amazed

Les backstages sont loin d’être rudimentaires. L’effervescence y règne en maître, petits pantins de chair affairés, et ne laisse aucune place à l’oisiveté. Tu n’as pas voulu partager la loge des artistes. Au centre des ombres, tu travailles assise à même le sol, le dos appuyé contre la sono de secours. Ce n’est pas un hasard d’avoir choisi l’endroit le plus central et le plus effacé, pour être certaine que celle qui te cherche te trouve, elle et seulement elle. Sous tes doigts, l’aiguille trace des serpents marins, une bordure étincelante, sans la moindre hésitation. Tu veux finir vite mais tu t’obliges à la minutie. « Miss triangle » lève les yeux de son labeur, une tendresse narquoise sur ses lèvres peintes en noir.

Castor est rayonnante d’une assurance neuve. Tu peux l’entendre dans le son sec et ferme de ses pas. Son aura s’est teinte de quelque chose d’inédit pour toi qui l’observe depuis si longtemps. C’est comme découvrir un nouveau parfum chez son glacier préféré. Tu retiens un sourire gourmand. « Je peaufine Madame la star. Tu vois ces petits clous obsidiennes ? » Elle tapote le boîtier à côté de sa cuisse droite, elle a troqué les jupes dantesque pour des bas résille et un short en jean noir. « Je vais les coudre. Pour faire le masque du racoon. Ce sera discret en plein jour. Eclatant sous les projecteurs. » comme Castor ce soir, la veste avait besoin de refléter les deux visages de l’artiste, toi, Pollux, tu ne voulais pas passer à côté d’un message aussi chargé de symbolique. Ses louanges sont un miel sucré qui avive tes yeux d’un éclat fantaisie.

« Je sais. C’est la moindre des choses pour avoir gentiment remplacé Tris l’autre fois. » à vrai dire, tu veux faire bien plus pour Castor, mais cet appétit délirant que tu as d’elle doit attendre les premiers jalons d’une confiance sincère. Muselée, tu n’es plus que le chiot inoffensif qui attend toute la journée pour ces mots délicats dépourvus de faux-semblant. « Oui avec plaisir. Tiens assied toi à côté de moi. Tu peux graisser le cuir des vestes finies. Ça boit beaucoup le cuir. »  Toi aussi une fois réduite au dernier souffle tu resteras assoiffée de ces instants partagée. Tu n’as rien à lui faire faire mais c’est une excuse toute trouvée pour profiter de la tiédeur de ses épaules près des tiennes.

Un instant, tu remises la dernière veste, celle de Castor, pour recouvrir ses cuisses avec celle destinée à Dani et dévisser un petit pot de graisse, mixture blanche et épaisse. Tu te sers de ton index comme d’une cuillère et essuie la larme contre celui de la guitariste. Le contact de vos peaux t’électrise. « Voilà. Plus qu’à étaler doucement le long des coutures. Imagine que c’est de la crème solaire. » Sourire, toi-même tu appliques les résidus de baume sur l’épaule du blouson, à travers le textile, le bas de la cuisse de Castor. Pour couper court aux effusions d’embarras ou l’idée que ce soit volontaire, tu t’enquières. « Comment tu te sens ? Tu as fais le vide. » ça sonne plus comme une affirmation qu’une interrogation. C’est écrit dans la sérénité de ses traits. Elle a tous des athlètes que l’Enclave adore encenser à cet instant.

Le fil et l’aiguille réempoignés, tu t’attèles aux finitions, impossible de se dérober à la contrainte temps et bien que le visage de Castor appelle tes regards, tu dois être concentrée. « Je me suis fait un t-shirt. Pour le concert. J’ai imprimé un squelette de racoon. Plus mon style. Et puis si je fais un featuring avec le groupe. Il faut que j’ai mon identité. Tu vois ? »  tes lèvres s’ourlent jusqu’à montrer tes quenottes joyeuses. Tu te moques de toi-même qui écoule chaque minute respirer à construire ton existence imbriquée dans celle de Castor.

Tu te tiens raide, une assise à ton image, contre ces basses éteintes, à tes pieds les câble serpent harnaché par du scotch argenté. La docilité de Castor est exemplaire, même les doigts gras et luisants, elle s’affaire sans bruit comme si la confection était précieuse. Et elle l’est, d’une certaine manière, puisqu’il s’agit de ses amis, sa passion, son rêve. Tu aimes l’écouter réciter les minutes, les rencontres, un rituel, un énième pour quelque chose de plus grand. C’est une facette brillante de sa personne qui ne requiert pas l’éparpillement habituel. Il suffira d’aligner les astres de l’habitude pour que la première vibration des cordes sonne justes. Tu souris sans un mot pour la figure sereine dont le souffle bute parfois près de tes phalanges.

Les silences sont simples.
Ils ne sont pas sujets à des interprétations voraces et te donnes l’espace pour continuer de faire apparaître et disparaître l’aiguille. Tu n’as pas de dé à coudre et tu ne te piques pas.

« Bien. » Le sourire grinçant, ce que c’est vilain surtout la joie exprimée, complète les quatre lettres. Tu lui reprends la veste, la caresse d’un regard dans te soucier des segments oubliés, tu l’approuves. « C’est super. Plus qu’à faire l’autre. » avec l’index tu montres celle de Love encore abandonnée sur le caisson. « Je ne sais pas. Depuis qu’on a choisi un poste je pense. Je trouvais ça utile. Pour moi. Sinon, j’aurai probablement fait fermière pour ne plus avoir besoin de payer la nourriture. Comme toi. » Les lignes cartésiennes de ton raisonnement suive la couture d’une nouvelle pampille autour de l’œil gauche.

« C’est satisfaisant de voir le résultat de ses efforts. Tu ne penses pas ? » de terminer un chapeau, une poche, un liseré de perles. Les plantations sont capricieuses mais les patrons de Pollux, irréprochables.

Elle te dit que ça te va bien et tu veux la croire. Tu veux penser que c’est un loisir par hasard qui met en valeur tes phalanges osseuses et ton profil, surtout dans le la lumière d’un après-midi pluvieuse. La vérité morbide qui soupire sur l’arête de tes ciseaux en imaginant la peau de ton abdomen lorsque tu traverses le tissu est impure. Elle te dit encore que rien n’est décidé à part sa recherche de paix. Un monde où vous donnerez des noms à la forme des nuages pour que le temps s’écoule en grosses larmes paresseuses. Tu n’as jamais aspiré à ce havre mais tu donnerais tout pour le faire exister si ça la rend heureuse.

« C’est pas urgent. Tu changeras peut-être. Après avoir choisi. Tu te diras c’est plus marrant la cueillette de champignons. Ou j’adore graisser le cuir des vestes de Pollux. J’ouvre un poste d’assistante le jour où tu t’ennuies. Promis. » Petit coup d’épaules taquin, vos corps balancent comme des quilles. Le concert est effacé par vos silhouettes tendrement attaché. De l’agitation, il ne reste plus que la voix de Herald qui scande test micro et projecteur en A3.

Le dernier joyau noir termine le masque. Toi et Castor remisez les vestes un instant, l’odeur animal reste collée à la paroi de tes narines, forte. Lorsqu’elle s’est mise en tête d’attacher les écouteurs à tes oreilles, tu as cessé de respirer. Ses mains de travailleuses sont plus douces que tu ne l’imaginais. Elles frottent tes tempes involontairement, paupières fermées, qui te font apprécier tous les jours de toute la vie qu’il vous reste à vivre. « ...Mets en un aussi. » la micro enceinte délogée, retrouve le cartilage de l’oreille gauche de Castor, dont tu te rapproches pour que ton menton reste en bordure de son épaule. Tu ne t’excuses pas pour la stereo, tu préfères quand son souffle ronronne derrière le son de sa guitare. Les mélodies te réjouissent et te rappellent ta présence intrusive au club de musique, les doigts posés à plats sur les genoux pour l’admirer en secret. Pourvu qu’ils écrivent plus de musique triste où les solos de guitare prennent plus de place que la voix du chanteur. La musique se termine, la note reste sur ta langue, un souffle amusé vient caresser la gorge de Castor.

« Tu vas m’écrire un son. Un jour ? Tu veux toujours écouter mes playlists. J’ai un walkman. Je peux te le prêter avec des cassettes. Je fais des cover aussi. Des fois. » Les mots précipités, curieux et joueurs, sont les messagers de ton empressement enthousiaste.

Elle te dit que c’est difficile, que le temps presse, et tu soupires. C’est juste un job sur une grille de trente jobs. A ce stade, ils devraient vous faire tirer les cartes carrières des jeux de sociétés. Tu te demandes si ça plairait à Castor qu’on lui ôte ce choix difficile qui fronce son beau visage. Mais tu comprends en t’attardant sur ses yeux fardés d’hésitation que le doute fait partie du plaisir. Que Castor éprouve sûrement du plaisir à chercher sa voie. « Début février. Je déteste le fêter. On peut se trouver une nouvelle date d’anniversaire si tu veux. Comme ça tu ne décides pas maintenant pour ton poste. Et moi je change de signe astro. » L’absurdité de la demande veut chasser ce pli soucieux de son visage.

Toi, tu tiens bon pour entendre la musique avec elle, tu ne peux pas lui dire que tu l’as déjà écoutée cent fois. Que tu veux simplement rendre cette expérience unique est intouchable. « Oui beaucoup. Tu es bourrée de talent. Quand j’écoute tes musiques je suis en colère, heureuse et mélancolique. » Dans le désordre des notes et de la promiscuité des cordes sous ses doigts. Castor doit partir. Ne peut plus retarder l’approche imminente de son entrée sur scène. Tu n’imagines pas la retenir. Toi aussi, tu es pressée d’être à la frontière des coulisses pour la regarder sourire et puis rire. « Très bien. Disons après-demain matin. On petit déjeune ensemble. Je réfléchirai pour ton orientation. On pourra en discuter. Si tu veux. » Tu aimes assembler vos rendez-vous comme des perles. Tu soupires sur ce joli sourire qui précède le sursaut de ses pieds et de son départ.

Tu hoches la tête. « Oui. Tout est prêt. C’est de la très bonne qualité. Prenez en soin. Prend le cirage aussi. »  Tu loges dans sa paume de quoi entretenir la veste. Le son elle réfléchira. Tu ne te fais pas d’illusion. C’est comme le triangle. Les cassettes et la date d’anniversaire. C’est pour la faire rire sans réel espoir de concrétisation. « Bien sûr. » Tu lui tiens la veste pour passer une manche, puis l’autre, les coutures tombent pile sur les épaules, du sur-mesure. Avec le miroir de poche de ta trousse, tu l’invites à s’admirer.

« Tu es très belle. Elle te cintre parfaitement. Si tu veux viens me revoir, je peux encore améliorer le zip de la fermeture. Ah. Aussi. Il y a des poches intérieures et extérieures. Mais ne regarde pas maintenant. D’accord ? » Dans la poche qui frotte son cœur, tu as déposé un bracelet identique à son choker, aux maillons de l’accroche pendent deux gouttelettes brillantes, un quart rose et une obsidienne.

« Bon courage Cas ! Tu vas faire un malheur. »  et tu lèves la main, index et auriculaires levés.