amazed

lost kitten in the street

je n’aime pas les parents.
je n’aime pas les parents parce que je n’ai aucune étoile. ou peut-être est-ce parce que je n’ai aucune étoile que je n’aime pas les parents ? j’en sais rien. j’ai pas envie d’y réfléchir. j’aime pas réfléchir de toute façon. j’suis pas bonne à ça. moi, j’suis bonne pour utiliser mes mains. j’suis bonne à planter les planter dans la terre pour y semer des graines. j’suis bonne à m'exécuter en une tâche répétitive et rigoureuse qui ne demande pas de penser.

je n’aime pas les parents.
je n’aime pas les parents mais pierrot je l’aime bien. enfin j’crois. elle m’aime aussi, pierrot. ils disent tous cela mais… entre tous les parents, c’est pierrot que je crois. pierrot, elle ne m’engueule pas. perriot, elle ne me dénonce pas. pierrot, elle ne me punit pas. malgré mes vices et mes travers, malgré mon caractère téméraire. pierrot n’est jamais bourreau alors pour ça, je me laisse faire.

mais peut-être que j’aurai dû lui dire non.
peut-être que j’aurai dû me soustraire au lieu de me retrouver là, devant cette coiffeuse qu’elle a dégoté je  ne sais où. on est à l’étage des une étoile. ça me manque, parfois, quand j’dors mal sur mon foutu matelas. je vois notre reflet dans le miroir, pierrot qui tourne autour de moi, joue avec mes mèches comme si j’étais sa poupée et, vraiment: je me demande ce que je fais là.

“a… arrête de m’appeler comme ça…”

c’est quoi ces surnoms sérieux ? dans quoi je me suis embarquée ? pierrot je t’aime mais t’es envahissante, pitié ! et oui je sais, je tire la gueule. oui je sais, j’ai pas bonne mine. mais j’dors mal et j’mange mal et puis et puis j’ai tellement de truc dans la t-

“gniiiiih…” elle m’étire les joues de son index. j’ai l’air d’un foutu clown. “arrête !” je secoue la tête pour me défaire de ce sourire qu’elle m’oblige à porter et je la regarde d’un air revêche, boudeur. je grogne un peu, mais sans jamais mordre. “mmmh…”

je la laisse me mettre du baume avant de soupirer. c’est bon, pierrot, c’est bon… j'abdique ! elle m’harcèle de proposition et j’avoue que j’sais pas quoi répondre… j’y connais rien en mode, en maquillage, en trucs tendances. mais ça m’fait plaisir que pierrot s’occupe de moi comme ça… j’ai… juste peur de paraître un peu… ridicule.

“je… je sais pas, j’aime bien mes cheveux comme ça. je ne veux pas les couper, pas trop courts en tout cas… je veux pas ressembler à un garçon…” les cheveux courts c’est trop beau, comme sur pierrot, mais moi ça ne me va pas. moi je suis petite et trapue, je n’ai pas la ligne fine et l’élégance de la féminité. je suis bourrue et détachée. j’ai besoin de garder mes cheveux longs, j’veux pas être un garçon. “en maquillage j’y connais rien…”

mais j’aime le jaune et le vert, les couleurs chaudes, les plantes et l’été… mais est-ce que ça m’irait ? je suis toujours partie du principe que non, que c’était pas pour moi, que j’étais pas assez belle pour ça.

et puis et puis.
au lieu d’étirer mon sourire de son index, pierrot met le doigt sur quelque chose d’un peu terrible: mes sentiments.

“euh…” je me met à rougir. touchée. “je… je…” j’en ai marre qu’on lise en moi comme dans un livre ouvert. “c’est compliqué…”

je fini par soupirer.

“quand j’étais adolescente, j’étais amoureuse.” je parle de pensée et pourtant c’est à paris que je pense. je m’en veux un peu, encore. “enfin, c’était compliqué. je voulais être amoureuse. je suis sortie avec une fille juste avant mes quinze ans, sauf que…” je commence à agiter ma jambe, celle où je porte mon attelle, de nervosité. “en fait, on sortait ensemble que dans ma tête ! voilà. et je l’ai appris hier.”

fin de la vanne !
je ris. c’est nerveux.
j’ai honte.

lost kitten in the street

me voilà affublé de deux ridicules couettes.  je crois que pierrot joue avec moi plutôt qu’elle ne m’aide. mais je crois aussi que ça ne me dérange pas d’être baladée ainsi entre ses doigts. du rire aux couettes, du fard à paupière au baume à lèvre.. pierrot peut bien tout me faire. elle, je ne la mordrai pas. jamais.

je grommelle, quand même. parce qu’il faut bien exprimer son mécontentement de temps en temps. parce qu’il faut offrir un peu de résistance. parce qu’il faut faire genre.

“non. j’aurai préféré.”

je n’ai pas peur du rejet. j’aurai préféré un non bien sec, qui retire les espoirs comme on retire un pansement sur une plaie. quelque chose de douloureux mais de rapide, qui ne traîne pas pendant des années, qui ne traîne pas pendant cinq ans. à la place j’ai cru en une histoire stupide, et j’ai pris la fuite avant d’avoir eu le fin mot. puis j’ai traîné avec moi, sur mon dos, un fardeau qui porte le nom de regret et de culpabilité. le fardeau d’avoir blessé pensée sans même savoir ce qu’elle pensait.

“je me suis fais des histoires, c’est tout… on était proche, mais pour elle on était juste meilleure copine, tu vois ? et…” je marque une pause pour rire doucement. “non, à l’époque, j’étais super timide.”

rien à voir avec maintenant. je gardais mes sentiments bien profond dans ma poitrine. je n’osais pas les faire sortir car j’avais peur de déranger, peur que ce soit trop. à quatorze ans je n’avais pas encore le courage d’être franche dans mes sentiments. aujourd’hui, c’est différent. ça me dérange moins. je crois que quelque chose à changer à mes dix-sept ans. beaucoup de choses ont changé, à mes dix-sept ans.

“je ne suis pas sûre que ce soit le genre à se jouer de moi. c’est vraiment quelqu’un de bien.” il y a presque un murmure d’injustice dans ma voix quand je la lève pour la défendre. c’est derrière moi tout ça, mais jamais je ne pourrai croire que pensée l’a fait exprès. la situation m’a peut-être blessée, mais je ne suis pas rancunière, je ne cherche pas de coupable. et surtout, surtout: pensée est une bonne personne. “on en a reparlé, c’est juste que j’étais tellement butée et bornée à l'époque que je n’ai rien vu… et puis, au fond, j’étais toujours amoureuse de quelqu'un d’autre. alors c’est moi qui me suis lâchement enfuie et ça a mené à ce quiproquo débile.”

je baisse la tête. je n’ai pas de soucis à reconnaître mes torts mais pourtant, j’ai comme un vide dans la poitrine. ça me fait mal de me dire que cette histoire, même si elle n’a duré que deux mois, même si ce n’était pas grand chose… n’était pas réelle.
je me sens…
ridiculement faible.

je relève la tête.
il y a de l’espoir un peu vain dans mes yeux.

“c’est vrai, ça, pierrot ?”

que je suis aimable ?

lost kitten in the street

j'affiche un sourire amer. est-ce que tout aurait été plus simple si pensée était amoureuse de moi ? je n'en suis pas sûre. je suis partie, j'ai pris la fuite, sans jamais prendre en compte ses sentiments. elle aurait pu m'aimer à en mourir ou me haïr, ça aurait été du pareil au même. je secoue doucement la tête, je ris doucement.

"tu sais pierrot, je crois que ça n'aurait pas changer grand chose… je pense que c'est même mieux comme ça. si elle avait été amoureuse de moi, je lui aurai brisé le cœur. j'aimais une autre fille." je lève la main, les doigts en v, le signe de la victoire qui va bien à une looseuse comme moi. je ris encore. ça ne me dérange pas de me moquer de moi. "j'étais amoureuse de… de paris, tu sais…"

c'est étrange de le dire à voix haute. ça rends la chose un peu concrète. mes joues s'empourprent. tout le monde le sait. les sentiments que j'ai éprouvé pour paris ne sont pas une surprise. il n'était pas difficile de voir que j'étais toujours dans son ombre, à l'époque. que je ne faisais que chercher son regard, trouver un prétexte pour lui parler, l'impressionner. que je faisais absolument tout ce qu'elle me demandait. il suffisait qu'elle claque des doigts. pourtant, je ne l'avais jamais exprimer à voix haute, comme ça. c'est une confession un peu étrange. est-ce que le fait d'oser le dire de vive voix signifie que je suis en paix avec ça ? je n'en sais rien.

"ce qui me rendrai heureuse…" je lève les yeux pour réfléchir. pierrot suggère le nom de pensée mais je secoue la tête, je chasse cette idée. "non. je n'ai plus de sentiment pour elle. je veux juste son amitié, si elle le souhaite aussi, évidemment. de toute façon, elle m'a dit qu'elle sortait avec quelqu'un. ça ne laisse pas beaucoup de place pour moi !" rire doux. je me repenche sur la question de pierrot mais je ne trouve pas vraiment de réponse. "je ne sais pas… j'ai déjà tout pour être heureuse, non ?"

j'ai...
pas d'étoile à protéger.
des amis à retrouver.
une guitare à gratter.
de la musique pour m'accompagner.
et pierrot pour me coiffer.

je baisse la tête pourtant. je ressens comme un vide. un creux dans lequel il faudrait verser l'amour jusqu'à le remplir à ras bord. jusqu'à vomir. pour qu'il puisse battre à son plein, vibrer comme les cordes qui maintiennent ma guitare en bois. est-ce que c'est ça que je cherche ? est-ce que c'est ça qui me manque ?
être aimée ?

"dis pierrot..." je relève la tête, guider par ses doigts fin. "c'est quoi l'amour, quand on est parent ?"

est-ce que c'est mieux que lorsqu'on est adolescent ?

lost kitten in the street

j'ai un sourire amer à la mention de la pièce de théâtre. si seulement. peut-être que ça aurait plu à paris. mais non. ce n'est rien d'autre qu'une vaste blague, un scénario mal écrit, une chanson pourrie.

il y a un flottement, un silence en trois temps. j'ai une sensation étrange dans le creux du ventre. le reflet de pierrot me semble flou, son sourire prend une tournure inquiétante. ses rires sont sinistres, ils ne m'envemoppent plus de cette chaleure douce. même ses surnoms sonnent faux, c'est mal joué, les gammes je sont pas respectées. pierrot a la voix qui se disloque et son corps ressemble à une marionnette désarticulée. sa voix se disloque. j'ai du mal a respirer, j'ai peur.

pierrot ressemble a une guitare désaccordée.

je ne dis rien. je sens que je ne dois surtout RIEN dire. je reste immobile face à son reflet mais je frissonne quand je sens ses ongles contre les pores de ma peau.

et puis pierrot se met à rire.
soudainement, je ris aussi.
je ne peux plus m'arrêter.
ouf ! tout va bien !!!

la lumière revient dans la pièce, la chaleur aussi. la voix de pierrot est de nouvelle belle et moi ? moi je ris comme je n'ai jamais ris car pierrot et si drôle et la situation aussi ! ce n'est pas grave pour pensée ! ce n'est pas grave pour paris ! oh, il faudra que je parle de pollux à pierrot ! eh d'ailleurs, c'est rigolo ! pensée paris pollux pierrot ! elles commencent toutes par la lettre "p" ! hahahahahahhahah !!!
hahaha...
ha...
ha.

"tu m'aime, pierrot ?"

j'espère ! je ne veux plus qu'on me repousse, ça ferait trop pour une seule personne ! les blagues les plus courtes sont les meilleurs. ça suffit maintenant !

"ha ha ha ! je crois que je comprends...." je réfléchis.  "je pense que je suis heureuse, pierrot. vraiment. les autres ne comprennent pas, surtout les premium ! comment une sans étoile comme moi pourrait-elle connaître le bonheur ?" je ris de plus belle. "mais moi je suis vivante, pierrot ! je suis vivante et je vis, je vibre, même ! alors tant pis si je me fais refouler par toutes les filles, ça me fera de l'inspi pour mes textes !"

oui voilà ! ha ha ha ! ces mêmes textes sur lesquels ceux qui me snobbent chantent à tue-tête. pierrot a raison de rire: tout est vraiment hilarant.
aaah... je ne suis plus du tout triste. j'ai mal au zygomatiques !

"pierrot ! il faut que je te parle de quelqu'un d'autre..."

de pollux. tu vas voir, pierrot. là encore, on va bien s'marrer !

lost kitten in the street

le rire se calme doucement pour laisser place à la douceur. pierrot m'aime alors je ferme les yeux. je profite de cet amour maternel, de cette étreinte sous ses doigts, des caresses dans mes cheveux. je me sens mélancolique. l'époque de la nurserie me manque. pierrot me prends dans ses bras et comme une enfant qui voudrait retrouver l'odeur de sa mère, je m'enfouie contre sa peau comme pour me protéger du monde.

"moi aussi je t'aime pierrot."

j'aurai pu l'appeler maman mais ici ce n'est qu'un titre alors je préfère dire son prénom. je suis soulagée quand elle me dit que j'ai raison, que les étoiles, on s'en fou. ça veut dire qu'elle m'aime vraiment pour ce que je suis et pas pour le nombre de broche accroché à mon col. cela tombe bien: il n'y en a aucune.

"oui, voilà. moi je vis et je suis heureuse comme ça. voilà."

et tant pis si mon lit grince car je m'enfuis quand je rêve. tant pis si je n'ai pas de fenêtre à mes murs car je suis toujours dehors pour sourire au soleil. tant pis si je n'irai pas au paradis à trente ans parce que peut-être que le vrai paradis, c'est tout ça. ici. là où on vit.

"ha ha ha ! bah, même si je le trouve pas, c'est pas grave. j'ai mes amis tu sais. et je t'ai toi. je suis heureuse quand même."

même si parfois c'est difficile et que le manque d'affection se fait ressentir, je sais que j'ai des gens sur qui compter et que ça vaut toutes les étoiles du monde. l'important, je le sais, c'est d'être bien avec soi-même. si on ne s'aime pas, on ne peut aimer correctement. alors je ne suis pas envieuse de ceux qui aiment à deux. je sais que cela viendra quand il le faudra et s'il ne vient pas, je m'aurai moi.

"hm... de pollux. elle était dans ma classe avant mais elle a rejoint la société en février." c'est le lot de ceux qui, contrairement à moi, son nés en début d'année. "je l'ai jamais beaucoup fréquenté mais ça fait un moment qu'elle… je sais pas, qu'elle me colle beaucoup tu vois ? des amis m'ont dit que c'était parce qu'elle m'aimait bien… moi je sais pas trop. on ne se connait pas, comment elle pourrait bien m'aimer ?"

sans qu'on ai jamais parlé. sans qu'on ai jamais discuté. sans aucun terreau pour faire pousser l'affection. je capte pas l'obsession de Pollux ni les arguments de argo et max qui font comme si tout était si simple à comprendre. moi, je trouve que ce n'est pas simple à comprendre car je ne comprends pas bien pourquoi on pourrait m'aimer comme ça.

lost kitten in the street

c'est vrai. pierrot à raison. on a pas besoin de raison, pour aimer. la majorité des personnes que j'aime sont jugés non aimables par la société. il y a plein de raison à cela. souvent, c'est parce qu'elles n'ont qu'une ou aucune étoile, parfois, parce qu'elles sont marginales. pourtant je les aimes, et même s'il ne restait plus rien, je les aimerai quand même.

alors peut-être que pour moi aussi, c'est vrai.
peut-être que je suis aimable.
je me regarde dans le miroir.
j'ai deux énormes couettes sur le crâne.

ça me fait rire. je ne sais pas si c'est le pouvoir de pierrot ou la scène un peu irréel de tout ce cirque. pas besoin de savoir, c'est bien de garder du mystère. je ris encore, ça libère.

"un jour, je veux bien que tu me racontes tes histoires, pierrot."

quand tu avais mon âge. je me demande comment c'était; l'adolescence, à ton époque; comment c'était dans ton enclave; comment tu étais, quand tu avais mon âge.

"d'accord. j'essayerai… peut-être à la soirée."

peut-être que je la laisserai m'apprivoiser. pierrot achève ma coiffure. je ne dis rien mais dès qu'elle partira de ma chambre, je déferai ces nœuds et je laisserais mes pauvres cheveux respirer. ceci dit, ce serait mentir que de dire que l'activité ne m'a pas plu. le maquillage est joli, lui. je lui demanderai de le refaire. pierrot est douée.

je me redresse de ma chaise et une fois debout, je viens me lover dans les bras de ma mère pour une dernière étreinte.

"merci pour tout, maman !"

et je ris encore.
ces éclats sont mon cadeau.