amazed

la fête d’été a laissé s'échapper son dernier souffle, emportant avec elle mes plus grands instants de bonheur il y a quelques jours déjà. j’avais joué pour le monde, planté des fleurs à la force de mon amour, osé me lover dans des bras en prétendant les mériter. ces trois choses, oh, si petites ne prendraient probablement que quelques lignes dans l’histoire de ma vie !

mais mon livre est court ; une dizaine de pages, peut-être. alors si peu, ça veut tout dire.

je n’ai pas ébruité mes secrets d’amour — j’ai peur qu’on me les vole. mais j’ai entendu quelques secrets des autres ; et s'ils se répandent c’est qu’ils n’étaient pas tant des secrets mais plutôt des didascalies, pas vrai ?

« kiki ~ » mes mains sont légères, elles virevoltent comme pour te faire apparaître sous mes yeux enchantés. c’est l’heure d’aller déjeuner, l’heure pour nous de nous rencontrer. après tu seras occupée à maraîcher, moi à balayer. nos destins devront se saluer pour la journée et le soir, épuisées — enfin moi tout du moins, (aujourd’hui je dois m’occuper du social club), je n’aurai plus la force d’éclater en sourires non ; à peine l'énergie de te serrer dans mes bras… je sens déjà que je m’endormirai à ton contact, parce que kiki, tu m’apaises.

« tu déjeunes avec moi ce matin ? » je t’entoure de mes bras, quelques secondes seulement pour ne pas empêcher ta marche. « tu vas bien, dis ? j’ai entendu dire qu’avec lucien, le ciel s’assombrissait. mais tu sais, le mauvais temps ne dure jamais ! » je glisse une main dans la tienne, la gardant captive par nos doigts qui s’entremêlent. « plus on a de petites étoiles, moins on estime la taille du soleil. »

drôle de cadence. je crois capturer l’amie et je ne vois qu’une paire de jambes qui refusent ma compagnie. c’est si naturel, c’est si brut, c’est si kiki ! d’agir ainsi, avec un corps qui s’expriment et des mots qui se censurent.

« quoi ? » j’ai entendu mais je préfère faire semblant, et toi aussi, actrice, tu fais comme ci c'était normal. « d’accord d’accord — » comment peux tu faire de si grand pas ! « ah !? » mon visage se tord, c’est moi qui ne comprend rien ! choqués, même mes pieds s’arrêtent ! ils évaluent peut-être ta vitesse, pour comprendre la profondeur de ta colère. et quelle colère ! je t’ai trop regardé creuser la distance, il me faut courir pour te rejoindre, saisir ton poignet que d’ordinaire tu m’aurais laissé effleurer sans force, et enfin, te retenir — on n’a rien a fuire kiki, on n’a rien.

« kiki ! » il suffit ! « tu es grognon, je le vois bien ! » placée devant toi j'espère que tu vois je subis tous les sentiments puérils des enfants colériques ; boudeur, capricieux, jaloux. moi aussi je suis humaine, ma petite étoile, moi non plus je n’aime pas que l’on fasse tomber du ciel une amitié aussi scintillante que la tienne. « dis moi ce que j’ai fait, plutôt que de m’ignorer ! je ne suis pas lucien, moi j’écoute, je dis pardon, et je t’adore ! »

c’est dur tu sais kiki, de jouer l’aveugle, quand tu éclates avec autant d’animosité sous mes yeux apeurés. tout mon corps me cri de partir, oui, même mes mains n’ont plus la force de tenir les tiennes, quand tu mets autant de force à ne plus m’aimer.

et pourtant dans ma tête on hurle au scandale : ça n’a pas de sens !

éreintée fatiguée mal lunée colérique ou vexée, comment j’aurai pu penser que tu puisses poser sur mon nom des sentiments si lourds qu’ils voudraient m’enterrer ?

j’ai du mal à saisir ce qui terni ton éclat, j’ai du mal à croire que je puisse y faire quoi que ce soit. et si c’était ainsi ? fin de la pièce, le livre se referme, kiki et aurora c’était une tragédie. qu’est ce que je raconte ? est-ce mon étoile à moi qui déconne ? suis-je mal écrite ? aurora ne te plaît plus ? le monde dans lequel je m’insère, cet univers qu’on appelle vulgairement quotidien, je n’y ai plus ma place ?

ah, voilà qu’arrive la cavalerie : toute une armée de larmes, prête à déferler le long de mes joues pour souiller le terrain de mon visage ! elle tient même un drapeau blanc car elle sait, qu’elle n’arrivera pas à se battre contre plus fort que soi — le rejet l’emporte toujours contre la peine.

j’implose. c'est silencieux, c'est en dedans, c'est le coeur qui étouffe car il a peur de comprendre. est-ce père suprême qui t’interdis à moi, car il n’a pas aimé que je lui dise je t’aime ? est-ce ça ! est-ce ma punition, pour avoir saisi le bonheur entre mes doigts ! décide-t-on déjà de me punir en me prenant ce qui compte, petit à petit ? je sanglote, laide d’une grimace ; je ne comprends pas ces émotions sauvages qui n’ont pas de pudeur mais c’est ainsi que tu m’aimais encore hier, kiki, alors c’est forcément sa faute à lui si tu me hais aujourd’hui.

« je suis désolée » trois brefs mots bafoués entre les pleurs. il était trop tôt pour détruire mes espoirs, je suis désolée que se répandent au sol les morceaux de mon cœur. j’essaye d’essuyer larmes par des revers de main mais tout est aléatoire, parfois la paume, parfois le dos, parfois une phalange, parfois les dix doigts d’un coup ; je gribouille sur mes pommettes comme si un tel acharnement allait gommer les rivières de détresse.

que c’est ridicule ! je me décale d’un pas, je ne voudrais pas rendre ta journée plus terrible, il n’y a rien à faire, tout est de ma faute. « pardon, vas-y » va, éloigne toi ; je n’aurai pas dû laisser mon coeur aimer, c’était sûr qu’il finirait par honnir me voir trop heureuse.

tu ne m’abandonnes pas. c’est une promesse qui siège chez les non-dits ; on n’abandonne pas ses amis. n’est-ce pas ?

pourtant j’étais convaincue que tes pieds te ferai quitter le paradis des serments silencieux. je pensais que père suprême plus fort que l’amour entre deux amies. tu n’imagines pas tout le bien que ta voix me fait, quand elle résonne, alors que je venais de te dire adieu.

« je suis désolée ! » je te répète, car tu ne comprends pas mes pleurs. ne suffisent pas les excuses sincères et les quelques larmes qui perlent sur mon visage, pour que tu comprennes les remords de mes actes ?

si j’avais su qu’avouer je t’aime t’emporterai loin de moi oh kiki jamais je n’aurai consentis à le lui dire, comprends tu ? mais ta voix devient plus lourde et plus forte et tu insistes ; tu n’as rien fait — mais je sais ! c’est moi !

et tu avoues : la solitude tu la cherchais, ce n’est pas ce diable de père qui te l’impose ? je lève mes yeux, l’incompréhension s’esquissant maladroitement sur mon visage endeuillé. « quoi ? » j’inspire, je fais un pas, je veux que mes mains trouvent du réconfort dans les tiennes mais je me souviens, j’entends l'écho ; tu ne veux pas de moi aujourd’hui mais ! dieu merci ! ce n’est pas une punition !

« j’ai cru qu’on t'avait ordonné de ne plus me parler pour me sanctionner d’avoir goûté à — » (à l’amour mais je n’oserai pas le dire) « à un nouveau bonheur. » je frotte mes joues humides, puis mes paupières larmoyantes. tout va doucement un peu mieux mais subsiste dans le creux de mon estomac une amertume qui pourrait me briser aussi vite qu’une pénalité pour mes libertés. « je voulais pas t’agacer kiki, je voulais qu’on discute comme d’habitude, que je te raconte ma soirée au festival et que tu me racontes la tienne, qu’on déjeune ensemble, j’ai » je chuchote soudainement, « j’ai des petits gâteaux du festival dans mes poches, je voulais t’en donner ! » mais mes mains n’osent pas bouger et demeurent vides, alors il n’y a plus qu’un piètre sourire pour te dire comme j’ai eu peur que tu m’abandonnes mais comme je suis heureuse que tu ne le fasses pas pour toujours,

tant que ce n’est qu’aujourd’hui, je peux me retenir d’exister, et on parlera demain,
en attendant je demeure morte, parce que si je ne peux rien te dire alors c’est que je n’ai rien d’intéressant à vivre.

« mais file ! je t'attendrai. »