amazed

ici il faut bien s’occuper. si on ne veut pas trépasser d’ennui, il faut apprendre à aimer les clubs et les activités. Caïn, bien que pas toujours champion, n’a jamais râlé à l’idée de se rendre à un club. au contraire, il s’y est toujours rendu avec joie et ne montre que rarement du retard. le club d’athlétisme est son préféré parmi ses trois activités. au club de débat, bien qu’échanger sur différents points de vue l’intrigue, il y a parfois quelques accrochages lors de désaccords intenses. au club de méditation… ne parlons pas du club de méditation. c’est pourquoi le stade est l’endroit où il préfère se rendre. bien qu’il soit plus un cerveau que des muscles, cela ne l’empêche pas d’avoir fait de gros progrès en course et d’avoir amélioré sa condition musculaire au fil des années.

avant de commencer son entraînement, il pose ses affaires dans les gradins. bouteille d’eau, pomme, veste de sport un peu trop grande pour lui. il viendra les chercher après avoir versé sa sueur journalière. maintenant descendu sur le stade, il s’échauffe, s’étire, écrase les os de ses doigts les uns entre les autres —étape inutile qu’il n’omet pourtant jamais—. quelques instants plus tard, le voilà parti. il ne pourra jamais prétendre être Quicksilver mais il faut avouer qu’il est bien plus rapide qu’il n’était il y a quelques années de cela.

mais même avec une meilleure endurance qu’auparavant, il s’épuise alors que les minutes s’écoulent une à une. avec malchance, il a récolté une crampe qui l’élance à répétition tout le long de son triceps sural. c’est pourquoi au lieu de se sur-ménager, il choisit de s’octroyer une pause se dirigeant de nouveau vers les gradins où il pourra récupérer sa bouteille d’eau.

en revenant à la case de départ, son chemin croise celui de Jude qu’il n’avait pas aperçu ici depuis belle lurette. le visage de Caïn ne trahit pas son émotion de surprise. son expression est vierge comme une page blanche. il lui lance un regard furtif avant d’attraper sa bouteille d’eau et de l’ouvrir en prenant place sur le siège d’à côté. je m’accorde une pause parce que je me suis fait une crampe à la jambe. il adresse ces mots à Jude sans même commencer par une formule de politesse. salut au passage. elle ne vient qu’après. il sait que l’information donnée juste avant est insignifiante. ce qu’il sait également, c’est que la condition de Jude est bien pire que sa piètre blessure passagère. et ce depuis quelques années maintenant. Caïn appuie son regard vide et intense sur l’orthèse de celui-ci. il n’en pense pas grand chose.

les échanges entre les deux garçons sont toujours brefs à la limite du cordial. depuis que Jude a arrêté l’athlétisme, ils ne se croisent qu’au groupe de méditation, où Caïn ne lui adresse presque pas la parole. il lui arrive également de lui accorder quelques regards froids et dénués de tout sentiment lorsqu’ils se croisent dans les couloirs ou au réfectoire. aujourd’hui Caïn décide qu’il a envie d’enfin questionner Jude. pourquoi tu ne m’as jamais dit ce qui t'étais arrivé exactement? la question est non seulement intrusive et malvenue, elle est également formulée de sorte à ce que Jude culpabilise et se sente responsable de la cicatrice laissée sur leur vieille amitié.

Caïn ne rétorque pas immédiatement. il prend une lampée de sa bouteille d’eau puis la pose de nouveau à ses côtés. il se lève puis place ses mains sur ses hanches et courbe le dos pour en faire craquer les os. finalement il se rassoit, plus proche de Jude. il fixe sa jambe handicapée avec insistance. tu as perdu une jambe mais pas ta langue. ça sonne sarcastique mais Caïn use du premier degré. il place tout son poids dans le fond de son nouveau siège, regardant le stade animé par les autres sportifs comme on regarde des rats de laboratoire en cage. il en oublie presque la présence de Jude.

après quelques instants, son attention revient sur Jude. ses yeux entrent en contact avec les siens. je me suis confessé car je te fais confiance. Caïn se munit d’un élastique qu’il avait gardé autour de son poignet et le place entre ses dents le temps de former un chignon avec sa chevelure. il vient maintenir en place sa coupe à l’aide de l’élastique. tu es gentil Jude. c’est un compliment dans la bouche d’un autre mais dans celle de Caïn on ne saurait définir ce que cela signifie. il est vrai que le choix de m’en parler ou non te revient. il tente du mieux qu’il peut de le caresser dans le sens du poil. mais cette technique ne marche qu’avec les clébards dociles. Jude est plus intelligent que ça. m’enfin… si tu ne comptes rien dire, je pars. Caïn se lève, prêt à laisser de nouveau ses affaires où il les a placées. prêt à laisser Jude avec elles.

mhhh… n’empêche que tu ne peux plus courir. sans trop savoir pourquoi, il continue de lui mettre des claques par les mots d’un naturel presque terrifiant. où est passé l’enfant amoureux qui vivait en lui autrefois ? c'est à croire qu’il n’a jamais existé. avant, on pouvait tendre l’oreille et écouter son cœur juvénile s’emballer en la présence de Jude. de ça il ne reste même pas des miettes.

Caïn laisse Jude parler sans trop montrer d’investissement par langage corporel. chacun de ses mots sonnent comme des reproches mais ils ricochent au loin en prenant soin d’éviter Caïn qui n’est pas bousculé par ceux-ci. il se contente de rester là, planté devant Jude, les bras ballants le long du corps, ne sachant pas trop quoi faire. il se doit de rester car partir marquerait le signe d’irrespect de trop et une invitation pour Jude à quitter sa vie pour de bon. chose qu’il ne souhaite pas voir arriver, Caïn a besoin de Jude. Jude a besoin de Caïn également, mais pas de la même manière. si Jude part de sa vie, Caïn perdra cette certitude - au final toujours incertaine - qu’il ne le trahira pas si l’envie le pique. c’est pourquoi depuis tant d’années il continue de lui adresser la parole lorsqu’ils se croisent. ce sont toujours des mots échangés brefs et rapides, qui passent comme une piqûre traverse la peau ; on compte jusqu’à trois mais au bout de deux c’est déjà terminé. la triste conclusion, c'est que si Caïn ne s’était pas confessé, il n’aurait aucune raison de garder Jude dans sa vie.

l’athlète se penche en avant lorsque Jude lui fait signe de croquer dans la banane et laisse sa main frôler la cuisse de sa jambe esquintée pour s’appuyer sur les rebords de son siège. il mord dans le fruit en le soutenant lui du regard. il ne le remercie pas. il préfère les pommes. puis il se redresse de nouveau. merci. en revanche, il a le don pour remercier lorsqu’il comprend qu’il ne devrait pas le faire. il aime faire ce qui est interdit. viens marcher avec moi. une pause. sur le stade. son regard fait le chemin de Jude jusqu’au dénommé stade. Caïn a compris par le ton employé par Jude qu’il se devait de faire redescendre la tension.

Caïn manque de froncer les sourcils à la remarque trop honnête - et véridique - de Jude. à la place il se contente de lever son regard vers le ciel et d’acquiescer en soupirant presque. Caïn récupère alors ses affaires et le guide en direction des douches les plus proches. à l’allure à laquelle marche Jude, il aurait bien des difficultés à passer le premier contrairement à autrefois. observateur, Caïn ne manque pas de constater son pas si lent qu’une tortue pourrait presque le dépasser. je n’aurais pas pensé que ta jambe puisse te ralentir autant. il ne se prive pas de lui faire la remarque. tu veux euh… t’appuyer contre moi peut-être ? la proposition semble incertaine, impossible de juger si elle sort droit du cœur. le geste reste là.

arrivés à destination, Caïn ne perd pas de temps et s’empresse de retirer sa tenue de sport et d’allumer l’eau tiède. il n’est pas pudique et, à la différence de son ancien ami, rien n’a changé chez lui. déjà sous le jet d’eau, il se tourne vers Jude. et toi la douche tu comptes la manquer et te contenter de me regarder faire ? son regard s’abaisse sur la jambe handicapée de Jude. il la pointe de son doigt mouillé. elle va fondre si tu la passes sous l’eau c’est ça ? il ne peut s’empêcher de le taquiner sur un air plus ou moins désagréable.