amazed

Luke renverse la tête en arrière et ferme son nexus pour laisses ses bras pendre entre ses cuisses.

C'est dingue d'être comme ça. se souffle-t-il à lui-même. Autant dépassé. Autant soumis. Autant noyé. Jusque-là il s'était targué d'être un mec calme, Luke, de se connaître, d'être sage. Pff, tu parles. Tout fou le camp et sa quiétude avec. Depuis qu'il est plus grand que les autres, sa paix à volé en éclats et n'en reste rien qu'un immense et joyeux chaos. Et il en a marre, Luke. Marre d'être pris en otage par ses propres émotions. Il faut qu'il se reprenne. Mais il ne peut pas demander de l'aide aux parents. Pas après qu'on lui a fait confiance. Ce serait admettre qu'il est faible. Qu'il n'est peut-être pas taillé pour être premium. Ce serait donner raison à Alfie et ça... Ah ça...

Il entend la porte du vestiaire s'ouvrir. Dans l'entrée, viens d'apparaître Saki.

Tu me demandais pas de payer quand j'étais encore trois étoiles espèce de rat. Il étire un sourire avant de baisser la tête. Merci.

Il ouvre de nouveau son Nexus. Dans ses messages, la convocation de Remy. Luke pince les lèvres en relisant les quelques mots inscrits. Une "invitation" sobre pour le samedi matin.

Je savais que ça allait arriver mais il a fallu que la convocation arrive en plein entraînement. Ça m'a pris de court. J'ai eu peur que la rumeur se propage. Premium depuis moins d'un mois et déjà dans le bureau du patriarche ! T'imagines ? Frank a fait une réflexion et...

Luke secoue la tête, désarmé.

Je crois que je deviens violent. Et ça lui fait peur, ça le prend à la gorge. Sentir qu'on perd pied. Toute cette merde pourquoi ? L'échec ? C'est pas possible. Faut que tu me calmes. Fait disparaître.. Il désigne son cœur, sa poitrine, tout ce qu'il s'y bouscule à l'intérieur. Fait disparaître tout ça.

Ah. Il a appris. Alors oui, les rumeurs circulent. Merde, ça lui fait baisser les yeux. Il voit déjà dans le regard des PHY plus âgés le je vous l'avais dit. tant redouté. Luke entrecroise ses doigts, en quête de chaleur, de contact. Il avait lu qu'avec la respiration l'on pouvait maîtriser ses émotions. Cet art lui est obscur, nébuleux. Si sa respiration est régulière, aucune bouffée d'air ne parvient à endiguer cet étau dans son estomac.  

On en est quand même venu aux mains, Saki. Non pas qu'il regrette, loin de là même. Il comprend avec un certain effroi que ça aurait été bien pire s'ils en étaient restés au stade des piques. La main de Saki sur sa poitrine lui fait relever doucement la tête. Il supplie un peu du regard, Luke. Impuissant à reprendre son propre contrôle, dépendant du cadre qu'on veut bien lui offrir. Il promet qu'il fera mieux. Qu'il sera plus indépendant, plus maître de lui-même. Mais pour l'heure, il abandonne, Luke. Il s'abandonne aux bons soins de ses proches, à ce qui lui reste de plus doux. T'es beaucoup plus doué que tu ne le penses.

Pour pas dire s'il te plaît. Pour pas le supplier et enterrer le peu de fierté qu'il lui reste.

J'ai aimé ça, tu sais, qu'on se frappe. Il doit le dire, au moins à quelqu'un, surtout à lui. Le pire dans toute cette merde, c'est que ça m'a fait du bien. J'attendais que ça, qu'il me saute dessus que je puisse le cogner sans regret.

Et c'est ce qu'Alfie avait fait. En ça, le sans-étoile avait combler ses attentes comme rarement depuis des années.

Je me disais que c'est tout ce qu'il méritait. Après m'avoir menti et avoir joué au con comme il l'a fait. Il secoue la tête. Putain de merde, Saki. Ça m'a fait du bien sur le coup mais depuis c'est pire. Comment tu fais, toi ?

C'est qu'ils ont toujours compté sur lui pour gérer leur cœur, quand Luke a toujours compté sur Alfie pour gérer le supplice de sa douleur.

Je suppose que tu lui as parlé. Tu lui parles encore. C'est pas un reproche. Je peux pas me pointer demain dans cet état. Je dois être irréprochable.

Ça rampe pour un peu d'amour et d'affection. Pour la sensation de compter, pour l'illusion que rien n'a changée.. Il est pas déraisonnable, Luke, quand on le nourrit bien. Alors il se tait, il écoute. Accepte de laisser Alfie loin de lui. Il aura tout le loisir de s'y confronter demain. Saki ne s'en rend pas compte, mais d'un simple geste il donne tout ce dont Luke manquait.

Je suis quasi sûr que ta sagesse te vaudrait une étoile en moins pour apologie de la violence.

Malgré tout, il sourit. C'est déculpabilisant et c'est tout ce dont il a besoin sur le moment. Luke embrasse la légèreté bienvenue et les conseils qui vont avec. La violence, il croit comprendre qu'elle est pour Saki ce qu'est la douleur pour lui : nécessaire.

Peut-être... Peut-être a-t-il besoin de violence, lui aussi.

Tu veux qu'on se cogne ?

Luke désigne de l'index son torse, puis celui de Saki. L'idée est saugrenue, ça lui fait hausser brièvement un sourcil. Se cogner. Et à mesure sur le mot roule en silence sur sa langue, il se surprend à ne pas trouver l'idée mauvaise.

Pourquoi... pas... En vrai, ouais. Pourquoi pas. Il lève un regard plus assuré sur Saki. Mais tu sais que je vais te défoncer ?

Il étire un sourire, complice et taquin. Sa risette qui creuse sa joue. Parce qu'il sait pas sourire droit, la bouche grande ouverte comme les gens solaires. Luke, il sourit toujours les lèvres pressées l'une contre l'autre, toujours plus du côté droit que du côté gauche. Ça lui donne un air un peu canaille. Il a jamais vraiment conscientisé que c'était son atout numéro 1.

Il pousse sur ses jambes pour se relever. Le gymnase est vide mais peut-être que des gens viendront. Luke ne tient pas à être épinglé pour bagarre une nouvelle fois.

Je suppose que tu veux utiliser le matos de boxe ? Ok comment, on fait ? C'est toi le cogneur, montre moi. Moi; hormis les balles...

Qu'il s'est très bien envoyé dans la tête des gens qu'il n'aime pas. Il l'a déjà prouvé. Au final, cogner, tout le monde sait faire. Y a juste quelques élus qui l'ont assumé.

Cafter ? T'oserais pas ! Il glisse, un peu plus complice. N'oublie pas qui tiens le palmarès de la bouffe et des promotion ticket. T'as pas envie de me voir te rejoindre au second étage.

Pas qu'il partage tant que ça, mais Saki est le genre d'exception qui confirme la règle. Luke a pris l'habitude d'avancer les frais, d'offrir, depuis qu'ils ont quitté le dortoir de leurs quinze ans. Comme pour s'excuser auprès de Saki d'être monté trop tôt, de ne l'avoir pas attendu. Il a aucune idée, Luke, du torrent de ses sentiments. Aveugle, devenu maître dans l'art de ne voir ce qu'il veut bien observer. Les confessions de Saki font tilt, éveillent quelque chose. Comme une petite alarme qui sonnerait en fond pour dire hé, c'est un peu étrange non ?. Mais c'est pas assez. Il y a toujours eu une forme de fuite en avant face aux changements. Un rejet de ce qui trouble l'ordre, le cadre, leur cadre. Luke il a toujours été à côté de la plaque avec les sentiments. C'est drôle, c'est pile ce que ses ex(e)s lui reprochait.

Haha, elle est drôle ta blague. Il le prend un peu trop à la rigolade. Une main sur l'épaule de Saki, sans se départir de son sourire. Rappelle-moi que la seconde option existe le jour où je ne pourrai pas appliquer la première.

Et il est vraiment là, le tragique de leur situation.
Il enfile les gants, un peu maladroit. Luke se souvient très bien. Quand, à 12 ans, il avait fallu faire des choix de club après la sélection. Il se souvient d'eux quatre au centre du gymnase et de la première décision unanime qu'ils avaient prises : pas de boxe pour Luke. Simplement parce qu'il avait fini la séance d'initiation, la mâchoire fracturée.

J'avais pas passé les gants depuis des années. Il n'est pas bien sûr que tout soit correctement mis, mais qu'importe. Saki à l'air de bouillonner d'impatience. Luke à ses côtés simples : son côté bon public notamment. Un peu d'adrénaline et son excitation augmentent. Si tout le monde ris, il rit. Il se place en garde, ses poings à hauteur de son visage. Bah étale moi, en fait.

Son sourire s'étire un peu, fait plisser ses yeux.

Sauf si t'as que de la gueule et dans ce cas-là, c'est pas coureur que t'aurais dû faire. D'ailleurs...

Sans attendre, il arme son poing pour porter un coup. Il se veut rapide pour le prendre par surprise. Seulement Saki a pour lui le poids de l'expérience. Qu'importe, Luke se fiche bien de taper ou de recevoir. A ce stade, c'est une simple déchaînement des corps, de poings qui s'écrasent. Et tant pis si ça doit faire mal. C'est pas comme-ci la douleur l'avait ne serait-ce qu'une fois arrêté.

Saki est insaisissable. Si au début ça fait rire Luke, bien vite ses sourcils se froncent, son visage se fige. La concentration le paralyse tout autant que la frustration. Il tente un crochet du droit, puis du gauche. Son style est brutal, trop peu subtil. Et s'il analyse le manque de patience en vient à le handicaper davantage. Alors que les coups de Saki pleuvent, lui ne touche que le vent.

Putain !

Luke se recule, toujours en garde. Ça le contrarie, mais il n'est pas assez malhonnête pour ne pas admettre que Saki à raison. Luke n'a jamais eu à se préoccuper de se préserver, de se protéger. Son pouvoir le fait pour et Alfie en gérait l'efficacité. Luke baisse les bras, son gant glisse.

Merde. Il le ramasse, les sourcils haussés sans comprendre comment diable est-ce arrivé. Ne l'avait-il pas lacé ? Pas assez bien, visiblement. Il fronce les sourcils, restreint dans ses mouvements par son autre gant. Une ficelle qu'il tire entre ses lèvres, l'autre qu'il essaye de faire repasser dans sa boucle, il lève brièvement les yeux vers son ami. Et c'est censé sous-entendre quoi ça ?

La bataille est rude et désordonnée. Luke tire un peu plus sur sa ficelle pour sentir le gant se refermer sur son poignet. Là lui semble mieux, reste à réussir à boucler correctement le tout. Sincèrement, il ne voit pas comment.

J'ai pas l'intention d'aller au paradis sans toi. La ficelle glisse de ses lèvres pour pendre dans le vide. L'espace d'un instant, il y a un peu de peur dans le regard de Luke. Ça n'a aucun sens si on n'est pas tous ensembles.

Il l'a rêvé, la porte qu'on franchit, une vie de bonheur, de joie simple, de sécurité. Sans pression, sans rang, sans labyrinthe. Juste eux. Juste le paisible. C'est tout ce qu'il a toujours voulu.

C'est ça que vous ne captez pas, je crois. Y a de l'ego, je prétendrai jamais je le contraire. Mais y a surtout nous. Quand est-ce que ça a commencé à ne plus autant compter, hm ?

Depuis qu'Alfie est passé premium ? Bien avant ?

Bref, je ne franchirai pas les portes seul. Alors t'en fais pas pour mon autonomie, daddy.

Luke écarquille brièvement les yeux, pris en faute. Sur le coup, il se sent incroyablement et stupidement con. Il a raison, Saki. Jamais il ne l'avait appelé comme ça, avant. Il baisse les yeux, un peu coupable. Il y a toujours eu une alchimie autre entre Alfie et lui. Une fusion qui n'existait pas ailleurs, qui n'avait pas a exister ailleurs. Il n'a jamais conscientisé, Luke. Les gestes, les sourires, le besoin viscéral d'être là, ensemble, d'exister ensemble. C'est peut-être le plus risible. Luke est bien le seul qui n'a jamais compris.

Je- Tu as raison.

Peut-être utilise-t-il Saki. L'idée l'effraie. S'il esquisse un sourire aux répliques de son ami, il baisse néanmoins les poings.

J'ai pas nécessairement envie que tu y ailles seul, au paradis. Il détourne le regard, un peu confus. J'crois que j'ai jamais fait le rapprochement parce que c'est trop aberrant.

Pourquoi les avoir mis à quatre si ce n'est pas pour qu'ils franchissent les portes tous ensembles ? Il se demande, Luke. Pourtant, c'est pas comme-ci il pouvait y faire grand-chose. Les règles sont ce qu'elles sont et elles ne se contestent pas.

Si je te touche, tu répondrais à une question ?

Sans vraiment attendre, il pose son poing contre son torse Il étire un sourire, les épaules haussées, l'air de lui dire j'ai jamais précisé quand on commençait.

T'as peur ? De passer la porte tout seul ?

Saki explose, peut-être que ça couvait depuis un moment. A coup de vérités crues, d'évidences tellement grosses que Luke se demande comment il a pu être aussi con. Saki franchira les portes seul. Pour une bête année en plus, pour quelques mois d'avance. Saki attendrait, seul. Saki allait subir tout ce que Luke craignait de subir, tout ce qui l'avait motivé à ne jamais accepter la moisson si c'était son nom qui était annoncé.

Je suis désolé, Saki. Pour tout un tas de choses, en vérité, mais il y a une, vraiment, qu'il veut formuler. J'ai pas été attentif, je ne t'ai pas considéré comme tu le mérites.

Mais y a quelque chose de fataliste dans tout ça. Les excuses, elles sont belles, douces, mais elles ne changeront rien. Ça le rend un peu honteux d'avoir passé des années dans la hâte de franchir les portes avec Alfie alors qu'un de ses amis en souffrait. Il ignore, Luke, s'il y a une quelconque réconciliation possible entre lui et son ancien meilleur ami. Mais il sait que si Alfie n'est plus là, Saki et Danaé si.

On a six ans devant nous pour trouver un moyen de retarder de quelques mois ton ascension au paradis.

Il ignore même si c'est possible, mais il se persuade qu'il a le devoir d'essayer.

J'ai du pouvoir aujourd'hui. J'ai de l'influence. Ça ne me coûte rien de demander à notre père une faveur ! Si toi, de ton côté, tu te donnes et gagnes des étoiles, on aura du poids. On ne demande pas des années, seulement quelques mois. Qu'est-ce qu'on perd à essayer ?

Il se convainc, Luke, avec la naïveté des bons fils, que c'est possible. Que ses bons et loyaux services méritent d'être récompensés et qu'une exception aux lois lui est mérité. Il a pas souvenir d'avoir eu vraiment ce genre de geste pour Saki, mais ça lui semble important. Luke passe son bras autour des épaules de son ami pour l'amener vers lui et coller son front au sien.

Je vais trouver une solution. Tu ne franchiras pas les portes seul.

Il espère. Il ignore. Ignore aussi la culpabilité qui lui serre la poitrine à prononcer des promesses qu'il ne saurait peut-être pas tenir.