amazed

Debout.
Ca attend toujours comme ça, en retrait de l’entrée Ouest.

Toujours à l'ouest car c’est par-là que le soleil se couche et c’est là que l’espoir se dessèche quand elle met du temps à rentrer.Ça a dans sa main droite, à la paume moite et abîmée, une bouteille d’eau. Toujours les mêmes dons. Toujours la barre de chocolat que Judas veille à ne pas froisser.

Quatorze heures trente et une. Fang est en retard cette fois-ci. Fang n’est jamais en retard d’habitude, mais depuis quelques semaines, elle l’évite.

C’est discret bien sûr - léger comme la trace de ses pas ; mais sur son visage apathique, ça ne décèle plus les mêmes constellations de vie. Alors devant sa glace, Judas a répété encore et encore : dis Fang ; qui a fait de ton visage une nuit sans étoiles ?

Il s’est trouvé pathétique.

C’est son ombre qui imprime sa rétine, et ça s’approche avec la nonchalance des imprudents. Pouvoir toujours vivant, affamé d’éteindre les incendies chez les vivants, il s’enroule autour des deux compères, absorbant tout ce que Fang peut offrir à ses dents.

Tiens. De l’eau et une barre de chocolat.

Et quand elle les prend, il lui attrape le poignet ; encercle de ses doigts fins. Il rougit sans y penser.

Pourquoi tu m’esquives ? Pourquoi tu me ghoste ?

Moins poétique que devant son miroir, mieux vaut ne pas y penser.

Parler aux murs du labyrinthe aurait été plus simple. Ça relâche son poignet dans un sursaut, laisse tomber son bras dans un pathétique silence. Ça écoute attentivement - ça lit entre les lignes, ça pressent l’angoisse et la colère dans les traits tirés et dans l'atmosphère.

Sa capacité se réveille naturellement, affamée de ces sensations si vives, se jetant sur les émotions de Fang pour en faire leur repas. Etonné des confidences, enhardis par la manière dont elle parle, Judas hausse les épaules et compose un sourire encourageant.

Et qu’est-ce qu’il s’est passé ? Parce qu’il y a une différence entre “j’ai besoin de réfléchir quelques jours” et “je disparais de la circulation de l’enclave en utilisant ma célérité pour ghost le monde.”

Si Judas pouvait l’exprimer, il y aurait une pointe d’accusation dans sa voix. C’est un coup d'œil autour d’eux qui lui permet de réaliser les regards intéressés et les oreilles tendues. Alors ça fait un geste pour l’inviter à le suivre, chassant une mouche au passage. Viens, flemme que les rumeurs continuent de circuler. On doit se trouver un coin plus tranquille.

Ah merde.

Empathie laissée au vestiaire, surprise imprimée contre la grisaille qui lui serrent de regard, Judas change d’appuie pour mieux détourner le regard. Merde, je suis désolé Fang, vraiment.

Devant elle, il se tient comme un idiot les bras ballant. Trahison qui détourne le cœur des véritables pensées et des véritables objectifs, il ne restait qu’à Fang la possibilité de nettoyer son entourage. Une manière de revenir à zéro.

Iel a fait quoi ? A voulu te doubler dans l’exploration du labyrinthe ?

Leurs pas les mènent près d’un banc ou il s'assoit, les bras pendant en attente de la suite des confessions. Son pouvoir s’extirpe de sous sa carnation pour effleurer Fang, l’inviter à se détendre.

Raconte moi.

Il regrette d’avoir demandé - d’avoir insisté. Debout bêtement à la regarder, il rougit jusqu’aux oreilles sans réussir à se redresser ou dire quoi que ce soit. Parce qu’après tout, qu’est-ce qu’il peut conseiller à Fang. Judas ne s’est jamais improvisé maître de guerre.

Pourtant, il a dans le sang une affinité particulière avec la vengeance.

Rapproche toi de ceux qu’il a aidé en te trahissant. Dis leur ce qu’il s’est passé. Expliques leur. S’il t’a trahi, est-ce qu’il ne trahira pas les autres ?

C’est si simplement énoncé, comme une évidence qui ne dissimule aucune conséquence.
Oeil pour oeil, dent pour dent.

Je veux dire, qui aurait confiance envers quelqu’un qui trahit ? Et toi, continue de ton côté. Je sais que maintenant tu es seule mais… Il y a peut-être moyen que tu fasses pencher la balance ?

Assis sagement, les mains sur les cuisses, Judas ne semble pas réaliser l’importance de la quête de Fang. Je suppose que tu avais commencé à cartographier le labyrinthe, pas vrai ?

Contre ses lèvres se dessinent un silence contemplatif ; les bras ballant ainsi dressé dans l’ombre d’un arbre - Judas absorbe sa propre inutilité. Antonyme à l’efficacité, iel n’a pas le mot vif qui découle de ses lippes sucrées ; non iel n’a pas de mot à donner, pas de conseil à offrir.

Iel réalise que le problème de Fang ne le bouscule pas.
Parce que : pourquoi vouloir résoudre le labyrinthe quand le Paradis arrive ?

C’est peut-être le moment de changer d’objectif Fang. Sans réfléchir, ça absorbe l’air ambiant, ça revêt le mirage d’un homme constant et sûr de lui. Tu as quoi, 23 ans ? Il te reste 7 ans. Ce qui est arrivé est un message, un moyen de te faire comprendre que ça ne sera pas toi qui percera le mystère de ce labyrinthe.

L’impulsion qui le fait se relever est trop vive ; ça le propulse si loin de Fang.
A l’image de l’abysse qui se forme subitement entre eux.

Le labyrinthe ne sera pas forcé par tes soins, mais par ceux qui prendront la relève. Transmet son savoir aux plus jeunes, encourage les à suivre ta voix, à relever les défis pour les préparer eux aussi au Paradis.

Ainsi, elle deviendrait immortel dans leurs mémoires.

Ca sera ta manière à toi de l’emporter sur les autres, de conquérir ta place et récupérer ta réussite.