amazed

J'ai rêvé de toi, tu sais.
On était
On était au beau milieu d'une mer de lave. Et on ne brûlait pas.
Si nous brûlions pour de la lave
comment aurions-nous pu survivre à la chaleur d'une étreinte ?

- Kafka,

J'ai ouvert la porte -- non, je ne l'ai jamais fermée.
Je t'ai vu entrer avec ton regret attaché aux lèvres, la voix enroulée dans une terre dont on aurait dit que le soleil avait tout brûlé.

Tu as peur de la chaleur, Kafka ?

- Approche.

La porte s'est refermée, cette fois.
Elle se referme toujours parce que ces moments n'appartiennent qu'à nous.
J'écoute, même si j'aime faire semblant que non.
Tu as vu ? Ce soir je ne porte pas mes lunettes.
En fait, je ne les porte jamais avec toi.
Parce que tu es tellement rempli de dégâts que te regarder avec mes propres yeux est toujours un délice.

Je vois ces bourgeons qui fleurissent sous ta peau.
Je vois la colère des autres qui rougeoie sur tes os.
Je vois la contusion qui s'attache à un muscle.
La glace qui fend ta voix en mille éclats.
Tu as froid, là.

La force dans mes genoux s'étiole, je perds en hauteur.
Bientôt, j'arrive rotules sur tapis rouge, bouclant la ceinture de mes deux bras autour de ta taille toujours trop serrée.
La tempe posée à ton ventre, comme on y écouterait le sommeil d'un bébé.
J'inspire, gorge mes poumons de ton essence, paupières closes.

- Tu sens bon...

Et je souris, à sentir grouiller sous la rivière de tes veines un désir inexorable de vivre.

- Il y a autre chose que tu voulais me dire ?

Tu sais ce que j'aime tant chez toi ?

C'est la tendresse putride qui suinte par tous les pores de ta peau.

Jusque dans ta voix où je me blottirais pour mieux contempler tes tremblements les plus singuliers.
Je me demande de quoi tu es fait. Si sous ta chair aussi les parasites font des œufs, et que peut-être la coquille se fend quand enfin tu oses prendre la parole.

Je n'aime pas qu'on me dise non.
Je n'aime pas qu'on me repousse.
C'est triste de refuser l'amour de quelqu'un, tu sais ?

Je ne connais pas vraiment la pluie. Elle se fait rare, dans l'Enclave.
Mais je connais l'écoulement de tes mots sur ma peau.
Je connais la sensation de ne pas avoir su se retenir,
d'avoir laissé échapper la goutte de trop.

Je n'ai pas peur.

- Kafka ?

Avec toi, ma voix ne saurait se montrer trop accusatrice.
Mais elle sait faire comprendre les choses autrement.

- Tu ne vas pas t'en aller en me laissant comme ça, dis...? Ce ne serait pas très poli.

Je lève les poignets pour saisir les tiens, neutraliser ta liberté dans une étreinte douce et ferme, mais surtout irrévocable.
Une fois privée de ses pattes, que reste-t-il à la mouche ? Toi, tu n'as jamais su te servir de tes ailes.

- Allons. Il va falloir que tu nettoies.

Chagrin enveloppant sous cils de faon.

Ce n'est pas la peur ce n'est pas le regret c'est l'excitation de goûter à un festin de roi qui te retourne les tripes.
Je le sais
Et tu sais pourquoi je le sais ?
Parce que moi aussi je connais moi aussi j'ai vécu cette sensation la sensation de crever de faim depuis cent ans oui cette sensation là même.
Le couteau qui tourne au creux du ventre la veine qui pulse à la tempe la cascade de poison qui remonte à travers la gorge.

C'est l'envie de régurgiter tout ton amour qui te fait bégayer.

Je ne t'ai pas lâché.
À vrai dire
rien chez toi ne donne envie de te lâcher.
Je veux retirer les pétales un par un je veux arracher les ailes et te voir ramper. Le poids de ta pensée déposé à mon épaule je fixe quelque chose dans le lointain j'attends que tu termines ton offrande que tu lapes cette terre sacrée sous tes mains que tu récupères ton vice et que tu goûtes un peu à toi-même.
S'il ne restait plus que toi est-ce que tu te dévorerais Kafka ?
Est-ce que ta propre bave te fait envie est-ce que tes propres fluides valent la peine d'être partagés à d'autres. Je veux ta réponse je veux la sentir glisser entre tes crocs entre ta salive dans tes prières silencieuses qui te font mettre à genoux face à n'importe qui.

Vingt ans sans manger et tu ressembles à une dépouille creuse voilà ce qu'il me reste maintenant.

Ton carnage au bout des lèvres je te redresse je t'amène dos au mur je te place au centre de cette peinture puis me loge à l'enseigne de ton oreille, y fait pleuvoir un souffle ou bien deux puis hume la fragrance de l'agneau sacrificiel qu'on abandonne pour repaître le ventre des dieux. Tu sais dans la nature les bêtes nous ressemblent un peu ou plutôt on leur ressemble c'est-à-dire qu'on se colle qu'on se serre qu'on s'enlace puis qu'on se dévore. On se dévore en s'aimant en se touchant en se goûtant et moi je crois que le baiser est le début du cannibalisme.

À mon tour maintenant de me glisser ici à la fosse d'une clavicule pendant que je me laisse dévêtir le haut à mon tour de passer la langue pour récupérer ta saloperie puis remonter ma chaleur trempée jusqu'à l'os de ta joue et je redescends je remonte je tourne je plonge je m'enlise je fonds sur cette veine épaisse qui borde ton gosier j'y plaque la pulpeuse de mes lèvres j'y plante mes canines affutées et je cherche à acculer le flux qui monte et descend lui aussi. Dans la nature les bêtes les plus malignes ou les plus fourbes cherchent toujours la veine du cou et tu sais pourquoi ? C'est parce que c'est là que le sang y est le plus chaud c'est là que le sang y est le plus généreux et surtout c'est là que les bêtes aiment le plus à le boire.

C'est d'un accord commun que je te serre la main.

Tu vois ? C'est ce que font les mariés avant de conclure.
C'est ce qu'ils font avant d'aller danser à l'abri de tous les regards.
Ils sont beaux dans leurs parures de soie et de cachemire. Ils sont beaux dans leur costume humain et bien fait.

Et puis, derrière le rideau
plus rien de tout ça n'existe.

Il n'y a plus de mousseline, il n'y a plus de voile ni de sourire.
Il y a la morsure sur la peau et la prière prise en son étau.
Il y a l'envie de commencer mais surtout d'en finir.

Tu sais, c'est quand il mange que le bipède retombe à quatre pattes.

Te tenir c'est comme serrer un vase. C'est cette courbe échancrée presque féminine.
C'est la porcelaine fêlée sous les manipulations trop brusques et trop précoces.
Veux-tu bien compter avec moi le nombre de morsures que je t'ai infligées ?
Ton coton ignoré, je traverse et m'engouffre, chatouille tes côtes comme autant de touches de piano. Relief palpé puis dessiné, je remonte en couleuvre le long de ta paroi, m'insinue à la naissance de tes mots et berceau de tes ravages inavoués.

Je n'ai cessé de m'abreuver, désir pressé à la chute de tes reins.
Il commence, le feu.
Et bientôt je m'en vais m'imposer aux balbutiements de ton existence.

C'est ainsi que la mariée perdit sa robe, épluchures de pudeur échouées jusqu'au sol.
Hissé au caveau de tes lèvres, j'attends après ton chant et la manifestation de ton brasier.

J'ai senti le tremblement secouer la terre de ta peau fébrile.
J'ai senti l'extase te remplir les veines dans une éruption si infernale et si brève qu'il t'a été impossible de même couiner.
Pendant un instant, peut-être l'histoire d'une seconde ou mille ans, je me suis interrompu.
J'ai été le marbre immobile et inachevé à qui on avait pas donné le dernier coup de burin.
Maintenant, je comprends mieux le sentiment d'être une œuvre d'art jamais terminée.

L'icone a gardé ses bras autour de moi. Se tient à ma nuque dans un balancement d'apothéose régulier.
L'odeur de l'émoi émane, chatouille le bord du nez.
Entre mes doigts se dessinent les contours d'une apogée trop précoce. Je constate la paresse de cette blessure tiède entre trois phalanges.

Les excuses.
Bien sûr.

- Kafka

Je repousse l'aveu de cruor blanc contre l'échancrure de ton torse.

- J'ai fait une bêtise.

Toujours
je regarde.

Est-ce que c'est un de tes gardiens qui est en train de virevolter autour de ces auréoles nacrées ? Se servent-ils même de toi pour se nourrir.
Ta putréfaction plaît à la vermine volante. Un sucre que les rostres viennent pomper jusqu'à plus soif.

- Je t'ai mangé trop vite, Kafka.

Sinon pourquoi un tel carnage sur ta carne.
Pourquoi ma barbarie est toujours aussi douce et silencieuse ?
Pourquoi ces sourires ont la saveur amère du métal corrodé.

- Ce n'est pas fini. Pas encore.

Il reste une chose.

- Tu sais ce que c'est, Kafka ?

Ton menton que je saisis pour harponner ce regard rêveur.
Oui
il reste le héros face auquel on s'agenouille pour le célébrer.

Pendant un instant je contemple l'idée que ton pouvoir ne serait pas celui d'appeler un essaim de mort mais bel et bien de finir tôt ou tard par devenir mort elle-même.
Tes doigts ressemblent bien trop à ceux qu'on prend avant de s'apercevoir qu'au bout du poignet qu'au bout de la manche se trouve en réalité le crâne le plus terrifiant qu'il ait été donné d'exister.
Il y a quelque chose d'affreusement honteux et délicieux dans le fait de savoir qu'une telle icone ait décidé de se cacher derrière la porcelaine et le cristal de traits aussi rigoureusement fragiles.
Même en te tenant le menton avec la délicatesse la plus prononcée il demeure dans la force du pouce dans la tension même qui lie la première et la deuxième phalange l'envie irrésistible et incontournable de presser jusqu'à voir ton flot s'écouler comme tu as déjà fait s'envoler une partie de ta pudeur en la laissant gicler contre le tambour tiède de ta carcasse dégonflée.

- Si tu ne sais pas                                              alors tu ne pourras pas me le donner.

Peut-être pas maintenant.

Mais une autre fois
une autre nuit
je te prendrai la main encore
et cette fois
ton visage aura l'expression d'autre chose que la mort.