amazed

Il a passé la journée à taper nerveusement du pied. Avant de gagner le lieu de la première épreuve, il s'était observé dans la glace, avait fixé les cernes aux coins de ses yeux, les traits tirés qui le rendaient plus vieux. En dépit du lit le plus confortable qu'il n'ai jamais connu et des repas les plus luxueux qu'il n'ai jamais mangé, Luke ne s'était jamais trouvé en aussi mauvaise santé.

C'est rien, c'est jamais rien., rien que la pression, voilà tout. Il s'est convaincu lui-même. Il se battrait à la loyal, il donnerait le meilleur de lui-même. Il gagnerait le respect du père et de ses camarades comme il l'a toujours fait : en prouvant. Et Alfie. A Alfie il arracherait une vérité qu'il a cruellement besoin d'entendre.

-

Il est le second à arriver sur les lieux. Alfie est déjà là. Luke profite qu'il s'obstine à ne pas le regarder pour le jauger. Quand il arrive à sa hauteur, il se détourne de lui sans un regard.

Salut.

Puis il se tourne pour faire face aux juges. Robin, Pablo, Phil. Voilà un vrai soulagement.

Bonsoir.

Le père n'avait pas interféré, il n'avait pas placé des pions susceptibles de l'avantager. Malgré lui, Luke s'en sent touché. Le père voulait donc bien qu'il prouve sa valeur, qu'il montre l'étendue de ses capacités. S'il gagne, il pourra en être fier. Ce sentiment le grise. A défaut de pouvoir s'accrocher à un quelconque casse-tête pour se tempérer, il noue ses mains dans le dos pour pianoter dans le vide, répéter de mémoire les touches d'une comptine pour enfant qu'une maman lui avait appris à la nurserie.

La première épreuve sera donc celles des phobies. Rien de surprenant pour le moment, quand bien même le premium appréhende ce qu'on leur réserve. C'est à Alfie qu'on ordonne de commencer. Luke retient les expressions qui menacent de se lire sur son visage pour rester neutre. La vu de la boite lui soulève le cœur. Son premier réflexe et de jeter un regard nerveux à Alfie. Le second de s'en détourner.

Et ça dure combien de temps ?

Son regard passe du coffre aux juges, des juges au coffre, du coffre à Alfie. Il accepte, rentre dedans. Luke lève le menton, serres doigts entre eux avec un mélange de colère et de satisfaction qu'il peine à comprendre.

Lorsqu'on referme le coffre, Luke ferme les yeux, compte dans sa tête.

Bientôt Alfie va hurler, il le sait.
Peut-être appréhende-t-il ce moment.
Peut-être en a-t-il hâte.

Peut-être les deux, va savoir.

Panic! ne prends rien à la légère. Une heure, une putain d'heure. Quand le coffre se referme sur la voix d'Alfie, Luke réprime un sursaut. Les coups ne tardent pas à se faire entendre, de même que les cris.

Luke lance un regard nerveux à Robin. Il se demande ce qu'elle ressent en cet instant. Le premium l'imagine mal prendre plaisir au spectacle mais peut-être voit-elle la détresse d'Alfie comme un prix nécessaire ? Luke est plus mitigé. Au début, il le confesse, il a aimé. Chaque supplication était marque de faiblesse, chaque insulte un manque de retenue. Dans toutes les failles que laisse entrevoir Alfie, Luke y insémine son ego. Il va craquer pense-t-il. Alfie n'a jamais su encaisser dignement les choses. On saluera son courage d'avoir essayé, mais on ne lui donnera pas le crédit réservé aux vainqueurs. Enfin ça, c'est avant que les bruits ne cessent. Bientôt, la fureur laisse place au silence. Plus de coups, plus de cris, rien. Et soudain, tout devient pesant. Luke pince les lèvres, refuse de s'agiter. Trop mal à l'aise avec l’inquiétude qui commence à le prendre à la gorge. Trop parano à l'idée qu'on jugera peut-être aussi comment lui-même subit la folie des autres. Son regard passe sur chacun des juges, se demandant si l'un d'eux aura l'idée d'aller ouvrir ou vérifié que tout vas bien.

Rien. Toujours rien. Luke se rassure en se disant qu'Alfie a très bien pu s'évanouir. Que ce serait l'option la plus plaisante autant bien pour lui que pour son adversaire. Une heure. Dieu que c'est long. Luke s'empêche de se balancer sur ses pieds. Il commence à devenir impatient. Il ancre ses pieds un peu plus dans le sol, se remet à compter. Il ne s'attendait pas à espérer entendre Alfie crier encore une fois.

Quand on ouvre enfin le coffre, Luke est surpris de voir Alfie réveillé. À le voir aussi blême, il comprend ce qu'il s'est passé. La réaction du sans étoile est plus que légitime, il n'empêche qu'elle l'agace. Luke s'en veut, lui en veut. Lui en veut de pas avoir plus crié, de s'être tu, d'être tout simplement entré. En désespoir de cause, il détourne sèchement le regard quand son ex-meilleur ami croise le sien. Avec ce qu'il l'attend, Luke n'aura bientôt plus le luxe de penser à Alfie.

On rassemble les spectateurs et le reste des juges pour la suite. Luke fait face à l'assemblée. C'est à son tour, lui explique-t-on, d'affronter ses peurs. Luke est inquiet et de façon morbide, un peu curieux. Il n'a jamais eu de phobie claire. Ses peurs sont floues, à cheval entre deux mondes. Luke a peur de décevoir, peur de finir seul, peur de ne pas suffire, peur de ne pas être à la hauteur. Luke à peur de se perdre, du vide de sens, de l'inutile, de l'invisible. Mais Luke oublie que sa plus grande peur est celle qu'il soupçonne le moins : Luke à peur, horriblement peur, de n'être maître de rien. Alors quand on lui présente un bandeau épais et un casque anti-bruit, le premium se tend.

J'ai pas le droit au même speech ?

On ne lui dit rien. Simplement de retirer ses chaussures, son t-shirt et de mettre ce qu'on lui donne sans poser de question. L'épreuve se tient à ailleurs, quelques mètres plus loin. Luke pince les lèvres, retient l'insulte que le stress menace de faire sortir et obéi. Il jette ses vêtements au sol et frisonne lorsque le bandeau lui obscurcit la vue, se tasse un peu plus quand le casque le coupe de tout son. Il sursaute quand deux bras solides l'agrippent et le guide. Sous ses pieds, le sol terreux de la serre laisse place à celui plus feuillu de l'extérieur. Luke comprend qu'on le fait sortir, les feuilles et brindilles craque sous ses pieds nus. Soudain, on le lâche. On le pousse dans le dos.

C'est bon ! C'est bon ! J'ai compris j'avan-

Le mot meurt sur ses lèvres alors que le cri se fige dans sa gorge. Sous ses pieds, rien que du feu. Les charbons ardents jetés en tapis rouge sur lequel il doit avancer. La douleur le transperce, mais elle est bien plus atroce que ce qu'il a connu auparavant. Luke se laisse surprendre et aller à la douleur, le cri jusqu'alors figé s'expulse de sa gorge pour déchirer la nuit. Oh, ce n'est pas la première fois que Luke se fait mal. Il s'est même fait bien pire. La douleur, il la banalise tant et si bien que les autres l'ont banalisé aussi. Luke paye deux décennies de mensonges. Luke paye d'avoir caché que la douleur n'est acceptable que parce qu'il peut l'anticiper. Il sent déjà ses yeux pleurer alors que dans son dos, il sent qu'on le pousse du doigt de nouveau. La consigne est claire.

Avance. Avance sans voir. Avance sans entendre. Endure la douleur sans savoir quand elle prendra fin. Soit vraiment courageux, pour une fois.

Courageux, Luke comprend qu'il ne l'est pas. Luke comprend l’ampleur de son esbroufe, à quel point il a été facile de subir quand Saki endormait ses appréhensions et Alfie écourtait ses souffrances. La douleur était intense, mais toujours brève en plus d'être nécessaire. Dans les bras de son ancien meilleur ami, ce n'était pas si terrible de souffrir. Seulement, Luke est seul aujourd'hui. Sans capacité de voir, sans aucune idée de l'ampleur de la torture à venir. C'est encore plus terrible que la panic room, au moins, avec elle, Luke sait à quoi s'en tenir.

Face à son inaction et ses cris, il sent qu'on le tire sur le côté. Peut-être veut-on le forcer à abandonner. Non ! Non!

CASSEZ-VOUS ! ME TOUCHEZ PAS !

Son torse se soulève alors qu'il ancre ses pieds sur les braises. Il refuse, ne bouge pas. Plutôt crever que d'abandonner, plutôt s'immoler entièrement. Peut-être a-t-il sous-estimé sa peur de l'échec, il n'y a plus qu'elle qui résonne dans sa tête. Luke fait un premier pas en avant, puis un deuxième. Alors que le bandeau sur ses yeux devient plus sombre à force d'être mouillé des larmes qu'il ne sait contrôler. C'est éphémère, c'est sans importance. Luke se répète ce qu'il sait. La douleur lui colle à la peau depuis le tout début. Il plonge en lui-même, se berce des mensonges tout fait avec lesquels il se noie depuis le départ. La douleur disparaîtra. Il ne restera aucune cicatrice de cette foutue mascarade. Mais la victoire, elle, sera éternelle, gravée dans le marbre. Luke se raccroche aux mots du père, se sert de sa peur pour outrepasser les limites de sa raison. Heureusement, le parcours n'est pas long. La torture n'avait pas vocation à s’étaler sur des dizaines de minutes. Quand les pieds de Luke rencontre le sol terreux, on se précipite pour le soutenir et plonger ses pieds dans un bac d'eau tiède. Luke arrache son bandeau, jette son casque, sa poitrine se soulevant au rythme de sa respiration. Les yeux baignés de larmes chaudes et furieuses, il darde son regard sur Pablo puis sur Phil. Étaient-ce eux ? Puis il tourne son regard vers Robin et le soutient. Le premium lève le menton vers la seule sœur qu'il a jamais considéré, le modèle auquel il a toujours aspiré. Sans rien lui dire, il lui parle. Qu'elle raconte, qu'elle transmette à leur père ce qu'il a fait.

La douleur irradie dans ses pieds en dépits de l'eau. Il la sait temporaire, mais, les muscles tendus, peine à l'encaisser. Malgré lui, il finit par chercher Alfie. À une époque, il l'aurait déjà entouré pour l'aider. À le voir là, debout, Luke s'en sent bouleversé. Il le déteste. Il l'exècre. Trop de déception. Trop de non-dits. Pourtant, c'est son manque qu'il tait en détournant finalement le regard.

Luke ose plonger ses mains dans l'eau pour masser ses pieds brûlés. Il sent son pouvoir s'agiter, s'atteler à réparer, régénérer, recréer. Luke essuie ses larmes d'un revers du bras. Il est temps de voter. Et Luke, songe que ce n'est que la première des trois épreuves qu'ils auront à subir.