amazed

la dorure des blés se reflète sur la peau des Mamans, le soleil tente de l’imiter mais ce dernier n’est pas entretenu par les enfants, il ne peut rien face à toute l’attention que portent les passionnés à ces champs d’une beauté inégalable. Heya marche aux côtés d’un collègue, ses petits pas mènent la danse à travers les allées séparant les champs d’or. elle parle tant mais s’est résignée à le faire jusqu’ici afin d’admirer la vue que leur offre cette belle journée d'été. il faut tout de même briser ce silence qui ne connaît comme barrage que la terre se grouillant sous les chaussures.

Heya tourne sa face en direction du soleil, mais la grande carrure de Grell lui fait de l’ombre. inutile alors de joindre sa main à son front pour s’abriter des rais qui handicapent la vue. je ne comprends pas Grell. Heya soupire. les enfants me semblent… distraits dernièrement. et je l'admets, pour une fois, pour une fois seulement, je ne parle pas du Père Suprême. nous savons toutes deux, toi comme moi, que bien trop d’entre eux n’ont pas la foi. ce n’est pas de ça dont il s’agit aujourd’hui. la foi, je leur en parle à eux. à toi, je te parle d’eux. il lui faut faire deux pas pour rattraper ceux de Grell qui n’en font qu’un.

Fox ne veut rien écouter. il a terminé seul, pendant trois jours, en isolation. cela me fait frissonner rien que d’y penser. et pourtant… penses-tu qu’il s’est remis en question ? hélas, non ! je me suis rendue dans sa chambre, j’essaye de le raisonner, mais rien à faire. alors je pense qu’il faut sévir, mais lui, cela le froisse. elle se perd dans ses pensées et s’autorise un regard vers le ciel lointain, scindé par les blés virevoltant les uns contre les autres. ces enfants ont besoin d’amour… j’ai du mal à comprendre leurs cerveaux si jeunes. j’ai pourtant déjà eu leur âge. puis elle rabat ses yeux noirs sur Grell, accélérant le pas pour ne pas le perdre. comment était ton enfance, à toi ? Heya pose une question digne d’un blocard. face à une Mère avec plus d’expérience, elle prend tout naturellement une place enfantine.

l’enfance d’Heya lui a coulé entre les doigts. il serait même plus correct de préciser que l’on lui a dérobé. la passer entre les coups et les critiques n’appartenait pas à sa volonté profonde, cela relevait de la cruauté maternelle que ces lieux connaissent si bien. aux commentaires de Grell, Heya se calme, choisit de ne pas mentionner l’attitude d’Ena envers elle, d’oublier les mots de Jude à son égard. cette attention doit être recentrée sur le Père, sur la Mère à ses côtés. je t’imagine facilement jouer à Panic oui, cela ne me surprend pas. j’irais même jusqu’à dire que tu devais être bonne.

les champs à perte de vue laissent une trace dans le cœur d’Heya. l’œuvre du Père Suprême est si belle, elle voudrait avoir la capacité d’éterniser le moment avec l’unique usage de ses yeux. j’étais une enfant facile à vivre. plus difficile à imaginer qu’une petite Grell jouant à Panic. en revanche, je ne suis pas née croyante. mais le Père ne m’en veut pas. il est venu à moi car j’ai fini par venir à lui. enfin… ce n’est pas avec un parent qui a déjà tout compris que je devrais avoir cette discussion.

soudainement, Heya s’approche d’un petit pommier que les deux mères croisent en chemin, elle en cueille deux fruits. l’un est destiné à Grell, elle lui tend d’une main innocente qui ne demande rien en retour, si ce n’est qu’un remerciement. elle essuie la sienne à l’aide de ses larges manches recouvrant presque l'entièreté de ses mains et apporte sa part à sa bouche. un silence prend place lorsqu’elle croque et mâche. il ne faut pas parler la bouche pleine. je me dis que parfois, ce sont les parents qui ne sont pas assez dociles avec les enfants. quelle ironie.

j’aime dire et répéter : le Père m’a sauvé, il vous sauvera aussi ! je ne mens pas lorsque ces mots quittent mon cœur pour se joindre à vous. le Père est une lumière divine qui ne ressemble à nul autre humain croisé ici. sa lumière n’aveugle pas, elle guide. lorsque vous la verrez, vous comprendrez. et à cet instant alors, vous pourrez vous dire : Heya avait raison.

j’alterne entre la parole et un croc. je me cale sur ce rythme régulier pour répondre à cette question qui me ravi éminemment. c’était comme une évidence. et c’est ce qu’ils diraient tous, sans rajouter un mot, avec l’attente simple, pourtant impossible, que les autres comprennent. il m’a pris sous son aile lorsque j’étais encore petite adolescente. je refuse de mentionner les aléas de mon parcours de vie, l’ambiance deviendrait bien piètre, et aujourd’hui, on parle d’amour. l’amour n’est ni gris ni maussade. j’omets donc avec envie, ces détails froids appartenant à mon passé.

mon avis sur lui n’a pas changé lorsque je l’ai rencontré. je sais que ces mots sont prêts à rencontrer Grell, planant au-dessus de ma tête, je sais qu’il sait de quoi je parle. il est venu me sauver. et parfois, le soir, je pleure, car je ferme les yeux pour prier, et je ne le vois pas porter tous nos enfants dans ses bras. certains sont tombés, d’autres refusent de monter. c'est pourquoi je pleure.

mais si je pleure, mes larmes rendront le sol glissant et les enfants ne pourront pas passer le chemin les menant au Père. c’est pourquoi mes larmes ne trouvent refuge que dans mes draps qui sauront absorber mes peines les plus intimes. lorsqu’ils seront salit, je n’aurais plus qu’à les changer. le soir viendra, et le cycle se poursuivra, jusqu’à ce que tous mes enfants parviennent à trouver cette même lumière m’ayant guidée. et toi, Grell ? es-tu satisfait de la bienveillance du Père ? je te trouve plus discrète que moi sur le sujet. pourtant, nous partageons ces idées divines, non ?

ma foi est inébranlable, forte et nul n’a la possibilité de la briser. je mourrai avant d’arrêter de croire et même après le trépas, je saurais que j’avais la parole juste de mon vivant. ma foi m’appartient, à moi et à Lui, mais je m’autorise à la déverser sur d’autres, afin qu’eux aussi aient le privilège de toucher le Père au moins de loin. sa bénédiction est bonne et généreuse, elle est abondante et coule sur moi comme de l’eau de source. de toute évidence, je suis née pour lui.
je ne me permettrai jamais de juger ta foi, Grell. sans croiser le regard du Parent qui arpente le même chemin que moi, je bute dans un caillou ou deux. je me fais petite mais avant tout, confuse. puis soudainement, silencieuse. car je ne comprends pas.

les rayons forts et lumineux du soleil couchant saturent la chevelure rousse de Grell mais épargnent mes yeux baissés. dans une pensée culpabilisante, j’en veux un peu au Père de ne pas forcer la main sur ses adeptes les plus discrets. puis, dans une même seconde, je m’en veux à moi de le trahir ainsi. je suis maman avant tout et j’en oublie parfois que je suis également humaine et qu’à tout création du Père, il arrive de pécher. l’une de mes larmes souhaite de terrer sous mes pieds, il faudrait que je l’écrase, mais même devant Grell je ne l’autorise pas à venir.

je n’ai pas envie de sentir ses grands doigts m’envelopper de toute leur chair, il est pourtant trop tard. je n’ai pas envie de sentir son semblant de pitié me frôler. je n’ai pas non plus envie de me montrer faible auprès d’une figure importante. et je réalise alors mon miséreux sors : ni devant les enfants, ni devant les adultes, je n’ai ma place pour pleurer. c’est pour cela que chaque jour défilant, ma foi s’accroît. car lui, mon Dieu, saura où loger mes larmes lorsqu’elles s’épuiseront avant de s’effacer sur mon petit visage rond.

un pas devant l’autre depuis un moment déjà, mes paroles se sont égarées sur le trajet. cette condition poignante me fait perdre mes moyens : de Grell, je ne pourrai jamais forcer la main. je suis obligée d’accepter que jamais, jamais, il ne se fera plus fort vis-à-vis de sa foi. et je n’ai plus que mon cœur pour pleurer. je ne t’en veux pas. je renchéris sur mes propres paroles après un long silence rempli de pensées qui ne quitteront mon esprit que pour se confier au Père.

je me sens petite et ridicule, jouxtée à l’immensité que Grell représente, mon piteux état s’accentue davantage. à mon grand désarroi, je pense qu’il peut le remarquer. son œil omniscient ne rate personne, pas même les saintes mamans.