celle de Caïn. cela arrive à lui faire décrocher un sourire satisfait. venu ici sans aucune intention particulière derrière la tête, il se voit ravi de remporter une future contrepartie à sa coopération.

Caïn, d’un geste incertain, tend son auriculaire en direction d’Eden dans le but de l’accrocher au sien. il a vu de jeunes adolescents le faire, signe d’une promesse à tenir… ou d’une loyauté dévouée… je devrais y aller maintenant. leurs doigts restent accrochés une seconde de trop, Caïn les scinde. dans le besoin, tu peux me contacter par Nexus… la proposition est hésitante mais reste en suspend pour qu’Eden puisse s’en saisir.