amazed

neonothopanus gardneri.

hydnellum peckii.

Prim ne savait pas trop s’il s’agissait d’un concours de circonstances anormalement fortuit ou si Père était vraiment de son côté. Habituellement, elle aurait passé toute la soirée aux côtés de Saint, et quoique l’idée n’était pas déplaisante en tant que telle, elle n’avait pas pu retenir le maigre sourire qui avait étiré ses lèvres lorsqu’elle l’avait aperçu s’occuper des lumières. Elle passerait sûrement le saluer plus tard, lui ramènerait de quoi grignoter, quelque chose comme ça. Aurait peut-être dansé avec lui s’il n’y avait pas Lucien.  

Mais voilà, il y a bien Lucien, avec elle. Peut-être pas rien qu’avec elle, mais Prim s’en contente bien assez pour le moment, déjà trop enivrée par l’invitation. Elle se trouve bien ridicule, mais s’autorise, juste pour ce soir, l’être. Pour les soirs suivants aussi, peut-être. Sûrement. Mhmh. Elle regarde les alentours, la rivière, la scène, les silhouettes qui vont et viennent, écoute la musique qui glisse jusqu’à ses oreilles et hoche la tête. C’est que ça ne la dérange même pas d’être debout là à attendre Lucien. Tout lui va, tant qu’elle sent la chaleur de son étreinte sur son poignet. Ça me va..

Elle se sent infiniment plus ridicule lorsque Lucien se tourne vers elle. D’une manière qu’elle apprécie étrangement, qui lui chatouille le ventre d’une manière trop agréable pour que ça ne la fasse pas sourire, pour que ça ne lui donne pas envie de se sentir idiote plus souvent. Elle a rarement senti ses lèvres s’étirer autant, a rarement senti ses pommettes s’élever si haut qu’elle en plisse les yeux.

Elle le bouscule, un peu, gentiment, pousse légèrement le bras qui la tient avant de le tirer de nouveau vers elle. Prim, qui a toujours le dernier mot, Prim, qui sait toujours quoi dire, en deviendrait muette de manière permanente. Moi aussi. Mais elle parle quand même, parce que la peur qu’il pense qu’elle ne partage pas ses désirs est plus fort que le noeud qui enlace sa gorge si affectueusement. On pourrait aller à la source, après. C’est joli, là-bas. Prim se détourne un peu pour regarder vers la scène de nouveau, rapproche son corps, repose sa joue contre son épaule, cherche à tâtons la main qui tient son poignet. A la source, ou ici, peu importe. C’est calme. Sauf si tu préfères rester aux alentours pour surveiller tes bébés. D’un mouvement de menton elle désigne, le même sourire sur le visage, le jeu d’échec sur la table près d’eux.

neonothopanus gardneri.

hydnellum peckii.

Prim acquiesce, une légère moue sur le visage. Elle ne va que rarement aux alentours de la rivière, n’y va que pour rechercher les champignons qui se nichent parfois sous l’eau, ceux qui ressemblent à du corail rose et pour lesquels elle aime se mouiller les doigts. Elle ne va que rarement là où son devoir ne l’appelle pas, n’a jamais laissé les soubresauts de son cœur dicter ses pas, l’emmener autre part.
Elle n’a pas hésité, pourtant, à les écouter lorsqu’ils lui ont chuchoté d’aller voir la Source, d’y tremper ses pieds nus et d’y tirer Lucien. Pourquoi pas? C’est l’occasion. Maintenant qu’elle y réfléchit, il est vrai que la Source ne sera probablement pas aussi calme qu’elle pourrait l’être, pas ce soir, pas alors que toute l’Enclave est réunie autour de la rivière. Non, tu as raison. Je n’y avais pas vraiment pensé. On peut rester ici, c’est tout aussi bien. Peut-être pas tout aussi bien, mais suffisamment, en tout cas.

Prim garde son bras bien contre elle. Se surprend elle-même, mais ne cherche pas à l’expliquer, ne cherche pas à le comprendre. Pour ce soir, elle se laissera porter. Pour les soirs suivants aussi, peut-être. Sûrement. Si tu veux. Elle en sourit, des échos d’une candeur qu’on ne lui attribuerait pas dans sa voix. Prim donne à sa main une dernière pression avant de la lâcher pour faire le tour de la table et se diriger vers la chaise en face de lui, s’empare d’un pion qu’elle regarde distraitement, le même sourire peint sur ses lèvres, comme s’il avait du mal à la quitter. Elle ne cherche pas vraiment à le faire partir non plus, l’autorise à rester là, avec elle, avec lui. Comme si tu en avais besoin, de toute façon. Je ne joue pas autant que toi, moi. Quand bien même elle connaît suffisamment ces jeux pour tenir une partie, elle sait d’ores et déjà que la défaite sera cuisante et incontestable. Ça lui va ; elle s’en réjouit presque. Lucien ne l’a t-il pas accompagné voir des champignons qui ne l’intéressent même pas un peu ?

C’est juste pour m’humilier, que tu veux jouer, je le sais. Le sourire sur ses lèvres s’élargit. C’est une blague, lui semble-t-il. Du moins quelque chose qui y ressemble, mais elle ne sait même pas vraiment s’il le prendrait comme ça. C’était pour rire, je crois. Le rictus fond un peu ; elle s’installe à la table, remet le pion à sa place, sur sa case blanche, jette un œil à son armée miniature, prête à marcher vers la défaite.

neonothopanus gardneri.

hydnellum peckii.

Les pupilles vagabondent ; en haut, à droite, à gauche, sur l’échiquier, alors qu’elle l’écoute. Prim ouvre la bouche pour dire quelque chose, mais la referme aussitôt, incertaine quant à ce qu’elle doit répondre.
Elle n’a pas vraiment l’impression de laisser avoir le dernier mot. Peut-être le fait-elle, inconsciemment. Elle sait que ça lui plaît, au fond, un peu, que c’est plus comfortable pour elle ainsi. Lucien sait mieux, c’est un fait contre lequel même son égo ne peut pas aller. Lucien, Robin, les parents. N’ont-ils pas le droit inné, au dernier mot? Je ne te laisse pas avoir le dernier mot. Je suis d’accord avec toi, simplement. Mais si ça te fait plaisir, la prochaine fois, je me battrai corps et âme contre ce que tu proposes. Prim sourit, à peine dérangée par l’illusion de libre arbitre que ça lui donnerait, de discuter ce qu’il dit. Elle le ferait sans grande conviction. Elle se sent plus légère, à se laisser porter, laisser quelqu’un d’autre réfléchir pour elle, lui prendre la main et la guider là où il faut, sans qu’elle n’ait à se demander si c’est bien, si c’est juste, si c’est ce qu’il faut. N’a-t-elle pas le droit, de profiter de la confiance qu’elle n’accorde qu’à peu de gens et de s’en enivrer?

Lucien pousse le premier pion, et Prim en pousse un autre, après quelques secondes de réflexion qui ne lui apportent pas vraiment d’aide. Elle écoute, quoiqu’elle a du mal à voir un réel challenge dans leur jeu. Ses mouvements seraient sûrement imprévisibles, mais rien qui ne puisse venir à bout d’un joueur aguerri. Sûrement. Mais je ne gagnerai pas de toute façon.Elle imagine pourtant bien que ce n’est pas tant le résultat qui l’intéresse mais lé déroulé de la partie. Elle a parfois du mal à le concevoir, elle que la défaite rend si aigrie sur les courts de tennis, mais elle sait que certaines choses n’en deviennent que plus intéressantes parce qu’elles sont inattendues. Ceci dit, j’accepte de me faire laver sur ce terrain-là si tu viens jouer au tennis avec moi, un de ces jours. Les pions bougent, Prim s’arrête pour réfléchir avant d’acquiescer. Enfin, pas si tu viens. Tu viendras.

Prim ne sourit pas autant d’habitude. Pour autant, ce n’est pas désagréable, au contraire. Elle ne pense même pas à la marque cuisante que ça lui aurait laissé, d’ordinaire, de se sentir si bête face à l’échiquier — se sent-elle bête, vraiment, alors même qu’elle se sent bien?

Elle n’accorde à la scène qu’une œillade discrète, à peine intéressée. La représentation ne l’intéresse que peu, ce soir. Mh. Ils sont impatients, je suppose. L’adrénaline, la même qu’elle ressent avant les matchs, ce doit être ça.
Mais la Source l’intéresse bien plus, et Prim lève enfin les yeux vers Lucien, le sourire large, pleinement assumé. Non, pas vraiment. Prim se lève, abandonne son armée, sans un regard vers l’échiquier, lisse les plis de sa robe et tend la main vers lui. Viens. On jouera plus tard, je préfère qu’on aille là-bas. Je peux avoir le dernier mot, tu vois?
Illusion stupide, et elle le sait. Ce soir, ce n’est pas important.

neonothopanus gardneri.

hydnellum peckii.

Si elle ne doute pas que Lucien est parfaitement capable de se débrouiller sur un court de tennis, la réponse ne manque pas de faire sourire Prim, qui lui jette un regard appuyé, comme à peine convaincue par sa défense, qu'il finit par laisser tomber. Elle s'appuie contre la table, frotte le bout de sa chaussure contre le sol, une moue faussement pensive sur le visage. Je n'ai pas dit que tu étais mauvais. Juste que j'étais meilleure. Elle lui laisse le reste ; les échecs, les débats, les dissections de petits animaux qui la font toujours autant grimacer et qu'elle ne fait qu'en se pinçant le nez très fort.
Elle lui laisse le reste, et il lui laisse ça. Et elle ne lui dira pas, parce que c'est stupide, mais elle le remercierait bien, de la laisser penser, pendant une seconde, qu'elle peut aspirer à s'assoir sur les mêmes nuages que lui. Ce n'est pas que courir après une balle, c'est super stratégique. Je ne comprends même pas que tu ne fasses pas de tennis. Tu peux jouer avec les deux mains, c'est ridiculement fort, je ne sais pas si tu t'en rends compte.

Elle secoue la tête, grimace un peu. Heureusement, qu'il ne fait pas de tennis. Elle a au moins ça.

Prim essaie de ne pas avoir l'air trop idiote. C'est un peu dur, beaucoup plus qu'elle ne se l'imaginait, elle qui n'avait jamais vraiment compris comment on pouvait se sentir se décomposer face à quelqu'un, ou qu'on accorde une quelconque importance à des mots qui ne devraient pas en avoir. Je viendrai, ça ne devrait pas lui faire cet effet. Chouette.
Chouette pour ne pas dire plus et se sentir encore plus stupide ; chouette, pour ne pas se laisser déborder, parce qu'il lui prend la main, l'emmène ailleurs ; chouette, parce que ça l'est, que pendant une seconde elle s'est imaginé qu'il n'entrelacerait pas ses doigts aux siens, aurait décliné l'avance de la main qui le supplierait presque.

Prim brave la foule sans un regard pour celle-ci ; se fiche bien d'avoir l'air stupide, pendu à son bras comme une adolescente, bien loin de la fierté dont elle fait preuve habituellement.
Elle ne fait pas attention à où elle met ses pieds, au lichen qu'elle pourrait malencontreusement écraser. Ne se demande pas s'il n'y a pas un coin qu'elle n'a pas encore vu et où elle pourrait trouver des espèces qu'elle n'a jamais étudié.
Prim regarde l'eau, la main de Lucien dans la sienne, le reflet du soleil qui se noie dans les eaux claires ; ça ne lui paraissait pas aussi joli, avant, ce petit coin d'eau. Elle regarde l'eau qui coule, brièvement. Se demande si Lucien la trouve jolie comme ça. Elle se maudirait, si elle ne se sentait pas si bien.
Merci d'être venu. Au passage, elle attrape la paume qui l'a effleuré, en regarde les phalanges un instant, le front qui se laisse tomber contre le sien presque trop naturellement. Je ne voulais pas insister tout à l'heure parce que je ne voulais pas paraître trop collante. Elle en aurait horreur,
qu'il se lasse, qu'il s'agace, n'importe quoi.
Mais tu me donnes envie de l'être, j'y peux rien. Alors je le serai un peu, si ça ne te dérange pas. Pas beaucoup, je reste raisonnable.
Elle lui sourit, lâche la paume et pose les doigts sur les pommettes, effleure les cernes sous les yeux et acquiesce.
Elle s'autorisera à l'être, juste un tout petit peu, pas longtemps.

neonothopanus gardneri.

hydnellum peckii.

Collante. Prim acquiesce. C'est le premier mot qui lui vient à l'esprit, quoiqu'elle n'est pas certaine que ce soit vraiment le mot le plus approprié. Elle a du mal à s'imaginer dans le rôle d'une Saint, et la seule pensée la ferait presque frémir, alors elle l'écarte très vite.
Pas collante, autre chose. Quelque chose de plus mesuré, moins excessif, si ça existe. Ça doit exister. Pas tout à fait collante, mais quelque chose du genre. C'est désespéré, c'est embarrassant. Rien qu'elle n'ait envie d'être. Elle sourit néanmoins, s'enflamme de ses simples paroles.
Même si elle était collante, un peu, pas beaucoup, ce ne serait pas bien grave. Je ne serai pas embêtante, c'est ce que je voulais dire. Elle saurait se faire discrète, lorsqu'elle irait le voir. Voilà, c'est ça. Elle saurait se faire discrète.

Ça ne brûle pas vraiment, mais presque, d'avoir ses lèvres contre les siennes. Ça chatouille, peut-être, ça caresse, comme le soleil sur sa peau, la douceur d'une main dans la sienne, les mignardises et leur goût sucré sur la langue, l'eau qui coule en milliers de cristaux sur sa peau.
Prim le serre contre elle, un peu pas longtemps, jamais trop longtemps, avant de le laisser s'éloigner. Pince les lèvres, plus pour en garder la chaleur qu'elle a senti que pour cacher son sourire niais, et porte une rapide main vers les siennes pour en essuyer, presque chastement, les légères ombres de rose qu'elle y a laissé, estampe qu'elle laisse discrète, par simple plaisir de pouvoir la voir lorsqu'elle le regarde.

Elle ne dit rien, se mure dans un silence qu'elle trouve agréable, de ceux qu'elle trouve plus intime qu'un million de pensées éparpillées sur la langue. Accroche sa main à la sienne, serre ses doigts entre les siens, là où elle peut sentir la rondeur des jointures presque aigues qui donnent naissance à ses phalanges lorsqu'elle y passe le pouce.
Prim sourit toujours bêtement lorsqu'elle s'installe au bord du transat. Se trouve drôlement gênante, de sentir sa poitrine aussi pleine à cause d'un simple baiser, de la même façon qu'elle se satisfait de ses promenades en forêt et de la chaleur de son café. Elle tourne la tête, regarde vers les tables et souffle du nez, comme si la décision de la boisson qu'elle allait choisir était d'une importance capitale. Mhmh. Le truc le plus sucré que tu peux trouver, si ça ne te dérange pas.

neonothopanus gardneri.


Saint ne faisait partie d'aucun des scénarios que Prim s'était imaginée pour la soirée, et elle s'en est imaginée des tas.
Elle ne comprend même pas vraiment comment elle n'a pas pu compter Saint dans l'équation ; c'était trop évident, beaucoup, beaucoup trop évident, qu'il aurait fini par émerger de derrière un arbre, apparaître derrière elle comme il fait trop souvent, comme s'il cherchait à tout prix à lui foutre les jetons pour de vrai.
Pour autant, elle n'aurait pas imaginé, alors même que tout allait bien dans le meilleur des mondes, voir les pupilles de Saint ternies d'une rage qu'elle ne lui avait jamais vu, contraste trop lourd avec la douceur de la soirée qu'elle passait jusqu'alors. Le sourire niais que le baiser a laissé s'efface bien vite, et ses doigts démangent de lancer son verre sur la silhouette qui ne la laisse pas profiter d'un simple bisou.
Elle pose son verre sur le transat, à côté d'elle, lève une jambe pour venir pousser Saint, un peu, pas beaucoup. Elle lui en veut déjà, d'avoir percée la bulle qu'elle a, lui semble-t-il, cherchée trop longtemps, mais ne cherche pas à envenimer les choses. Pas beaucoup, en tout cas. T'es obligé d'être violent comme ça? On a compris que t'as des gros muscles, le gorille.

Elle roule les yeux, expire, souffle, regarde en l'air, pince son nez et finit par se lever. C'est qu'elle peinera toujours à montrer à quel point Saint sait s'immiscer sous sa peau sans qu'elle ne le comprenne vraiment. Je t'en pose des questions, moi? Je ne te demande pas pourquoi on ne t'a pas déjà foutu à l'isolement. Aujourd'hui, en tout cas, elle ne lui a pas demandé. Ce n'est pas comme si je devais me justifier ou que j'avais des comptes à te rendre. Je vois encore qui je veux sans avoir besoin de ta permission, je crois.
Prim jette un regard vers Lucien ; rapide, trop embarrassée pour vraiment le regarder, mais espère tout de même qu'il voit les excuses dans son regard.
Les traits se tordent en une grimace confuse, comme si elle avait du mal à comprendre le sens derrière ses syllabes qu'elle trouve toujours aussi désarticulées. Nous quoi? Nous rien du tout, il n'y a rien qui change. Regard vers Lucien à nouveau. Qu'est-ce que ça change, vraiment, qu'elle soit avec lui ou non? J'ai le droit de garder certaines choses pour moi, tu sais, je ne suis pas obligée de courir tout te dire à la seconde où ça arrive. On en parlera à la fin de la soirée, si tu veux, mais pas maintenant.

Prim aurait aimé garder Lucien pour elle un peu, juste un peu. Sentir ce que ça fait d'avoir un secret, un truc innocent, quelque chose qu'elle aurait dû connaître lorsqu'elle était plus petite. Elle aurait aimé pouvoir continuer de l'écrire dans son journal, se dire que pendant un temps, il n'y aurait qu'elle pour savoir.
Evidemment, Saint ne voit jamais les choses comme elle, et Prim ne voit jamais les choses comme lui.

neonothopanus gardneri.


Mégalo.
Le mot ne lui est pas adressé, mais elle le prend de plein fouet, comme si chaque sonorité avait été dirigée vers elle. Parce qu'elles le sont, quoique Saint en pense, quoiqu'il en dise. Mégalo, pour des raisons qu'elle n'expliquera pas et qui ne resteront qu'à elle, comme tout ce qui habite son esprit, le mot suffit à la conforter dans ce qu'elle pense, dans ce qu'elle a toujours pensé, si bien qu'aucun des mots qui suivent ne parvient à la faire flancher et abandonner ses positions l'espace d'une seconde. Et quoiqu'elle se sent terriblement mal de les entendre, Prim ne dit rien, Prim ne fait rien, écoute avec toute l'attention dont elle est capable, tout en sachant que les paroles sont futiles et ne changeront rien à l'ordre suprême du monde.

Mégalo.
Saint ne l'a jamais vraiment vu. Prim a vite compris qu'il projetait dans son esprit une image idéalisée et oh combien fausse de qui elle était.
Le mépris le meut lorsqu'il parle de Lucien ; jamais lorsqu'il parle d'elle. Pourtant s'il est mégalo, elle l'est au moins tout autant. L'étoile brillante qu'elle arbore fièrement, la même que lui, est une preuve suffisante, mais Saint a toujours peint Prim dénuée des vices qui l'habitent et qu'elle embrasse désormais sans grands remords.
Et c'est épuisant, blessant parfois, d'imaginer que son amitié existe pour la mauvaise Prim ; une qui n'existe pas, n'a jamais vraiment existé, sinon dans l'imaginaire de Saint. Ça n'a rien à voir avec ce que tu as fait de mal ou non. Mais Prim lui en veut quand même. D'avoir gâché sa soirée, entre autres. De s'approprier sa relation avec Lucien, comme si elle ne pouvait pas exister sinon parce qu'il manque quelque chose à Saint. D'essayer d'ériger Prim en satellite comme lui l'a fait pour elle — mais elle ne lui a jamais rien demandé. Elle n'a jamais voulu d'une lune avec elle, ou d'une planète en quête de sa lumière ; elle est déjà supernova.

Mégalo.
Prim s'imagine lui tordre le coup. Elle repense à ce que Robin lui a dit, aux exercices qu'elle lui a donné. Se concentre sur sa respiration un moment, sans grand succès, parce que Prim ne sait pas se calmer, ne saura peut-être jamais ; supernova peut-elle vraiment retarder son explosion?
Prim s'imagine le noyer dans la rivière. Mais tant qu'elle ne le fait pas, ce n'est pas si grave. Il peut bien mourir dans son imaginaire, la soulager du poids de son existence. S'il n'existe plus dans ses pensées, alors supernova ne brûlera aucune planète lorsqu'elle périra.
Prim sourit alors, légèrement, et hoche la tête. Merci d'admettre que c'était une amitié sous conditions, alors.

Elle attrape le bras de Lucien, le tire pour qu'il s'assoit avec elle, sur le bord du transat. Cherche à se ronger les ongles, ou les arracher, mais prend son verre à la place pour le tendre vers son copain, le sourire crispé, comme s'il peinait à rester. Tu veux?