amazed

Derrière les carreaux de l’étude, la lumière crépusculaire déteint sur les parcs de l’Enclave, vastes étendues policées, et en trouble la monotonie ennuyeuse. Le front collé à la paroi froide, son poids ((mort)) fait pression sur l’oxyde de silicium, opacifié par son souffle tiède, pour éprouver physiquement le vide de leur absence.

Ses yeux jade, l’intelligence, décortiquent scrupuleusement les silhouettes en contrebas et la possibilité que la vie soit plus réelle sans la pression de voir, d’entendre, de toucher. Sa peau est encore grasse des louanges acquises dans la sueur, un sang qu’on déverse à la hâte, et la raideur incompressible de ses jambes est une crampe à retardement.

Le tour de l’horloge, ce devoir accompli, est une victoire empreinte de la résignation collée à ses cils. Son niveau stagnant est devenu une cellule de doute, les barreaux y sont tressés par une jalousie rance, pour la créature terne et complexée qui la fixe avec embarras dans le reflet.

Une deuxième jeune femme se superpose à son portrait, ses cheveux sont des fils d’or, ses yeux n’expriment que le plaisir naïf de défaire les obstacles avant qu’il se présente à elle. C’est l’inspirations des artistes, une démarche ronde pour une bouche en cœur, promise à être gravée dans la mémoire des autels et de la pierre illustre.

Mielle.

Eden retient la grimace salope qui veut meurtrir la perfection artificielle de son visage grimée lourdement. Ce n’est pas une rencontre que l’on peut choisir, il faut épouser les apparitions incessantes de Mielles qui font fleurir une batterie de tendresse pour la spontanéité de sa discussion. Eden aimerait n’avoir jamais baissé les yeux pour s’éviter d’y feindre la surprise enjouée d’un.

Vous ici ! Quelle chance ! Tu viens pour donner un coup de main aux costumières toi aussi ? Sucrée et écœurante, à cet instant Eden trouve toute son hypocrisie difficile à vivre devant la grâce naturelle incarnée par les traits de Mielle.

L’angoissante latente déverse du sel dans sa gorge, la présence accablante de Mielle est une ombrelle qu’elle voudrait jeter au feu. Un charisme, ((égal)) ou meilleur, qui l’oblige à aller chercher les petites voies et la gratitude pénible à acquérir et si peu valorisable du personnel des coulisses.

La journée n’était pas trop dure ? Tu sais que tu peux te confier s’ils te mettent trop la pression au club… Donne lui de quoi nourrir son espoir de te voir tomber Mielle. Soulage les plaies laissés par la rythmique imparable du juvénile angélique de ta beauté. Il n’y a pas que les enfants qui ont le droit à une oreille attentive. les mauvaises fréquentations c’est à tous les âges.

Mielle sauterait à pied joint dans cette poubelle où elle préconise d’envoyer son travail gâché, le labeur des autres fourmis, que Eden décrocherait un mot gentil et sincère. L’évanescence de la vision procure un certain réconfort à la blocarde, les mains accrochées aux barreaux du radiateur, et se meurt sur la mine solaire de l’autre. Les crinières, blondes et jumelles, se répondent lorsque que Eden secoue sa gorge avec orgueil. Les anicroches dessinées par la voix radieuse de l’intangible amplifient sa rancœur. Le complexe bouillonne entre ses côtes et laisse entendre entre les regards infiniment doux des pensées fermement cruelles.

Sa tête dodeline à la manière des poupées abîmées.

Il vaut peut-être mieux que tu t’abstiennes alors. Tu n’auras qu’à descendre pendre des sodas à la place. Ils seront reconnaissants.

Eden, c’est promis, chérira son absence pieusement, libéré de l’idée de planter l’aiguille dans l’index de sa jeune sœur. Elle aide Mielle à défaire leur étreinte en calant ses doigts sur la taille, odieusement fine, pour l’écarter de son bassin, sans jamais cesser de dévisager les yeux clairs et insondables.

Quel optimisme ! Ca ne m’étonne pas, tu es encore si jeune, j’adorerai retrouver ma naïveté pour voir le monde comme toi.

Naïveté qui n’a jamais exister, Eden se reproche simplement sa bêtise passagère et circonstancielle. D’une main, effilées comme les touches d’un piano à queue, elle lisse les mèches charmantes de la même couleur que le nom, les glisse derrière les oreilles. De l’autre, Eden cadre ce visage en forme de cœur, il lui semble qu’il est fait pour les caméras, que l’allure de fillette de Mielle devrait être constamment sous l’objectif ou le projecteur. L’idée la contrarie un peu comme la manière odieuse que Mielle a de lui rétorquer ses doutes par le doute qui plane sur la psychée d’Eden. Le promontoire de l’échec sur lequel elle s’est hissée et opère un joyeux numéro de funambule, matin et soir, qui s’infiltre sous ses côtes.

Et s’il elle la giflait ? Derrière les cuisses là où personne ne saura, ne saurait la dénoncer.
Si le coup partait, cuisant et humiliant, une bonne fois pour toute.

Adorable. Tu ne devrais pas remettre en cause les compétences de tes aînés. Le sermon est habillée d’un sourire délicieux, Eden semble s’apprêter à lécher le poison sur ses babines. Les gens surmenés sont désorganisés, de vrais électrons libres, c’est pour ça que je me suis permise de m’inquiéter pour toi. Je sais à quel point tu peux être spontanée dans ta dévotion.

Eden se saisit du coude de Mielle, enfilée au sien, pour la guider dans le couloir où les lattes ne grincent jamais au grand désarroi de la blocarde qui aime l’intimité des sons imparfait. Sur les murs, on n’accroche jamais le portrait des génies de certains clubs, la mémoire n’est pas encouragée, et Eden doit se contenter de son nom inscrit au feutre dans la liste des inscrits d’il y a cinq ans.

C’est une très belle qualité mais tu dois avoir compris que ton talent naturel n’a pas besoin d’être gaspillé pour être valorisé.

L’esprit cartésien de la blonde laisse rouler les mots. Les flatteries ne lui achèteront pas le Paradis mais sans doute la tranquillité de voir la benjamine fondre sous ses mots. Le dernier mot, elle lui laisse, agent de l’ombre d’un bonheur et une adhésion des autres qu’elle a construite de toute pièce.

Bien sûr que Mielle est là par la grâce de son ingénuité. Elle n’a pas d’autres desseins que celui d’aider le plus grand nombre. C’est pour ça qu’elle est aussi aimée et aussi écœurante. Eden ne peut empêcher un noyau dur de se former dans son estomac en la regardant exhiber l’or de crinière, le clinquant de sa jeunesse.

Suzie préfère le jus de pomme. Mais Cass et Romy voudront des sodas citronnés. Elles seront contentes si tu fais attention.

Eden dit, plate, Eden raconte la vie des autres pour qu’ils racontent sa vie une fois le Paradis atteint.

Mielle essaye un an, douze mois, peut-être plus, qu’est-ce que ce ça veut dire à l’échelle d’une existence restreinte aux trente premières années. Elles seront là demain, elles auront les mêmes conversations éclaboussées de jalousie injuste et des considérations sur lesquelles le système de l’Enclave ne les a pas aidées à trancher. Eden éprouve une fatigue immense et lasse pour les traits candides de Mielle, une fatigue exaspérée qui prête à sourire plus qu’à souffrir.

Oui voilà. Les chiens de berger ne sont pas élevés comme ceux de concours.

Leurs aboiements doivent trouver de l’écho dans les clairières, même les plus reculées, trouver les pas perdus des enfants fugueurs sans faillir. Cette frimousse sur son bras la chatouille, les mèches enroulées sur son bras, plus que les excuses vives teintées d’affection. Avec ses lèvres glosées, la blocarde dépose un baiser sonore au-dessus du crâne.

C’est tout pardonné. Bien sûr que nous sommes bonnes amies. Ne te sens pas obligé de me dire tout ça surtout. Pourtant Eden les effusions même exagérée, les projecteurs même factice ; qui rendent toute la réalité plus scintillante et ses performances souples.

Elle secoue la tête, cherche ses mots, elle s’en veut d’être maladroite, de laisser ses angoisses tapissés sa voix de maladresses. Elle s’en veut de ne pas pouvoir le dire simplement, de se forcer à trouver la manière la plus détournée de rassurer Mielle.

Non. Je dis que tu fais beaucoup de choses. Les clubs, les blocards, tes rendez-vous avec Luke… Glisse un œil suspicieux sur l’autre pour reprendre à l’inspiration suivant. …avec un agenda comme le tien, c’est facile de se laisser déborder. Ce n’est pas un reproche mais un conseil.

Certains reconnaitront un avertissement, mais l’ambiguïté est recherchée par Eden.

Plutôt le contraire, l’Enclave est un système très rationnel. Il est conçu pour que ses enfants trouvés le plus facilement possible l’endroit où ils sont le plus utile pour le faire fonctionner. Elle s’est arrêtée devant la porte du club de théâtre, c’est une porte sans vernis, sans bois de menuiserie, elle est impersonnelle et c’est la seule chose plaisante qu’Eden lui reconnaît. Tu ne penses pas que tu serais mieux au Social Club pour l’ouverture de la saison qu’à distribuer des cannettes aux costumières ? La main sur la poignée, les yeux dans les yeux.

Sur le territoire d’Eden, les jeunes premières s’éteignent très tôt.