amazed

tu as répandu ton autorité dans la pièce en entrouvrant la porte du club de dessin. de ton pied qui dépasse le seuil d’entrée, au regard silencieux que tu adresses à brienne ; c’est malgré toi que s’est immiscée une atmosphère soudainement plus lourde malgré tout pas étouffante. non, tu avais réussi, dieu sait par quel miracle (sûrement grâce à ce sourire naturel qui déforma ton visage quelques secondes quand tes yeux croisèrent ceux de loup), après un bonjour, continuez continuez. un peu morose pourtant audible. tu ne t’attardais pas sur les toiles en cours et les conversations de tout le monde, tu n’existais pas tellement — pour une fois ton regard ne surveillait pas, il découvrait.

une pensée saugrenue car optimiste et ensoleillée balaya même les idées sans éclats qui d’ordinaire parasite tes mœurs ; peut-être était-il temps d’exposer l’art de ces blocards qui trouvaient dans leur doigts la dextérité d'exprimer leurs sentiments ?

quel drôle d’effet, remy. que d’exister sans être le bourreau de ces enfants. tu t’excuses d’une voix faible auprès de la responsable des lieux, expliques que ta présence sera courte mais que tu monopoliseras le lieux après le départ de tout le monde. le ton de ta voix est si ennuyeux qu’il est dur de converser à partir de si peu.

tu t’imagines déposer une caresse rassurante ou deux sur les épaules curieuses qui se déplacent pour que les regards scrutent ton passage, mais tu ne touches à rien ni personne, incapable de laisser ta trace en ce lieu sympathique qui mérite ton absence.

c’est pour cela que tu t’enterres ensuite dans une bulle de silence. tes yeux observent l’heure affichée au mur ; il est temps que les chevalets soient pliés. tu observes dans la pièce les quelques œuvres qui décorent le lieux, y reconnait certains traits.

les oreilles indiscrètes prennent congé (tu promets des rendez-vous aux plus désireux, rassure que ta présence n’a rien d’une accusation pour ceux qui s’inquiètent), te permets d’approcher loup qui range ses affaires. « j’arrive un peu tard, mais je ne voulais pas vous déranger pendant votre activité. qu’avez vous fait aujourd’hui ? montre moi votre travail à tous s’il te plaît. »

car de tes yeux insipides tu ne vois que des couleurs mais alors que peut bien voir loup ?

C'était la couleur que Loup voyait le mieux.

Elle étincelait à sa rétine comme un rapace à chaque fois qu'il fondait sur sa proie. Elle était centrale dans son existence. Omniprésente et punitive.
Elle l'avait déjà condamné à plusieurs reprises mais Loup ne cessait de se tourner vers elle, peu importent les circonstances.

Derrière son chevalet, ses mèches blondes dépassent.
On le voit s'agiter devant la toile, et on sait que Loup est impliqué, parce qu'il ne parle pas mais ses gestes sont très vifs.

Loup n'a pas vraiment dessiné.
Il a plutôt jeté sur la toile ce qu'il ne parvient jamais à verbaliser.

Et quand la porte s'ouvre sur une présence que personne n'attendait,
il faut le dire,
Loup est peut-être le seul à ressentir quelque chose de chaud quand il s'attarde sur les contours de cette silhouette à la nuque courbée, sur ces épaules carrées et légèrement inclinées vers l'arrière. Ses yeux se perdent à la toison grise. Au regard gris aussi.

Son cœur se met à battre.

Oh.
Si Loup avait vraiment été doté de caractéristiques animales,
alors on aurait vu ses attributs canins de tête et de bassin s'activer face à l'arrivée.

- Remy !

Son timbre dépasse le murmure et franchit le tympan de l'assemblée qui s'interroge sur la nature d'un tel engouement.
C'est très inhabituel de la part de Loup.

Mais il faut attendre la fin de la séance pour vraiment observer la joie qui désinhibe son silence.

- Brienne a dit de dessiner ce qu'on aime pas.

Ce qui vous met mal à l'aise.
La consigne pouvait paraître étrange.

Loup s'écarte un peu pour révéler son œuvre.
Il ne s'exprime pas tout de suite, peine à trouver les mots.

Spoiler:

Son visage se renfrogne et on croirait presque voir des rougeurs apparaître sous la peinture rouge qui a éclaboussée ses tâches de rousseur.

Aujourd'hui, ce n'est le sang de personne.

ce soir, comme tous les soirs, tu t’endormiras en deuil, car tu es toujours mort. mais sur la couche où se reposera ton corps il y aura un brin de chaleur — c’est celle que loup a déposé en toi quand son regard s’est illuminé car tu es venu.

et puis, demain, ton cercueil sera froid, à nouveau. car les bonheurs sont éphémères mais tu te féliciteras, morose, d’avoir su en profiter quand l’occasion s’est présentée.

tes yeux sur les toiles qui trônent dans la pièce ne parviennent à se fixer sur une image précise, avant que loup ne désigne son œuvre à lui. tu te penches, observe les détails de ces éclats de peintures qui n’ont pas de sens pour toi mais qui doivent sûrement tout dire pour lui. tu aimerais comprendre ; tu pourrais mieux l’aider à gagner au jeu de la vie. mais c’est encore complexe et tu as peur de te tromper. il faut un long moment de silence avant que tu n’ouvres la bouche ;

« tu as déjà connu l’amour, loup ? »

dix-sept ans. toi tu avais connu toutes sortes d’amour, à cet âge ci. tu approches une main de la toile, effleurant quelques coups de pinceaux secs au niveau de ce que tu discernes comme étant des doigts.

« pardon, je pense à voix haute. »

nudité ? sexualité ? traumatismes ? appréhension ? peut-être n’y vois-tu que ce qui te parles à toi. tu souffles par le nez, comme une exaspération discrète. tu te dégoûtes.

« qu’est ce que tu as voulu représenter, dis moi ? »

Amour.

Est-ce encore quelque chose qui se mange ?
Quelque chose qui se voie,
qui se touche,
qui se donne,
qui se vole,
qui s'arrache.

De quelle couleur est l'Amour ? Si Remy en parle, c'est peut-être que d'Amour, il y a sur la toile de Loup. Comment aurait-il pu représenter quelque chose dont il ignore tout ? Max peut-être sait ce qu'est l'Amour. En a-t-elle donné à Loup ?

On voit d'ailleurs sur son visage que sa réponse n'est pas très claire. Sa nuque plie d'avant en arrière, de droite à gauche et de travers. Non, il n'a pas vraiment de réponse à donner.

Finalement, Remy s'excuse.
L'aveu ôte un fardeau à Loup qui ne doit plus réfléchir.

- C'est ce que j'ai dans le ventre quand je me sens pas comme d'habitude.

Comme d'habitude c'est tout le temps. C'est quand il n'y a rien, quand l'esprit est tranquille. C'est le fleuve droit et léger. C'est la démarche souple et fluide.

- Quand j'ai faim. Je ressens ça.

Il ressent la mer de feu dans son ventre.

- Quand je suis en colère.

Il ressent tout ça aussi.

- Ou triste.

Il ressent.

- Ça te fait pas ça dans le ventre ?

Sa main se dépose sur son propre abdomen comme pour y chercher un battement qu'aurait fait descendre le myocarde. Aujourd'hui, c'est un peu tiède. C'est rigoureux. Il semble que toute la vie s'y propage.

tu vois bien, que loup ne comprend pas ces lettres maladroitement misent bout à bout qui veulent dire amour ; et tu l’envie, ton regard le lui dit.

tu es presque fier, de pouvoir dire que d’amour pour toi remy tu n’en as pas, si seulement de l’amour pour les autres tu n’en avais pas non plus.

sans ce poison tu aurais été plus libre, complètement mort, même, enfin tranquille. oui, c’est tout ce qui te manquait. l'aliénation de l’amour. l'absolu désert de sentiment.

ah. quel monde merveilleux, que la jeunesse — quand elle n’est pas volée.

« dans le ventre ? » tu réagis instantanément, parce qu’avec loup ta voix n’a pas peur de s’exprimer librement ; tu sais qu’en plus de t’entendre, il t’écoute.

« on dirait de l’angoisse, dit comme ça. »

tu imites, apposant à ton tour la paume de ta main sur ton ventre, maintenant toutefois ton attention sur les expressions de son visage.

« non, non. moi… c’est un peu mort, là dedans. y’a pas de peur, d'appréhension, d'excitation, de joie, ni de douleur mais ça c’est grâce à mon pouvoir. »

tu abandonnes le blocard pour observer les autres toiles qui habillent la pièce, toujours en lui parlant.

« ça t’arrive, d’être angoissé ? j’ai l’impression que tu es très à l’écoute de tes émotions. c’est une bonne chose, tu sais. les mettre en peinture, c’est excellent. les verbaliser, c’est la prochaine étape. alors tu pourras les exprimer sans les laisser agir. » tu reviens sur tes pas pour faire face au jeune homme. « d’ailleurs. quand tu ressens ça, que fais tu ? »