amazed

Tu t’es approchée de la vasque, étendue mouillée et carrelée, avec la vigilance de ceux qui s’apprête à y boire. Les rayons frappent la surface d’éclats brillants, tu restes captive du spectacle où les barbotements ininterrompus font pleuvoir des gouttelettes à tes pieds. C’est injuste de rester là, badigeonnée de crème solaire, parce que tu vas mourir si ta peau laiteuse prend la carnation vermeille de ta colère. Max s’en fiche que tu sois venue exprès pour la voir rouler ses épaules et onduler ses jambes musclées pour traverser la surface et s’enfouir loin, loin, loin, près des damiers de céramique. Tu pensais qu’en la voyant tu serais immédiatement obligée de tout lui prendre : ses bracelets qu’elle n’a pas daigné, pour tous, laisser dans un casier du vestiaire, et même cette grâce nonchalante, magnifiée par l’eau qui vient tout bleuir et tout friper. Tu te trouves sage à guetter sans un bruit ses lèvres tremblantes rejaillir pour implorer de l’air.

Un pied puis l’autre, pas de plongeon pour toi, pas de saut brutal du haut de la lame des athlètes, il faudrait pourtant que tu sois un de ses oiseaux, l’épervier, pour saisir sa gorge sur ton bec. L’onde agitée par les nages laborieuses ou précises, lèche tes seins, les volants noirs du maillot de bain remontent et ressemblent à des nénuphars. Tu ne veux pas commencer de longueur parce que le cycle de remonter la piscine dans un sens va consommer toute la jalousie épineuse dont tu es si fière, l’orgueil de venir en gardienne territoriale et non en blocarde oisive. Le couloir que tu t'es approprié est une excuse, les flotteurs jaunes sont assortis au sourire ignoble de Max. Tu devrais lui dire. Max, chère Max, va bien te faire voir avec toute ta fausse sympathie, Maxi-chérie, va te faire dévorer par les monstres de ton Labyrinthe avant que je ne mange ton âme à leur place. Alors pourquoi tu dis.

« Quel surnom affreux. C’est sûr que tu me détestes pour m’appeler comme ça. Je te pardonne pour cette fois parce que c’est vrai que mon maillot de bain est plus beau que le tien. » Avec ce corps immense qui est le tien, tu perturbes la surface et le fond, tes quilles font des arabesques raides pour soutenir ta tête hors de l’eau. « Tu sais qu’à te voir coulée au fond de l’eau comme une pierre. Je me suis demandée si tu allais ressortir. Qu’est-ce qu’on ferait si tu devenais entièrement bleue ? et puis quel genre de chagrin les gens qui t’aiment ils auraient. » Castor, c’est important, verserait ses précieuses larmes, ou tout autre spectacle dont tu ne veux jamais être le témoin. La peur rance t’empêche de parfaitement vouloir du mal à Max qui peut rire, jouer, et casser l’objet de toute tes pensées.

« Tu as pété la cheville de Castor et pourtant tu rigoles comme si ça ne te faisait rien. C’est très cruel de mon avis. » le dégoût sur l’interstice de tes lèvres bave, la jalousie va corrompre le courant, bientôt il ne restera que le fiel et le chlore au fond de tes sinus brûlés. Avec tes bras, tu t’accroches à la frontière, tu viens déposer ton menton sur la brique plastique pour mieux la détailler, tu voudrais qu’elle soit plein de ces failles qui provoquent les naufrages mais sa peau n’est pas percée, et toi tu enrages. « Il n’y a rien de neuf. Par contre toi, il t’est sûrement arrivée beaucoup de choses. Évidemment tu ne peux pas me dire tout, alors tu n'as qu’à me raconter seulement pourquoi Castor t’apprécie encore maintenant qu’elle porte une attelle. » La réponse, bien sûr, sera détestable mais c’est une douleur que tu veux endurer pour la comprendre entièrement, sans les simagrées de vouloir fermer les yeux sur les parties qui te plaisent moins.

Max, ne fait que sourire, une torsion fière et indolore. Elle ne soucie pas de réverbérations de l’eau qui puzzlent son visage. Le venin de tes mots sur sa carne est un indicateur colorimétrique. Tu n’as pas besoin de préciser que tu ne t’inquiète pas, pas besoin de dire de rien, ou de te plaindre de ce ton mielleux et obséquieux. Il suffit que tu plisses les yeux, sa silhouette déformée ressemble alors aux serpents qui ondulent sous la surface, et toi, Pollux n’est pas une charmeuse, mais sans doute un vautour. La risette se meurt et tu te sens gagnée par un triomphe puéril, l’arc de tes sourcils s’arrondit dans une ironie moqueuse, avant de produire le clapotis de l’eau sauvage d’une main abandonnée au relief des vaguelettes.

« Ah oui, je vois. Comme elle n’est pas handicapée ça te dispense de remord ? » Techniquement, tu devrais la mordre à l’œil, déloger ce regard injustifiable, au moins la moitié, et puis si on te demande, tu diras que c’était pour faire plaisir à Pierrot qui aime tant t’utiliser comme le vieux sécateur rouillé dont on a oublié qu’il portait le tétanos. Il n’y a rien d’assez guerrier dans le tissu de ton cœur pour ça, ça reste juste une bouillie fumante dans tes veines. Le verbe aimer, qui ne veut jamais rien dire si ce n’est pas sous les traits de Castor, est vilain de suffisance, ça te gratte sous la peau. « Castor ne t’aimes parce que tu l’as fait tomber. Elle t’apprécie parce qu’elle est cool. Moi, je suis pas cool. Maxi-ouinouin. Alors ça sert à rien de jouer les sucres d’orge effarouchés parce que tu sais très bien que je peux te cafarder. »

Ceux sont deux très jolies filles, montées sur ces colliers plastiques, qui se toisent en tournant le menton, s’esquinteront au nom des vapeurs du hammam qui font tourner la tête. Les dents ont pris la forme pointue de caniches mal élevés qui grignotent le bout des pieds des passants. Bien sûr, tu te sens outrée par le chantage idiot de Max, que les enfants, même ceux de vingt-trois ans, sont cruels.

« Castor n’est pas ta marionnette, ni de toi, ni de moi, ni de personne. Tu te ridiculises à parler en son nom. Si elle était juste à côté, j’aimerais bien te voir répéter des saloperies pareilles tiens. » ton souffle est hargneux, l’acrimonie du monde s’est déversé dans tes yeux noirs tréfond, il faut s’amarrer solidement aux bouchons pour ne pas que tes bras sursautent et postillonnent partout. « C’est facile de dire que je suis la méchante, je ne l’ai pas abîmée, moi, Castor, t’es pas vraiment courageuse hein Maxi-ouinouin. Peut-être que c’est toi que je devrais avaler, si t’avais pas les chevilles aussi grosses, ça pourrait s’arranger. » qu’elle gronde, le cabot, qu’elle croasse même avec sa voix basse pour que l’altercation se confonde dans les bombes qui éclaboussent, les rires entraînés dans le remous.

Parce qu’elles se tiennent proche, que les peaux mouillées s’effleurent, Max doit entendre les cors de ton cœur qui sont pires encore quand on pose l’oreille au centre du poitrail où roule une obsidienne. Ta bouche forme un trait froid que seule la méchanceté déforme. « J’aimerai bien savoir où tu vas avec tes conseils d’entremetteuses de sous-sol. J’étais venue te demander de te dénoncer mais maintenant je veux aussi que tu t’excuses pour avoir agi comme si tu savais mieux ce que Castor pense que Castor elle-même. » tu chuchotes pour que ta voix soit ce sirop épais qui colore le discours sans ébruiter les secrets. Parce que Castor ne devrais jamais être acquise par personne, même pas par toi, qu’elle est comme ces rubans envolés qui traversent les plaines, nous honorent de leur chatoiement traversant.

Les cheveux de Max forment une couronne blonde autour de son crâne. L’eau gratte sa gorge et son menton, parfois, caresse ses lèvres et laisse des perles d’opale dans le cartilage de ses oreilles. Elle ressemble aux alligators des marais avec ses deux billes émergées et silencieuses, prête à contracter sa mâchoire dans un sourire désagréable, pour aucune raison, les trous sous les pommettes.

Elle aime bien que tu l’insultes et la moque, que ce soit par défiance ou par rédemption, toi, ça te fait lever les yeux au ciel, le ciel vidé de ses nuages. Sans doute parce que tu lui donnes la bêtise comme premier attribut, que plus elle parle, moins elle est malveillante, plus elle est stupide. La beauté de ses traits n’arrange pas leur portrait désastreux que tu t’en fais, les petites canines bien droites, bien blanches, tout ça pour gronder. Non non c’est pas moi. Non non j’ai pas dit ça. Non non j’ai pas fait ça. Toi, Pollux, tu es trop fière pour la bercer d’excuses, tu n’y crois pas à ce minois plein de bonnes intentions. Au contraire, plus elle se délite de tes accusations, plus tu veux gratter, découvrir la gueule du crocodile sous le vernis de poupée.

« Ca te va bien Maxi ouin ouin de dire. Si elle te parle c’est parce que l’ai poussé à le faire. Et de dire juste après, non non, je ne manipule personne ici. De lui péter le pied puis de dire. Techniquement pas tout à fait. Tu devrais être encore plus de mauvaise foi que ton sourire soit encore plus faux. » L’onde gicle sur ton œil, ça le brûle, c’est le chlore qui laisse du rouge à l’intérieur, tu dois le fermer maintenant, c’est comme ça que naisse les pirates. « Et maintenant tu vas dire, techniquement tu ne visais pas mon œil ? Grognasse. » Bien sûr, tu es en colère, dans cette pataugeoire où tu besoin de flotteurs pour être juste à son veau. Tu en viens même à regretter de ne pas lui mettre une tête sur la terre ferme. Elle peut l’entendre dans son timbre rongé par l’acrimonie, sans doute, si tu postillonnais ce serait de l’acide.

Tes bras font un tourniquet sous l’eau mais jamais tu ne toucherais Max, ni ne l’éclabousserait, parce que tes mains ne bataillent que dans l’air, leur contact n’appartient qu’à Castor. Ceux sont des mains que tu entretiens seulement pour caresser et chérir, jamais, tu ne les laisserais se souiller dans une joute absurde comme aujourd’hui.

« Tu n’as qu’à arrêter de dire des demi-vérités. Quelle paix ? Une paix pleine de mensonges parce que tu veux juste que je te laisse tranquille ? C’est trop facile Maxi ouin ouin. T’as qu’à m’appeler la sorcière ou l’épouvantail et continuer de me jeter de l’eau dessus. Si c’est comme ça que tu comptes me noyer c’est que t’es bête à manger du foin. » c’est très prétentieux de vouloir sans rien donner. Parce que si tu ne la dénonces c’est pour la sérénité de Castor. Si tu lui parles aujourd’hui c’est encore pour Castor. Alors ne plus prononcer Castor c’est simplement parler encore plus d’elle. L’omettre c’est la mettre au centre. Et sans doute Pollux que tes silences contiennent bien plus d’adoration pour Castor que la moindre syllabe d’un langage qui n’a pas été inventé juste pour elle. « Mais dis moi, pourquoi tu t’es pas dénoncé si c’était pas pour sauver ta dernière étoile grosse maligne. Pour sauver ton cul. » toi aussi tu ricanes avec méchanceté. « Donne-moi une raison de te réciter tes louanges puisque tu n’attends que ça. »