amazed

Le tube à essais lui glisse des mains, elle ne dit rien, la brisure de verre est assez audible pour tous. Elle ramasse les tessons les mains nues et — sans surprise, se coupe la paume de main. C'est du sang qui en coule, cette fois-ci : la fête est finie, la sève aussi. « Merde ... Fait chier ! »

Argo n'a pas si mal que ça mais les larmes lui montent. Elle regarde les gouttes couler sur le sol immaculé du laboratoire. La lumière est blanche, le carrelage aussi, les paillasses également. Il n'y a que son sang qui s'oxyde à vue d'oeil, qui vient souiller l'ivoire du laboratoire. C'est tout ce qu'elle sait faire, de toute façon. Argo souille tout. Les esprits, les souvenirs, les preux chevaliers et les amis aimants.
Elle s'en veut. Elle a l'impression que le monde la déteste. C'est sans doute le cas.

Elle qui ment, tout le temps, qui remet en question, qui ne s'arrête jamais, même quand on lui supplie. Elle ne peut juste pas s'en empêcher. Tous attendent le Paradis, pourtant il y a déjà un Serpent au sein de leur Éden. Il s'appelle Argo. Elle sanglote, maintenant.

« Putain mais quelle conne ! Sérieux, quoi ... » Robin lui a dit. Remy l'avait prévenu. Mielle l'avait observé. Le Père Suprême l'avait averti. Magda l'avait sermonnée. Pourtant Argo, mauvaise herbe, n'a pu s'en empêcher. Elle avait du gangréner en Alfie, défié Luke, rejeté le Père. Elle soupire fort, entre deux sanglots réprimés. « Ah- Charlie ... Excuse moi, j'étais dans ma tête ... » Elle réalise qu'elle pleure encore. « Te tracasse pas, c'est rien, juste u- une coupure. Désolée ... » Elle veut aller chercher une serviette pour essuyer la coagulation d'hémoglobine mais ne bouge pas d'un iota.

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tomber sept fois et se relever huit.


dans ta bulle jusqu’au clic, clac.
il est rude contre le sol, cristallin à la fois.
et très proche… un peu trop même.
tes prunelles sur Argo à tes côtés.
naturellement tu commences à te baisser.
voulant venir en aide–

merde… fait chier !
un peu surpris à la vue du sang.
tes orbes remontent vers ta camarade.
captant les larmes perlant à ses cils.
ça te fait pincer les lèvres, Charlie.
ô parce que tu te doutes…

Argo ne pleure pas pour ça.
pas pour un tube à essai explosé au sol.
ni pour une entaille sanguinolente.
et toi, tu ne sais pas si tu es de taille.
les machines ne s’écroulent pas.
les humains oui ; toi aussi.

▬ Argo…

doucement, presque soufflé.
un rappel de ta présence.
elle s’excuse, une fois, deux fois…

▬ Hum hum, ne t’excuse pas, c’est rien.

appuie sur les mots, Charlie, les siens à elle.
et tu ramasses le verre avec la balayette.
celle de la paillasse, dans la petite pelle.
juste avant de venir toucher son bras.
accroupie tous les deux en blouse blanche.
tu lui offres une fine risette réconfortante.

▬ Rinces toi, je vais chercher de quoi faire un bandage.

sur ces mots, tu te redresses et t’éloignes.
jetant le verre et fouillant pour les premiers soins.
compresses, straps et désinfectant.

▬ Je peux ?

tu es revenu, désignant sa main blessée.
une serviette entre tes doigts pour essuyer.
tamponner doucement la plaie.

▬ Si tu veux en parler, je suis… là.

coup d'œil furtif vers son regard.
bien sûr, tu n'insistes pas, Charlie.
te contentant de soigner.

Argo navigue entre la peine et la honte — elle se sent bête. On ne pleure pas pour une coupure, on ne pleure pas tout court dans le monde d'Argo. Il n'y a pas de place pour le doute et les larmes ne sont pas toujours les bienvenues. Argo accueille les larmes des plus petites, les sèche et en fait de l'eau saline pour ses solutions. Elle ne sait que faire de ses propres excuvations lacrymales — elle s'interdit de les accumuler. « Je sais pas c'qui me prend ... Pleurer pour une coupure, quoi, quelle abrut-
Et devant toi, en plus ... »

Elle ouvre le robinet et laisse son sang s'écouler parmi l'eau claire. Elle aperçoit le fond de la vasque se teinter d'un rouge timide puis d'un marron sale qui retrouve enfin son blanc stérile. Elle se remet à pleurer.
Le robinet s'écoule en cascade, les maux d'Argo s'expriment en mots, et ils coulent, eux aussi.
« C'est- ... c'est un tout. C'est tout. Tout ça, là, cette merde, tout ça ...
C'est ces fioles de merde et c'est cette putain d'eau iodée, là- » Elle explose en larmes. C'est un joli spectacle, regarder quelqu'un pleurer. Argo parfois trouve une certaine puissance à regarder les larmes des autres couler. Ce n'est pas une puissance jouissive, elle ne se réjouit pas de la souffrance des autres, non. Elle les trouve beaux, simplement, tous ceux qui pleurent. Ils se mettent à nu, ils sont vulnérables. Il y a chez eux quelque chose qu'Argo s'interdit. Ils vivent en entier, ont laissé de côté les plates-bandes et les pointillés.

Elle coupe l'eau, lui tend sa main légèrement coupé. « Je suis rid- c'est ridicule, tout ça. Oh, Argo, putain, ressaisis-toi là ! » Elle essaie de souffler mais sa gorge est encore serrée. Finalement, c'est horrible de pleurer. Elle a l'impression d'être la propre main qui l'étrangle.
« Je suis l'ennemi public numéro un. Les parents me détestent, le Père Suprême m'a dans le viseur, les grands frères et grandes soeurs me détestent, c'est-
C'est un tout, Charlie, tu peux pas savoir comme ça me pèse. Ils me font tous croire que je suis folle. Mais je peux pas... je veux pas tout te dire, tu deviendrais comme moi- Et ça, ça, c'est pas possible. »

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elle ne sait pas ce qui lui prend.
elle se sent… abrutie, tu le comprends.
le devine avec aisance sans qu’elle le dise.
Argo s’en veut que ça soit devant toi.
en plus.
comme si c’était tragique.

▬ T’en fais pas.

le ton bas et doux.
les épaules qui se haussent.
tu t’éloignes un instant, Charlie.
pour trouver ce qu’il faut.
chercher la meilleure façon… d’être.
mais c’est seulement toi qui revient.

tu lui demandes si tu peux prendre sa main.
lui indique que tu es là si elle veut parler.
et Argo explose comme une supernova.
le regard qui dévie sur les fioles d’eau iodée.
puis sur ses larmes qui ruissellent ; iodées aussi.
c’est que tu ne sais pas quoi dire ou faire.

finalement, elle coupe l’eau et te tends sa main.
rapidement tu presses doucement, tamponnant.
l’écoutant de sa voix enrouée pleine de sanglots.
gardant la face, alors que ça t’énerve ce qu’elle dit.
comment ça elle est l’ennemie public numéro un ?
et toute la suite, jusqu’à la conclusion dramatique.

▬ Je ne te déteste pas.

faisant pression sur sa plaie entre tes deux mains.
ton regard braqué dans le sien, sérieux et tendre.
sourire discret en coin, un peu bancal, comme toi.

▬ Je ne sais pas si ça pèse beaucoup dans ta balance, mais ouais, je ne te déteste pas et il n’y a pas de raisons que ça arrive un jour. Je te l’assure.

discrètement, tu fais un pas en avant vers Argo.
pour pouvoir parler plus bas, presque chuchoter.
que cela puisse rester entre vous, juste entre vous.

▬ Et je ne te pense pas folle non plus. haussement d’épaules. Au pire, si c’est vrai, je ne pense pas que ça soit un défaut… d’être fou.

venant du garçon étrange qui parle aux nexus.
aux grille-pains et autres bizarreries du genre.
prunelles qui se baissent pour observer l’entaille.
tu déposes la serviette sur la paillasse, Charlie.
saisissant le désinfectant et une compresse.
tu vaporise la plaie et presse de nouveau.

▬ Tu n’es pas obligé de porter ce poids toute seule. les orbes qui remontent vers les siennes. J’en suis persuadé, mais rien ne t’oblige à parler, surtout pas moi.

le sourire toujours accueillant.

Charlie est doux. Il ne semble pas avoir d'épine, c'est un homme presque inoffensif. Il ne lèvera jamais la main, tendra sans doute l'autre joue si on lui demandait. Argo a de l'admiration pour sa résilience. Elle trouve ça courageux, quelque part — peut-être plus que mordre toutes les mains qui s'approchent d'elle. « Je ne t'ai même pas remercié pour- tout ça ...
Merci. »

L'antiseptique ne pique pas, il est comme Charlie, quelque part. Elle essaie de se souvenir de lui, plus jeune. Elle n'a pas vraiment de souvenir marquant, elle se souvient d'un petit homme, d'un bourgeon qui peinait à pousser. Son sépale n'est pas fané, encore, il est resté vert malgré tout. Aux yeux d'Argo ses pétales sont encore timides, il reste clos et ne semble pas toujours vouloir s'ouvrir. Il a connu plusieurs printemps pourtant — peut-être sont ses automnes plus rudes que ses hivers.

« Tu n'as pas connu le monde extérieur. C'est-
Il existe. Et c'est merveilleux. » Sa voix se brise parce qu'elle ne peut pas en parler si fort. Il y a des secrets qui doivent le rester et même s'il brûle Argo à petit feu, elle se consume dans les cendres de son passé, essaie de raviver la flamme d'un tison ; le passé est un charbon, il ne devrait pas servir à allumer le futur (c'est ce qu'on leur apprend depuis petit)
« Je m'en souviens, souvent. Il y avait de l'eau, à perte de vue. Ça sentait fort, le sel et l'eau. C'était splendid-

Tout ça, là, ce ... spectac- ça n'a aucun sens. Je ne veux pas attendre trente ans pour retrouver quelque chose que j'avais déjà. C'est-
C'est stupide. » Argo devait sans doute être folle, de toute façon, il n'y avait qu'elle pour rêver de vagues qui s'écrasent et se tuent en écume. Elle aurait du s'écraser et disparaître avec elles : son sort aurait été clément de cette façon.

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elle te remercie.
s’excuse presque de ne pas l’avoir fait.
et ta risette se creuse un peu plus.

▬ Y a pas d’quoi. tes lèvres se pincent, une seconde. Et ne t’excuse plus, pleurer c’est… normal. Moi aussi je pleure.

parfois, souvent.
enfin, c’est souvent arrivé… avant.
tu sais, quand on était plus petits.
j’ai beaucoup pleuré.
mais c’est pas grave, ça arrive.
même si c’est devant les autres.

garde un peu pour toi, Charlie.
mais tu lui dis qu’elle peut parler.
tout en lui certifiant que rien ne l’oblige.
et au début, tu crois que le silence s’installe.
qu’il se creuse un nid entre vous.
tu n’as pas connu le monde extérieur.

c’est– il existe. et c’est merveilleux.
il n’en as pas fallu plus pour te raidir.
mais positivement, le cœur qui bat plus vite.
le regard qui s’écarquille derrière tes lunettes.
tu n’oses presque plus la regarder à Argo.
ou même respirer, de peur de–

peur de quoi ?
qu’elle s’arrête de parler.
parce que ça fait longtemps que tu sais.
les machines sont bavardes.
ils sont rares les secrets que tu ne connais pas.
les messes basses que tu gardes pour toi.

Argo évoque la mer sans en donner le nom.
et tu sais que tu trembles, Charlie.
que la pression sur sa main est plus forte.
tu comprends où elle veut en venir.
ce qu’elle veut dire et ton palpitant gonfle.
elle n’est pas seule, tu n’es pas seul ; vous.

▬ La mer.

deux mots murmurés.
avec tout l’amour du monde.
comme le plus interdit des péchés.

▬ J’ai lu des trucs dessus, parfois on la voit dans certains films et… je sais. t’as le rouge aux joues, Charlie. T’as dû en parler quand on était enfants et euh… les machines, tout ça, elles finissent par me répéter ce qu’elles entendent et– ton regard fuit une seconde, puis deux. J’ai jamais trop su comment t’aborder pour en parler mais… j’aimerais tellement tellement la voir un jour.

sauf que je doute qu’elle soit à Paradis.
et ça, tu n’arrives pas à le lui dire.
timidement, tu fais un demi-pas vers elle.

▬ Et je comprends, ce n’est pas stupide de ne pas vouloir attendre… surtout que rien n’est… garantie.

la distance entre vous est presque nulle.
tu as du mal à choisir tes mots, Charlie.
les prunelles fuyant vers la paillasse.

▬ C’est ça que tu fais dans les tubes à essai ? La mer ?

parce que ça sent le sel mélangé à l’eau.
comme ce qu’on dit dans les écrits.
comme les larmes à tes joues Argo.

Elle s'apaise doucement mais ses sanglots restent encore lourds — il y a des peines qu'Argo ne peut qu'évacuer sous condition de trop-plein ; c'est un débordement d'émotions qui s'écoulent encore en cascade de son coeur. Ses barrages cèdent et malgré l'apaisement du flot du torrent, c'est toutes ses inquiétudes qui s'échappent alors que sang de sa main a bientôt fini de couler.

Elle écoute le discours ému de Charlie et lui reviennent en mémoire tous les petits détails de son enfance, ceux qui ont survécu à l'Enclave, au quotidien du bloc et ceux qui n'ont pu être altéré au fin fond de son cortex préfrontal. « Oui, la mer. »

« Elle est merveilleuse, Charlie. C'est ... c'est le vrai Paradis. Il n'y a rien qui s'y compare. J'en suis sûre, ce qui nous attend à trente ans, ce n'est pas ça.
Je- je ne sais pas ce qui se cache derrière leur Paradis, mais ce que je sais, c'est que je ne veux pas y aller. » Elle s'essuie les yeux de sa main intacte et laisse s'évader un rire sarcastique. « Et dire que je ne voulais pas te le dire pour ne pas te polluer le cerveau de mes délires- j'aurais tout raté aujourd'hui.
Mais, oui, c'est bien ce que j'essaie de synthétiser ici. Mais je crois que ce n'est pas possible. C'est trop ... chimique. Je ne pourrais jamais recréer quelque chose d'aussi grand et organique, vivant, dans un labo aussi aseptisé et dénué de vie. »

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oui, la mer.
c’est un apaisement inqualifiable.
le poids sur ton myocarde,
il se fait plus léger, plus discret.
tu inspires, Charlie.
écoute Argo qui poursuit.

ô et tu écoutes avec attention.
l’esprit rêveur et alerté à la fois.
parce qu’elle ose Argo dire les mots.
ceux que tu n’oses pas prononcer.
sauf au couvert de la nuit, à Nathaniel.
ce n’est pas comme s’il pouvait répéter.

enfin si, mais qui écoute les nexus ?
toi, Charlie, juste et seulement toi.
j’aurais tout raté aujourd’hui.
et tu lui dis « non » de la tête.
la risette un peu plus belle qu’avant.
alors qu’elle confirme tes interrogations.

la mer dans un flacon.
et elle vient aplatir tout ça de réalisme.
ton regard se baisse alors sur sa main.
écarte la compresse et la dépose.
saisissant la bande pour bander.
et le ton bas, ta langue se délie.

▬ Je crois que je suis né dans un labo… je crois que tant qu’on y croit tout peut exister, comme la forêt qui repousse après l’incendie.

sa main tourne doucement entre tes doigts.
le bandage qui prend lentement forme.
minutieux et méticuleux tu te fais, Charlie.

▬ J’essaye de faire tomber la neige. tes orbes dans les siennes. Ca me semble aussi barré que ton projet tu sais, surtout que contrairement à toi, je ne l’ai jamais vu. ton sourire se fait plus timide. Tu en as vu de la neige ?

ça aussi tu rêves d’en toucher, de la vraie.
pas comme celle du congélateur.
et tu noues le pansement d’Argo.

▬ Pour ce qui est de… Paradis. les prunelles qui vire au sérieux. Je n’y crois plus et ça fait longtemps maintenant.

mais où est-ce que ça nous mène ?
c’est ce qui reste coincé dans ta gorge.
ça te brûle la langue et le palais, Charlie.
alors que tu tiens toujours sa main.
juste là, entre tes doigts qui tremblent.
un tout petit peu, à peine… un rien du tout.

Argo regrettait ses erreurs de jugement sur Charlie. Elle ne l'avait jamais réellement regardé, auparavant. Elle l'avait déjà vu, c'était sur, parmi les quatre murs de leur geôle partagée. Elle n'avait jamais prêté attention au petit garçon qui parlait au machine, ni à l'adolescent qui courait frénétiquement autour du bloc. Elle se demandait, alors qu'il bandait sa main, quand Charlie était-il devenu aussi intéressant ? L'avait-il toujours été mais ne l'avait-il jamais montré ? Argo n'avait-elle jamais pu — su ?, le voir ? « C'est une belle philosophie.
Permets moi de ne pas y croire, mais c'est admirable d'avoir autant d'espoir. »

Elle ne pleure plus. Ses sèves ne coulent plus, son sang ne s'échappe plus et ses larmes ont cessé d'exposer son palpitant souffrant à nu, Argo retrouve petit à petit de sa superbe et semble se redresser comme les fleurs que l'on a fini de laisser dessécher.
Elle retrouve ses airs un peu haut-perché, comme un cuivre qu'on aurait désoxydé pour en retrouver l'éclat primaire et aveuglant de ses premiers jours.

Argo ne se souvient pas de la neige — elle a du en voir, peut-être, oui. Elle n'a jamais aimé l'hiver, peu de choses y poussent ; pour elle c'était une saison cruelle. « Oui, certainement. Ça ne m'a pas marqué, je crois. J'ai dû l'oublier. »

« Tu ne dois plus jamais dire ça. » Son regard est plus grave, le bandage fini, elle attrape les mains de Charlie et capture ses yeux des siens. Il y a une lueur de danger qui brille au sein de ses iris, c'est comme une fusée de détresse qui explose loin dans le ciel — il y a des traces de rouge, la fumée alerte puis tout s'éteint. « Tu m'entends ?
Plus jamais. C'est dangereux, Charlie. » Elle prend un bout de papier, y griffonne deux mots qu'elle montre à Charlie puis se saisit d'un brûle-gaz à bec et fait bruler le morceau de papier.
Il y avait écrit Moi non plus. Je veux partir. « Merci, pour le bandage. C'était très gentil de ta part.
C'est étrange, d'apprendre à connaître quelqu'un à notre âge, mais tu es une bonne surprise, Charlie. »

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elle dit que c’est une belle philosophie.
mais elle te demande de lui permettre
de ne pas y croire, Charlie.
et bien sûr, tu le lui accordes.
d’un mouvement de tête, le sourire doux.
c’est admirable selon Argo.

tes épaules se haussent à peine.
puis elles retombent, égales.
comme un léger sursaut.
l’espoir fait vivre, paraîtrait.
toi, Charlie, tu trouves qu’il fait rêver.
qu’il assoiffe même ceux qui ont de l’eau.

mais ton esprit s’attarde sur Argo.
elle se redresse doucement.
telle une plante bien réhydratée.
et ça te captive un instant.
pendant que toi, tu lui parles de la neige.
qu’elle a peut-être vu, sans s’en souvenir.

▬ Ce n’est pas grave, ne t’en fais pas.

nouant son bandage et…
tu reviens sur cette histoire de Paradis.
avoue un de tes grands secrets, Charlie.
la terre promise, tu n’y crois plus.
un espoir avorté, mort né.
et ça fait frémir Argo.

tu ne dois plus jamais dire ça.
vos regards qui se diluent l’un dans l’autre.
ce sont ses mains qui te tiennent maintenant.
et tu sens l’urgence, le danger.
comme s’il sortait des pores de sa peau.
une peur sourde qui ravage.

tu m’entends ?
et tu acquiesces, Charlie.
plus jamais. c’est dangereux.
elle le formule à voix feutrée.
le palpitant qui s’emballe.
juste avant de gribouiller des mots.

tu lis et ils ne partent en fumée.
tu veux lui dire que oui, mais comment ?
pour aller où Argo ?
sauf qu’elle te devance avec d’autres mots.
ton regard se baisse, Charlie.
la risette discrète qui revient à tes lèvres.

▬ Avec plaisir, c’était… normal. Et– tes yeux se sont relevés dans les siens. C’est juste que… je ne parle jamais de tout ça.

toi aussi tu appuies sur ce jamais.
non, tu ne les évoquent pas tes doutes.
et tu récupères ce qui t’as servi à la soigner.

▬ Depuis qu’on m’a foutu la paix, j’avoue que je tends à me faire oublier.

tu serres dans tes doigts les compresses.
le désinfectant, la serviette et la bande.
ton sourire se fait plus tendre.

▬ Et merci ça me… touches, d’être une bonne surprise.

je crois…
au fond, pour toi Argo, j’ai jamais douté.
j’ai jamais douté que t’étais exceptionnelle.