amazed

il fait sombre dans ma chambre, presque noir. il fait presque noir et surtout il fait chaud, toujours trop chaud à croire que l'air de la surface ne passe jamais par là. j'ouvre la porte. il fait presque noir comme j'ai dit et pourtant le visage de love parvient à se frayer une place dans l'obscurité, à scintiller autour des contours. un instant je ne vois que ça : ses yeux l'arrête de son nez la courbe de ses lèvres et le creux juste au-dessus, la forme de ses pommettes. j'arrête de le regarder. son gant passe sur ma peau et y laisse une sensation volatile une absence une frustration sans source.
je chasse sa main qui n'est pas sa main et que je ne peux pas toucher, je ris. arrête ton cinéma... et je rentre dedans malgré tout : je joue moi aussi.  je dis : pauvre chou... tu t'sens seul ou quoi ? plus agressif que je le voulais. je ferme la porte et je m'assois en tailleur à côté de lui sur le matelas.

quand on est seuls dans la même pièce rien que tous les deux je ne peux pas m'empêcher de l'écouter respirer. son souffle pourrait me tuer s'il le voulait. je me penche vers lui j'incline la tête, je hausse les sourcils, je donne la performance d'un chuchotement stupéfait. moi ? moi j'fais le mec ? non moi je suis nonchalant je suis désinvolte je me fous de tout surtout de l'avis des autres (surtout du tien love) et de ton regard porté sur moi vraiment ça m'est égal je m'amuse. nos fronts se touchent presque mais ça aussi c'est interdit. j'espère que tu le remarques que je m'amuse. je n'ai pas allumé la lumière et le bleu de ses yeux déborde partout sur le noir environnant on ne voit que ça sérieusement. si love dit que j'fais le mec... t'es sûr que tu t'es pas trompé de chambre chéri ? t’es au sous-sol là, j’sais pas si t’as remarqué. il a tout pour lui et c'est moi qu'il vient voir ! oui, c'est amusant. alors je lui rends son sourire même si le mien va de travers.

je crois qu'il m'énerve. ça doit être sa façon de battre des cils ou bien ses petites mimiques que je connais un peu trop par cœur ou sa mauvaise foi ou encore le fait qu'il sente bon pour aucune raison ou peut-être tout à la fois. et puis il y a mon cœur que j'entends battre dans mes tempes et dans le creux de mon estomac. et je n'aime pas le savoir capable de susciter l'agacement parce qu'il faudrait que je reste désinvolte détaché il faudrait que je n'attende rien que je n'espère rien de lui. il n'y a qu'avec lui que j'ai ce problème.
ah, si monsieur me fait l'honneur... je raille. sa tentative de menace me fait sourire un peu plus que je ne devrais sourire, c'est pas ma faute c'est le prétexte parfait pour lui réclamer un peu de cruauté. ah ouais ? tu vas m'faire payer ? et comment ? tu peux pas m'atteindre, j'ai peur de rien. et la texture de son gant contre ma cuisse m'irrite tout particulièrement. je ne veux pas lui dire de vive voix, je ne veux pas devoir lui demander de le retirer car je sais qu'il le fera vraiment et je ne suis pas certain d'être prêt.  

trop proche. je recule. je me penche en arrière, appuyé sur mes deux mains posées sur le matelas. je me mords la langue sans force. j'pourrais t'ignorer que tu rappliquerais quand même. et je comprends pas pourquoi, je comprends pas pourquoi toi, love, tu fais ça. j'suis comme ça avec tout le monde. je t'ai dit je me fous de tout ! je t'assure je m'en fous royalement si je fais suffisamment semblant je peux me convaincre que j'ai confiance en moi juste comme ça d'un claquement de doigts.  j'vais pas te faire de traitement de faveur... là je crois que je mens. je le fais déjà. je regarde ses doigts ou plutôt leur forme et ce que j'imagine sous le tissu, je regarde la façon dont ses vêtements retombent sur ce que j'imagine être sa peau et je pense au fait que je n'ai pas le droit d'y toucher. alors je regarde autrepart.

j'ai peur de rien, je répète un peu bêtement. y a quelque chose qui me dérange sans que j'arrive à savoir quoi. parce qu'il fait tard et parce qu'il fait sombre et parce qu'on est seuls et parce que love porte son parfum peut-être que j'ai l'impression de perdre ma répartie.
bah vas-y, fais comme chez toi... ma voix me parvient de loin, suave, et j'ignore ce que j'en pense. je n'ai pas besoin de lui dire mais je le dis quand même.

je regarde love depuis le coin de mon lit. son corps épouse la forme du mien, creusée par le passage du temps sur mon matelas. je ne dis plus rien. j'ai les mains posées sur les genoux dans une posture sage qui me ressemble peu et qui m'irrite alors mes ongles s'enfoncent dans ma peau. ça dure seulement quelques secondes mais ces secondes me font l'effet d'un sable mouvant dans lequel je m'enlise à vue d'œil.

quand je me remets en mouvement j'entends mon cœur battre dans mes tempes. je pose mes paumes brûlantes à plat sur le matelas juste à côté de la tête de love là où ses cheveux forment des arabesques. je fais claquer ma langue contre mon palais. non. penché au-dessus de lui, j'insiste. j'ai pas peur. c'est pas comme si c'était possible. tu te fais remarquer partout où tu vas. et ça love, ça vaut pour toi et moi. moi parce que je laisserai jamais personne m'ignorer et toi regarde-toi et ose me dire qu'on pourrait t'oublier ! finalement je m'allonge pour de vrai à sa gauche, un bras sous ma tête.

je fixe le plafond car je n’ose pas me tourner pour lui faire face. si t'as besoin d'attention, dis-le.

je sais que love me regarde. je le sens même de loin et toujours je feins l'ignorance pour ne pas voir la faim, la mienne, reflétée dans le bleu de ses yeux.

je sursaute presque en sentant le gant sur ma peau. la texture du tissu - que j'ai en horreur - m'est dérisoire. j'ai les nerfs aiguisés par la promesse du contact, du vrai, celui qui m'est interdit et que j'irai quand même chercher. je tourne lentement la tête vers love et je suis frappé tout de suite par la lueur que je trouve derrière ses cils. je comprends ce langage qui est universel et que je parle aussi, sans mots. ça brûle quelque part sous mon estomac.

je me mords la langue. t'es vraiment... agaçant accaparant sans gêne et j'en passe. je crois que ça m'énerve. ces mots je les ai beaucoup entendus me concernant alors je sais qu'on n'est pas si différents. je m'approche de lui sans prudence et je m'immobilise seulement quand son front frôle le mien.
t'es content ? pas moi. pas encore. j'ai la tête qui tourne un peu et j'imagine déjà la vie s'arracher à mes membres aspirée par son souffle que je sens s'échouer sur mes lèvres.

ma jambe se pose sur la sienne ou plutôt sur le tissu de son pantalon sous lequel j'imagine sa peau. c'est un geste que j'ai répété cent fois en public et toujours délibérément. tu l'as. et alors ? qu'est-ce que tu vas en faire ? fais quelque chose, vas-y ose, je t'y défie.

non, je murmure et j'ai le souffle court et j'ai chaud oui j'ai chaud et j'ai l'estomac qui se tord vicieusement et j'ai la sensation d'être à l'étroit dans mes vêtements aussi tout ça mais j'ai pas peur, pas peur de toi love et surtout pas peur de la mort. non c'est le contraire.

mes yeux sont ouverts quand il fait mine de m'embrasser ; mes mains sont encore inertes et posées sur le matelas. c'est lui, d'abord, qui s'avance et qui me touche. il me laisse à peine le temps de goûter à l'abandon et ce refus silencieux m'agace me tend et m'éveille et m'enivre plus encore que sa jambe entre les miennes. je t'emmerde, que je lui chuchote.

et peut être bien que je suis un chien à mettre en laisse, un animal enragé qu'on devrait garder en cage alors je n'ai pas honte à me comporter comme tel. j'attrape love par l'épaule et je l'attire à moi, regarde moi je fais pas semblant, j'embrasse pour de vrai et rien à foutre de la mort, regarde je lui ris au visage ! je souris contre ses lèvres que je capture entre mes dents pour qu'il ne s'échappe pas de suite. et quand enfin j'ai le vertige la nausée les étoiles qui dansent sous les paupières, je le libère.
sous ma langue je reconnais le goût familier du sang. tu vois ? même pas peur.

non, je n'ai rien. rien que ce terrible goût de sang et rien que la tête qui tourne à n'en plus finir et rien que les hauts-le-cœur que je ravale à peine. ce n'est pas ça qui va m'empêcher d'être moi alors j'étire un sourire d'une fossette à l'autre, un sourire plein de dents acérées par l'appétit. ma main est toujours posée sur l'épaule de love ou plutôt sur le tissu de son t-shirt qui sépare nos deux peaux. tu vois, détends toi un peu, que je dis sans vraiment m'entendre - mon cœur fait son vacarme dans mes tempes. mes yeux ne quittent pas ses lèvres : j'y ai droit mais pas sans condition. mais moi les limites ça n'a jamais été trop mon truc et précisément parce que ce plaisir m'est interdit je le convoite d'autant plus.

alors t'attends quoi ? je chuchote du côté de son oreille gauche - comme le mauvais ange, je me dis, et ça m'amuse. avec un peu de chance, ma paume voyage, trouve sa destination sur la nuque de love que je touche pour de vrai juste un fragment de seconde. c'est assez pour opérer mon petit miracle à moi. tu me tueras pas. clin d'œil. je ris. s'il y a bien une chose que tu dois savoir sur moi, love, c'est que je n'ai pas peur. c'est la peur qui a peur de moi. je laisse nos souffles se mélanger et je bats des cils. l'obscurité de ma chambre est lourde, moite, rassurante pour moi puisqu'elle m'épargne des bizarreries de l'intime (mon reflet dans les yeux de love). s'il faisait moins sombre je détournerais le regard.

(érotisme, sang)
ça dure longtemps, je sais pas combien de temps exactement. il fait sombre et j'entends, je sens love plus que je ne le vois vraiment. il y a toujours du bruit oui mais cette fois pas de mots entre nous. il faut croire que je suis capable de la mettre en veilleuse.
et moi j'ai calé ma respiration sur la sienne et moi je contracte la mâchoire à chaque fois qu'il se retire, moi j'ai les crocs et je rêve d'un plaisir voisin du danger. love est beau et quand je l'embrasse il ressemble presque à la mort. chut...

j'allais dire tais toi mais ça reste coincé quelque part entre les poumons et le cœur. je me sens à l'étroit dans mes vêtements. et je me penche au-dessus de lui, sur lui et j'en redemande et ça monte de seconde en seconde d'un baiser à l'autre, et j'ai mal quelque part entre les côtes, sous la peau, plus bas encore, plus loin, alors je ferme les yeux. attends... je pose une main sur son torse. je prends une grande inspiration. le voilà, au rendez-vous, on n'attendait plus que lui ; le sang, épais, noir dans l'obscurité de ma chambre, dont je sens le goût en passant ma langue sur mes lèvres, ce sang qui coule de mon nez et qui s'écrase en gouttes poisseuses sur la joue de love.

c'est de ma faute pour avoir forcé la chance, ou c'est de la sienne pour m'avoir embrassé - ça m'est égal. je ris un peu, je m'essuie vaguement du dos de la main.
t'as déjà fait ça ? t'as déjà pris le risque à ce point ? t'as déjà cédé jusqu'à sentir les relents de fer au fond de ta gorge ? t'es allé jusqu'où ? t'es allé plus loin ? est-ce que tu t'en penses capable ?