amazed

5h47. La beauté des aiguilles sur le cadran émeut Eden.
Les bras de Fang. L’odeur de Fang. La respiration de Fang. Cette impression tiède l’enserre plus étroitement que les draps étrangers. Quand elle bascule les jambes sur la descente de lit, Eden oublie l’intimité. La sensation de lattes de bois sous ses pieds étire un tournis lancinant. Ses cils papillonnent et elle hache un grognement la bouche fermée.

Il y a son corps lessivé qu’elle ((précipite)) aux douches, la sérénité sublime qui transpire de la silhouette allongée et le pépiement rare d’un pinson. Le robinet est ouvert. Le bruit de l’eau couvre le chant. Eden nettoie le maquillage baveux. Ses cheveux lui inspirent une grimace sévère. Eden s’applique. Dans le reflet du miroir, elle épie les mèches revêches, les signes d’un réveil précoce.

L’élastique est coincé entre ses dents quand elle distingue la coureuse s’agiter.
J’ai fait trop de bruit. murmuré sans remord, un sourire claire tranche son visage. Eden ficèle sa coiffure. J’ai passé une très bonne soirée. C’est sympa de te voir sous un autre jour. Il lui faut une brosse à dent. Son haleine la gêne pour s’exprimer. Ses yeux fouinent les compartiments près du lavabo. Tu y crois à ce que dit Sophie ? qu’il va pleuvoir aujourd’hui ? Mordre dans sa lèvre inférieure en faisant coulisser un tiroir. Rien. Sophie, plus maligne, elle aurait trouvé, elle.

Elle baille. Elle est chez elle, Fang, elle n’a pas besoin d’imiter le catimini des départs maladroits. Des mèches ébènes s’emmêlent devant ses yeux. Les épaules d’Eden se haussent pour dire. Je m’en doutais. Tant mieux. Ses doigts continuent d’inspecter soigneusement le mobilier proche du lavabo. On peut lire dans la précipitation de ses mouvements son irritation.

Il y a le bruit des cintres, de la porte de la penderie, du textile quand il rampe sur la peau. Par-dessus son épaule, Eden forme un rond entre son pouce et son index, ok. Parfait pour moi. Et ouais. Avec plaisir pour remettre ça un de ces quatre. Elle s’agenouille, un craquement bref, et fouine du regard. Elle ne s’étend pas. C’est plus facile maintenant que Fang a pris les devants. Eden écoute d’une oreille distraite. Ah ? oui, vu comme ça… tu peux toujours courir en intérieur non ? laborieusement, Eden ouvre un énième tiroir. Bingo. Tout sourire. Tu cours tous les j… !! sursaute, manque de lâcher la brosse à dent et plaque ses doigts près de sa bouche.

Fang est grande, brune, sévère. Eden fait petite et naïve à côté.
Euh… oui merci à toi ! C’est tellement rare de te capter en soirée en plus. La blonde fait un pas de côté, pour rattraper le dentifrice, mettre un peu de pâte sur la brosse. Tu devrais venir plus souvent, c’est chill, surtout en été où on commence à avoir l’accès aux barbecues… Ses grands yeux, vert et interrogateur, se tournent sur la brune. Eden frotte la pâte sur ses dents, laisse le produit se transformer en mousse verdâtre et mentholée.

Eden choisit de sourire. Clair. Sur sa gorge se découpe un rayon de miel réfléchi par le miroir. La blonde glisse ses pouces sous l’élastique de sa culotte, coton et motif liberty,  pour reculer son visage légèrement.  Je t’avais pas vu. Obnubilée par la recherche d’un haleine fraîche. Ah oui ? J’en avais aucune idée. Je me disais qu’il y avait peut-être des couloirs couverts ou autre… Pipot. Abyss lui a déjà raconté le Labyrinthe cent fois. … et, il a déjà plu dans le Labyrinthe ?la boucle est bouclée.

Appuyée, contre la céramique, Eden enfonce la brosse dans sa bouche, ((soulagement)), en écoutant avec un intérêt exagéré Fang. Pas fan. Parce qu’elle a le choix, ((n’a besoin de personne)) pour être meilleure, une arme affutée, la ((Sauveuse)). Eden ravale une grimace en entendant la brune calculer un hypothétique effort. Crache le dentifrice. Le bruit de l’eau couvre le besoin de répondre immédiatement. C’est dommage pour nous. La brosse à dent égouttée contre le lavabo. Je comprends. C’est une grosse responsabilité d’être coureuse. Y a pas beaucoup de temps pour s’amuser.

Eden étire une démarche chaloupée dans l’appartement, la jupe plissée blanche dans une main, le polo dans l’autre. C’est cool que la fame te monte pas à la tête.  Pas comme Alfie qui nous colle tous la honte. Mécanique, Alfie est un sujet populaire. De premium à zéro. Eden pense comme les Mères. Un mélange d’inquiétude et d’irritation pour la sale influence qu’il va laisser sur la génération de bambins qui l’ont idolâtrés.

La mélodie du dédale, ce coupe-gorge inventé sur-mesure, peuple les espoirs et les cauchemars. Les yeux se plissent sur l’angoisse d’y laisser les guibolles, sauter à pied joint dans une dernière flaque, et le sens d’une vie ((courageuse)). Fang lui rappelle l’austérité qu’on n’a pas le droit d’afficher, sincère, sans les froufrous ou la grandeur.  Et alors ? si tu ne cours plus qu’est-ce que tu aimerais faire ? C’est une question vide de sens, cette boussole tragique, un coureur atrophié rejoint les sous-sols, grouillant et puant, et attend le dernier billet vers une vie meilleure. L’avenir s’efface si facilement pour ceux qui ne ((veulent)) plus se battre. Les coureurs sont tous populaires. Ca fait partie du job. L’élite sportive qu’on guette aux portes. Que ((Eden)) épie, le cœur serré de ((ne pas)) les voir revenir.

Habillée, Eden ouvre son sac à main pour patiemment appliquer la crème sur sa peau craquelée par le soleil. Le crayon l’aide à redessiner un visage avenant, larges yeux et sourire brillant, de l’autre main elle éponge patiemment le fard de ses pommettes. Je place beaucoup d’espoir en toi. Tu as la tête sur les épaules. Tu es belle. Même ta manière de te moquer du grand public, c’est un charme sur toi. Elle rit doucement en secouant le pinceau au-dessus de son crâne, la légèreté des lendemains d’abus. Je pense que tu aurais vite plus d’étoiles si tout le monde se rendait compte de ta ferveur et pouvait en profiter. Ce public servile qui n’attend que ça. Une ((petite)) place spéciale dans le cœur de la coureuse la plus rapide de l’Enclave. Je pourrais t’aider. Comme dans les films, ils ont des agents pour trouver leur audience. Briller à leur juste valeur. Ses mots lui font dire qu’elle a toujours aspiré à profiter de l’aura lumineuse des coureurs. Qu’elle a parlé à Fang pour cette raison très précise. Lui a offert les bras, la poitrine, le souffle sans ciller.

Eden se lève, ses yeux habitués à l’obscurité, et tourne le miroir de poche pour valider ce deuxième visage, dans le reflet elle peut voir les expressions de la brune. Elle s’en rapproche jusqu’à pouvoir reposer son front contre son épaule. Le miroir de la salle de bain montre déjà un tandem huilé, le joli sourire d’Eden se marie encore mieux à la musculature définie de Fang. Pourquoi n’excellerais-tu que sur un plan quand tu as le potentiel pour les conquérir tous ? Une voie enjôleuse et espiègle, Eden peut le sentir, le deuil de son propre potentiel et l’ego inerte dans sa cage.

La réponse de Fang laisse Eden songeuse. Raccrocher les crampons pour le tablier. L’alternative est moins alléchante. Elle hoche consciencieusement la tête, approbation méditée, et songe aux odeurs de graillon, insupportable, qui meurtrissent les vêtements et la peau. Eden aime mieux le talc qui colle aux doigts et le parfum du lait de synthèse. Un jour après l’autre… murmuré, Eden préfère son destin illusoire, les milles ((parenthèses)) qu’elle s’autorise à y glisser, pour se cantonner à la discipline méchante et insidieuse du vingt-quatre / sept ((toujours trop court)). Sourire solaire. Nos parent doivent être tellement fiers de toi !

Eden est ravissante, apprêtée comme une actrice dans des vêtements blancs qui sentent encore la lessive. Ses yeux brillent de satisfaction calculée quand elle tend une main ouverte. Marché conclu alors ? Il te faut de vrais sponsors. Ce sera ton premier objectif, être repéré par une Mère ou un premium pour qu’il t’aide à faire pencher la balance du bon côté. Tu as quelqu’un en tête ? Pas la peine de disperser nos efforts. Les journées sont trop étroites pour lancer sa ligne au pif. Eden doit être rentable dans ses décisions et, si, Fang veut ses faveurs, il faut se plier à la même dévotion pratique. C’est une transaction derrière les sourires et les flatteries.

Ses lèvres embrassent le cou de Fang. Ses cils comptent les temps morts. Hum… Avec son index et son majeur, Eden imite un paire de jambes pour escaler le bras de la brune. C’est une vue de l’esprit. Tu ne crois pas que si tu te prends pour un outil les autres ne s’arrêteront jamais de t’utiliser ? Eden pourrait se citer mais ce serait vain, ça n’apporterait rien au nœud de l’intrigue. Tu n’as pas à tout dominer. Notre Père Suprême est le seul omniscient. Mais te montrer digne des responsabilités qu’ils nous délèguent c’est aussi inspirer les autres. Elle se redresse, la regarde dans yeux, gloussement candide. Et pour ça pas besoin de changer, juste d’accepter que d’autres placent leurs espoirs en toi. elle ronronne et tire une langue pointue et rose, plus malicieuse que moqueuse.

Et la main jamais saisie retombe, un bide plat, sans que la mâchoire ne se desserre d’un sourire radieux mais douloureux. Eden imagine ses maxillaires s’écrabouiller entre elles, les fragments formeraient de fève sous sa langue, et ne fait rien pour arrêter la goutte, épaisse et salée, qui glisse sous son polo.

Les erreurs de calcul sont malvenues et ressemblent au bic rouge de l’institution qui transperçait le tissu de ses rêves bien avant ses copies.

Ah ouais. Grave cool. Contente de pouvoir t’aider. elle a desserré les lèvres, fière de ne pas voir une goutte de fiel ramper sur ses babines, pour déplier la mécanique pénible de la sympathie contrainte.

Le jour frappe sous les volets, c’est une constellation pluvieuse sur la tenue de sport de Fang, et avec l’impudeur s’évapore. C’est clair, ça fait la différence. La confiance. Eden, elle en sent son cœur creux, de la redoutable indifférence témoignée par la brune. Un vide familier prend naissance dans ses bronches, vrombissement silencieux, et le sourire d’Eden s’amenuis en un trait mince.
Eclate toi bien. Je suis sûre que tu ferais une cuisto de dingue. Qui sait il pourrait vraiment pleuvoir.  Ses doigts se déplient au-dessus de son épaule.

Eden s’efface entre les ombres qui dévorent ses baskets fines.