amazed

Sous ce soleil, les grandes bennes à ordures chauffent, l’odeur répugnante, à deux pas les ruches sont insouciantes, et Faïr a choisi de les imiter. Le col de son t-shirt élimé, là d’où il vient les choses peuvent toujours servir quelques jours de plus, est remonté au-dessus de son nez, et sa tête est appuyée contre le plastique qui forme une ombre où il a rangé tout son corps : quilles pliées, bras croisés. Sa respiration produit un léger halètement, c’est parce qu’il ronfle à se servir de ses lèvres plutôt que ses narines.

Ce n’est pas un sommeil régulier, plutôt une somnolence de contrebande, sur le flanc des poubelles, il n’avait jamais imaginé qu’on prêterait attention à la misère qu’il reflète.

Aucun tressaillement, il la reconnaît, c’est mauvais signe, même en gardant les cils serrés, il devine qu’elle n’en démordra pas. Plutôt que de briser l’accalmie de cette chaude après-midi, le rouquin essaye de se la figurer, Madame Maman, avec ses jolies chaussures qui donnent le sentiment qu’elle vole au-dessus du sol, son air courroucé qui lui va comme une deuxième peau. Il y pense à ce visage couleur d’opale encadré par des filaments bruns soyeux, lourds, qui ressemblent aux rideaux épais qui empêchent de voir derrière la fenêtre des élites.

« Oh. Madame Maman. » Il ouvre un œil, puis l’autre, fait mine de tâter le décor, lentement, contrairement à elle, il n’a aucune raison de se précipiter. « Vous êtes jolie. » Les paupières papillonnent sur cette silhouette, courbée et sévère, qui semble prête à jeter sur lui. Et s’il ne la contente pas, que va-t-il arriver, le saisira-elle à pleines mains, près des côtes, là où il lui est si difficile de ne pas frissonner.

Hagard. Le môme fixe son index autoritaire, loin, loin, de prêter la moindre attention au sac de détritus indiqué.

« C’est que je me suis assoupie Ma’am. C’est cette chaleur, je me sens… patraque. » gazeux, sans doutes les molécules de son cerveau puis de sa peau vont remonter au ciel en vapeurs blanches. « Vous m’aideriez à me relever ? Ca shlingue ici, j’ai dû tourner de l’oeil. »

Il ouvre sa paume. Un sourire brillant, toute la dentition, ouvre son visage.

Elle va faire quoi de lui. Quand il sera debout appuyé contre elle, lui, l’arbuste attaché à son tuteur pour ne pas laisser sa croissance raser le sol. Les mots exaspérés qui se soufflent avec beaucoup d’air sont un signe de reconnaissance. Je te vois. Tu me connais. Il saisit à deux mains celle qu’on lui tend, souffre en silence sans les grimaces de chiot. L’odeur de crème pour les nourrissons le ravit, au point de poser sous ses narines les doigts et le parfum infantile déposé.

C’est sa faute si elle est pleine d’un ennui houleux. C’est ce corps malingre qui traînait contre les bidons souillés, ça lui a retourné le cœur à Heya, maintenant la journée lui est pénible, et ses expressions ressemblent aux lamentations d’une chérie qu’on déçoit.

Faïr, les épaules levées sur la pointe des orteils, recouvre son épaule sous une paume chaleureuse. « C’est pas grave Ma’am. Je vais la jeter votre poubelle. Faut pas que vous soyez énerver pour ça. » Sourire, les dents bien alignés en ligne de front , pour se montrer rassurant. « Oh. C’est pas mon intention. C’est ce yukata. Vous êtes jolie dedans. Ce n’est pas un crime de penser à voix haute ? » ingénu, Faïr dissimule les hauts le cœur qui voudrait qu’il dissolve ce système dans les mêmes cuves d’acide qu’il a aperçu au traitement des eaux.

La toile tendue et verte du sac qu’il soulève s’accompagne d’un bruit de poterie cassée et, il en est certain, gesticule à cause des vers. Sans se presser, Faïr lève le sac, pense à ce travail ingrat avec distance. Lui, ne le trouve pas plus mal que celui de Kiki, avec son corps déformé par l’effort, qui passe sa vie à se battre contre cultures revêches, et, c’est sûr, qui ne finissent même pas dans son assiette. Il n’est pas certain, que le travail soit bien fait pour lui, au moins dans le sien trouve-t-il du répit sur les hauteurs des gymnases et tours.

La poche s’est éventrée juste avant de tomber dans le recyclage, quelques asticots sont propulsés, l’un d’eux s’écrase sur la joue de Faïr qui le chasse. Les relents de putréfaction qui sont insoutenables, il doit se dépêcher de refermer le grand couvercle, oublie une seconde Heya pour faire levier et presser de force le mécanisme de fermeture automatique.

« A quoi bon ? si je ne le fais plus, quelqu’un d’autre va devoir se le coltiner. Si on est tous meilleurs, alors tout reste comme avant. » Le clapet de fer est verrouillé. Faïr essuie ses mains contre son calbut, des traînées brunâtres et grasses, il se sent dégueulasse. « Dites. Vous avez pas un petit gel pour les mains ? Je vais aller me nettoyer à la Source, sinon. Dans cet état, ils voudront pas me laisser nettoyer la machine à pop-corn au Social Club. »

Les mains jointes, elle ressemble aux grenouilles de bénitier. La lumière qui tombe sur ses traits produit une impression de grâce, sainte sainte sainte, et une diversion solide au sordide des sacs éventrés par les chats errants. Il s’y allongerait presque dans cet œil plein de dévotion grasse, pour une sieste, le temps de respirer la fumée des encensoirs à plein poumons. La sympathie soudaine de maman le prend à revers. Ses joues prennent un coup de soleil. La pointe de l’index gratte la zone grise qui sépare sa mâchoire raturée de cicatrices de rasages et le lobe de son oreille.

« Ah oui ? vous aussi vous trouvez qu’on va bien ensemble... » il se sentirait presque gêné de la recevoir entre deux poubelles sans même un gris-gris brillant pour la faire se sentir importante. Il faut le voir, là, à s’essuyer les doigts plein de dégueulis sur les poches arrière de son pantalon en se raclant la gorge. La sensation de ses doigts sur les joues laiteuses s’est rapprochée de sa conscience au point de provoquer des tambours clairs sous ses côtes. « Vous vous voulez boire un café ? Ils le font gratis aux agents d’entretien à cette heure-ci. » C’est de la pisse mais on s’accommode en bleu de travail sous les rayons carnassiers des fins d’après-midi.

Il prend le carré de tissu avec une certaine émotion du bout de ses doigts, incapable de se résoudre à s’en servir. Lui aussi, est assorti au yukata, à ses cheveux, il a la même couleur que les bourgeons de rose au printemps. En le portant à son nez, Faïr inspire la fraîcheur parfumée qui manque aux sous-sols, c’est si délicat qu’il n’est pas certain d’avoir le bon nez pour l’apprécier. « Je peux le garder ? » L’odeur protégera son sommeil et le souvenir du béguin de maman quelques jours au moins.

« Ah ça oui ! c’est un travail correct. Il y a tout : le soleil, le vent, une vue sur le monde…  l’odeur du savon est agréable aussi.   » L’attention l’a rendu fanfaron. Il en oublie les épaules écrasées de trimer et le maladif des reins devenus douloureux. Les inflexions solaires de sa voix sont portées par ces épaules ouvertes, suspendu aux lèvres rosées de ce simili de parenté. « …vous vous y plaisez-vous ? dans votre travail. Vous allez le quitter pour quelque chose de meilleur… ? » meilleur, un monde meilleur, un eden où il fera meilleur vivre, meilleur aimer, meilleur meilleur meilleur. Un mot qui a les allures du prophétique celui qui réside en litanie dans a bouche des enclavés. Faïr en se tenant courbé sur ses arpions à l’autre bout du spectre, le pire, trouve que meilleur est l’assaisonnement fadasse qu’on fout dans toutes les gamelles.

La décoction fumante est un prétexte pour prolonger leur entrevue. Il aime nous. nous nous nous. Le mot devrait être un talisman qu’on porte au cou. Lui-même, s’empresse de touche la sauge, un ballotin gris fumé, nouée par un cordon rouge pendu sous sa pomme d'Adam. Loin, le bourdonnement des abeilles manifeste qu’ils ne sont pas exactement seuls au monde. La pression de leurs ailes translucides sous la serre est romantique. « votre présence y suffit ma’am. » osé, il sourit, le culot grise, plutôt brûle les sédiments de la pudeur. « je ne veux pas le jeter. c’est un cadeau. » rieur, il ajoute « et puis, ça me ferait encore plus de travail de le jeter. »

L’inflexion de sa voix n’a pas changé d’un pouce. Il a quelques doutes sur la définition du mot procrastiner. L’absence d’agressivité dans le ton le persuade que demander serait la mauvaise chose à faire. Oui oui oui. Il hoche la tête avec l’air de lui donner raison avant d’emboîter son bras dans le sien, elle est un peu plus petite que lui, même avec ses étranges sandales flottantes, ce qui a le don de rendre Faïr fier comme un paon.

Les chemins dans cette zone de l’Enclave sont étroits et parsemés de petites pierres poussiéreuses, ils obligent, pour marcher au même niveau, à se tenir proche. Sa voix, la tiédeur presque perceptible de sa peau et l’attention qu’elle lui porte sont assez pour absorber tous ses sens d’assoiffés. Il sourit l’air un peu sot. Parle au lieu de penser.

« Vous vous voyez. Encore un point commun. Nous sommes tous les deux heureux là où nous sommes. »  Peut-être, s’il pouvait s’effondrer dans ses bras comme un roseau abattu par le vent trouverait-il encore plus de délices à la vie. Mais Faïr n’est pas glouton. Il reste accroché à son bras jusqu’à ce que le distributeur de boissons se dessine sous l’ombre d’un appentis perdu de ce côté des serres. « c’est vrai qu’aimer du soir au matin, ça doit être quelque chose de merveilleux… » il dit pensif sans relever qu’il a inversé les mots, que le sens reflète toute son adoration pour la manière dont les chevilles de la mère apparaissent et disparaissent de son yukata à chaque foulée.

Sur la machine, un placard métallique pourvue d’une vitrine, les boissons s’appellent : café court par wicked, café long par wicked, soda à l’orange par wicked, … Sur le boîtier il tape son numéro, qui est aussi son âge, qui est ainsi plus simple à retenir. Le prix des cafés et l’eau tombent à zéro. « Vous ne voulez pas quelque chose ? Pour vous remercier. Pour le mouchoir. » Il cherche d’autres raisons mais n’en trouve pas. Il espère qu’elle ne veut pas le thé matcha +++ par wicked qu’il n’aurait pas les moyens de lui offrir.

Le gobelet cartonné fume, prêt, un bip enjoué les informe. Faïr fouille une poche arrière pour extraire un sachet de sucre froissé, payant sur la machine mais gratuit au self, il l’agite entre ses doigts et l’ouvre par-dessus le liquide brun. L’odeur lui rappelle La Voix qui parle de météo, les deux ingrédients des matinées les plus délicieuse. « Je peux vous montrer quelque chose ? Tenez moi ça un instant. » Il contourne l’abri, pose une main puis un pied sur la parois, deux mètres, pour l’escalader, il a gardé une main vierge de liquide collant pour lui tendre. Sourire solaire. « vous avez déjà pris un verre sur un rooftop ? » et pour plaider son cas. « … si vous accepter, je ferai la vaisselle des enfants toute la semaine prochaine. » tâche ingrate qui incombe souvent aux Mères puisqu’il faut le faire de nuit pour limiter les interactions enfants – sélectionnés.

L’amour est un étourdissement similaire à la deuxième gorgée d’hydromel, aussi l’extase, les soupirs, une condensation physique d’un ravissement qui vous suit comme les petits chiots aveugles.

Il est si heureux de cette question qu’il oublie même qu’elle est Madame Maman. Ses expressions s’arrondissent, la forme de ses pommettes et la chaleur de son rire, et son bras se tient plus fermement à elle. Il voudrait dans l’étreinte lui partager de cet amour dont il déborde, une passion dévorante pour la beauté irisée de la texture d’une voix, la grâce d’une broche replacée ou le parfum d’un attitude rebelle. « Je ne peux pas me rappeler de toutes les fois où je l’étais, mais je crois que je suis fait – mon existence, je veux dire – pour l’être. » de vous, de toi, poser ma tête sur tes pieds ce soir, m’ouvrir le poitrail si c’est ta volonté. Il est rouge grillé comme les homards qui sont passés sur le feu pour devenir tendre.

Il fait des pieds, des mains, il est galvanisé par son inquiétude, sa peau maintenant criblée de chair de poule, hurle pour son regard, lui, ruisselant des chaleurs interminables de l’Enclave et du désir d’aimer. Avec son corps qu’il brise dans la traction, Faïr la hisse comme les princesses qui las des contrées trop pauvres explorées voudraient remonter la tour d’où elles gouverneront.

Là-haut, la tôle est gondolée et brûlante, il faut s’asseoir doucement sans plaquer ses mains pour apprécier le spectacle sans souffrir le décor. Ses cils battent lentement sur les yeux noirs café d’Heya, souhaite si noyer entier. Il entend ses mots à travers ce filtre ouaté que forme l’adoration et sa carne prend une rougeur embarassé. « Oui oui oui. Sois rassurée. » il murmure, les mots forment une prière. Il s’imagine que peut-être elle aussi se sent confuse, que la timidité la gagne quand l’œil rouge du soleil tombant les scrute. Lui, Faïr, veut bien porter le poids de sa culpabilté d’être ici, que les tâches incongrues qu’il a décidé d’oublier une fois la nuit passée peuvent être empilée sur son dos.

« Tu es majestueuse avec cet horizon qui flotte autour de toi. J’ai toujours pensé que tu voler à cause de tes sandales. » Il porte le café à ses lèvres, dans son esprit le goût du breuvage s’emmêle à l’image de la brune détourée par l’horizon d’herbe rase où le chapeau pointu des pins culminent au loin. « Je connais une histoire qui raconte que les enfants étaient nés dans les étoiles et que certains pouvaient en redescendre, en posant un pied après l’autre de la plus haute à la plus basse. » Il aime bien cette histoire. Il ne sait plus d’où il la tient. Il dirait une autre vie. Il dira. « Les enfants ne voulaient pas descendre parce qu’ils avaient peur de ne pas pouvoir remonter. De la haut, les enfant de la terre ressemblaient à des points noirs, comme des insectes, laids et inutiles. » les associations d’images, d’odeurs, de sons, portent la trame invisible de son souvenir. « Un jour, une fille des étoiles qui s’ennuyait à mourir décide de descendre malgré tout. » il laisse planer un blanc, laisse le breuvage descendre dans son gosier et la liqueur des iris de la femme l’envelopper. « Sais tu ce qu’elle découvre ? »

Il faut faire des contorsions pour la regarder de biais, elle est pareille aux figures de pierre. La grandeur de cette posture tournée vers les cieux émeut le garçon des détritus, le mouchoir enserré au fond de la poche, qui doit se retenir de ne pas plonger dans la contemplation de sa sainte. Il inventerait pour elle d’autres histoires, des mots nouveaux, qui ressembleraient à ces sérénades modernes où les phrases se cassent en plusieurs lignes sous le poids de l’émotion. Madame, ainsi, gardera les traits apaisés de ceux qui s’évadent malgré la ceinture de pierre de l’horizon, son parfum fleuri, pour le ravissement obscène de Faïr. C’est qu’elle est belle en parme et or. Il pense. Si belle maintenant que son yukata n’est traversé que par la tiédeur du vent. Ce souffle invisible qui l’étreint au moins aussi étroitement que le blocard le désire à cet instant.

L’amour. La simple mention rajoute des pigments brique, cet incendie à l’orée de ses oreilles, et annule un instant toute l’histoire. Un amour qui transcenderait les étoiles, sans doute parce qu’il n’existe pas là-haut, que le ciel est d’un bleu trop frileux pour autoriser la condensation d’un sentiment brûlant. Et vous Madame. Vous le voyez cet amour qu’il a cultivé les pieds dans la terre, sous la terre, lui, ce feu de cheminée, bien gentil dans la boîte où on l’a rangé. Pouvez-vous distinguer ces longs soupirs qu’il espère voir former des nuages indolents.

Sous les côtés, le cœur est fébrile et tressautant, le sang qui pompe à toute allure pour faire éclore des sensibilités inédites.

Faïr te prend les mains, sacrilège, sa peau défraichit par les liquides abrasifs sur la tienne faites de pétale.

« Regarde-moi. Un instant. » il ne saurait se déclarer, ce n’est pas son genre de délit, depuis longtemps, il a choisi de se laisser porter. Il n’a d’ailleurs pas eu besoin de choisir, c’était tout écrit dans ses gènes, l’itinérance heureuse de ceux qui n’existent pas pour demain. « Elle découvre la vie. Qui est un autre nom de l’amour. » il dit pour ne surtout pas lui donner tort, certain que la raison est de son côté. « Elle joue avec les enfants de terre qui sont plein de plaies, les embrasse, pleure avec eux, si longtemps, si intensément qu’elle oublie les étoiles d’où elle vient. Ce n’est pas difficile le jour, on ne les voit pas, la nuit, elle ferme les yeux »

Il reprend son souffle, ses yeux baissés sur les mains de la brune, et reste muet un moment. La fin de l’histoire s’est étiolée dans les couloirs de son conditionnement. Le chagrin assombri ses yeux mordorés, de ne pas se souvenir, jamais, même quand ce n’est pas prémédité. Parce qu’il ne supporte pas d’être amer, ce serait renier sa joie à vivre et imposer ce bonheur, il articule. « C’est une fin ouverte. » Exactement comme Faïr qui a déposé le gobelet vide plus loin et relâcher les doigts de la femme. Le dénouement se tient peut-être juste devant lui.