amazed

La pression du manche traque le moindre ovale de sa paume et s'enfonce dans la commissure des doigts. L'animosité se cueille au travers des perles qui suintent de ses tempes et de sa nuque, elles glissent jusqu'à ses reins.
Toute la carne est humide, son tee-shirt s'accroche aux flancs et gravent parmi les plis toute sa silhouette hâlée.

Saint s'est levé plus tôt afin de travailler, il n'a pas traîné à la cafétéria ni ailleurs - un yaourt et de l'eau. Il n'a pas non plus traîné pour se rendre entre les corps boisés de la forêt, à laisser frustration et exaspération heurter de manière harmonique les bûches.  
Les bacchanales lui ont laissé un goût amer au fond de la gorge, un goût qui a corrompu toute la bible qu'il avait écrite avec minutie.
La genèse ne devait pas être prévue, pas tout de suite, pas avant les portes du Paradis.
Désormais, elle s'est enclenchée et a annihilé tous les psaumes sacrés qu'il réservait à sa belle.

Il voudrait alors lui tenir la main sans un murmure, l'observer seulement lire et écrire, avec cet air sévère entrelacé d'une douceur dont elle n'a même pas conscience.
Il voudrait beaucoup et n'a rien. C'est une fatalité qui lui a longtemps collé à la peau, qui se perdra avec lui dans les limbes du labyrinthe.

Un coup nouveau s'apprête à briser la colonne écru de la bille mais Saint s'arrête en plein mouvement, lorsque la hache est au zénith et que ses muscles tendent. Il n'a pas entendu les paroles du frère, c'est comme s'il s'était faufilé et que Saint l'avait surpris. L'outil s'enfonce finalement dans le tronc coupé et Saint glisse le revers de son gant contre le front humecté. Qu'est-ce que tu fais là ?
Saint ne s'attendait à voir personne, encore moins Sohan. Il avait fini par saisir les nuances de ce dernier, pas toutes encore. Il lui semblait rempli d'un mystère dont les questions resteraient sans réponses tant qu'il serait encore trop rempli d'elle.
L'air est encore tiède, presque humide. Saint n'a pas renoncé à sculpter les rondins afin d'offrir à la communauté de la chaleur pour l'hiver, des supports pour la créativité et d'apporter à lui-même un moyen constant de se défouler sans avoir à déferler sur les autres.

Saint trouverait la nature belle, autour de lui. Saint trouverait les nuages grâcieux et le ciel romantique. Saint sifflerait par-dessus les ballades des oiseaux et le chant des sirènes.
Mais la jalousie rend le monde autour de lui grisonnant, presque rebutant. Oui oui, ça va et toi ? Je suis à fond dans le travail, j'ai pas trop le temps de parler.
Son pouce indique encore la charge astronomique de bûches à scinder - mais Sohan évoque rapidement la soirée d'hier entre ses balbutiements et Saint se décompose.
Sa langue râpe ses lèvres et ses dents tressautent sans violence les unes contre les autres.
On va dire que c'était une soirée désagréable et qui aurait pu mieux se finir.
Les éclanches craquent sous le haussement désinvolte et Saint remet les gants. Non, il faut que je termine tout seul. Si tu m'aides, on va croire que j'en suis incapable. Et je suis capable, Sohan. Saint ne le regarde pas - ses mirettes ternes peinent à accrocher la lueur écarlate de ses adelphes.

Tu voulais quelque chose, alors ? Le cuir roule sur sa chair marbrée, enrobe parfaitement le contour de ses doigts, Saint récupère sa hache et se remet à fendre les billes de bois en pair.
Il en serait presque jaloux, de ces amants qu'il crée sans même le vouloir.

Rien n'est permis - dans ce lieu sacré. Quand les règles sont contournées et écrasées, c'est le cachot puis la guillotine. Il n'y a que les Rois et les Reines qui semblent pour le moment épargnés - Saint est déjà un bourreau, avec le tranche-tête entre ses doigts.
C'est lui, qui se chargera d'annéantir cette monarchie. De rendre aux siens la liberté d'exister entier.

Sohan est intrusif - il n'a jamais aimé ça, chez les autres. Pas plus que les doigts qui se perdent contre sa chair, des souffles humides crachés à la gueule.
Saint aime la distance et l'accalmie des corps, des cœurs qui ne s'entendent pas pleurer.
Sohan est toujours là - sans Saorsa, il n'a pas baissé les bras.
Saint n'est plus là - sans Prim, il a abandonné.

Tu veux qu'on fasse un sondage ? La lame s'enfonce profondément dans le tronc et Saint s'arrête un instant afin de souffler et de poser son regard sur Sohan.
T'auras une sacrée réponse, si tu veux mon avis. Son sourire ne décolère pas - ses commissures s'étirent vers le bas et toute sa face se détourne pour observer le reste des blocards - les plus jeunes, se promener.
L'adolescence insuffisante lui manque. Sentir son cœur pulser pour rien lui manque. Avoir la poitrine lourde lui manque. Les idées en vrac, ne pas savoir quoi faire plus tard, les crépuscules. Et Prim.

Il n'a pas agressé Lucien. Pas totalement. Il aurait pu faire pire - se délecter de sa chair et de son sang, s'en badigeonner les joues puis le front, y nager dedans.
À la place il n'a fait que pousser sa carcasse affreuse pour l'éloigner de Prim. Il n'a fait que se défendre. T'es sérieux là ? C'est quoi ton problème Sohan ? Tu viens me parler pour me faire la morale ?
La lucarne dénuée de lumière s'enfonce dans l'horreur bleue, les abysses de Sohan - deux grandes pupilles qu'il crève de percer. Ce ne sont pas des perles mais des bulles. Ce sale con mériterait qu'on lui botte le cul. Comme la moitié de l'enclave, si tu veux mon avis.
Saint est abrupt, il ne s'en rend même pas compte.
Saint est vulgaire, ce n'est pas son genre.


Le monde ne lui semble décidément plus aussi vivant - c'est certain. Son dos craque et sa main revient étreindre la hache sans sensualité. Qu'est-ce que tu veux à la fin, Sohan ? T'es venu pour me rappeler que je suis un sac à merde ? Ses bras s'étendent, Saint le regarde avec sincérité.
Si sa chute doit arriver - il emmènera avec lui ceux qui ont marqué son cœur au fer rouge. Si les têtes doivent tomber - il s'agira des leurs, roulant à ses pieds, regalia oubliés.