amazed

abattage mérité

ça me contrarie aussi -juste que j'sais pas trop l'expliquer, faut toujours que je blague pour faire croire que c'est pas trop grave, pas trop important, ou juste que j'veux pas en parler et -non, attends, ça c'est vrai, je veux pas en parler, pas maintenant, pas demain, plus tard non plus, jamais ! mais toi tu me vois avec le casque, et derrière la grille d'inox, que reste-t-il de mes bribes d'humanité ? et la bavette cachant tout de ma gorge encore pleine de sang, qu'est-ce qui me différentie d'un robot un peu plus avancé que les autres ? et de mes gestes lents et si lisibles, de l'inflexibilité des tiges qui me servent d'os, qu'est-ce qui démontre encore l'humanité de ces choses-là ?
mais j'ai envie de te dire : et toi ?! toi aussi, puisque la combinaison enveloppe tout, qu'elle cache la peau par crainte de la douleur, et pourtant tu cries quand même quand je te touche, ou plutôt quand tu m'attaques, et qu'est-ce qui te fait mal alors ?
tu vois, ashkat, je crois que c'est pour ça que je préfère la boxe. on tape le visage. on s'effondre. on saigne devant toustes. on ne se cache pas derrière tout un ensemble de tissu.
mais bon, j'aime autant les films de baston moderne que les western et les films de capes et d'épées. alors j'suis là. ouais, ça doit être le pire de mes défauts, ça : j'sens pas quand on me pousse. parfois même, j'fais semblant de pas comprendre quand on me dit de partir. c'est pratique de faire 300 kilogrammes. ça s'voit pas sur la balance quand son cœur devient plus lourd.
je combats comme d'habitude -lente, imprécise, infatigable, irritante, égale à moi-même, à faire des petites blagues même avec le geste ; on entendait trop les cris stridents des touches qui s'annoncent alors on a débranché le compteur de mes points, mais on sait toustes de toutes manières que tu gagnes -tu gagnes sur tous les points, alors pourquoi t'es en colère, askhat ? pourquoi tu rages, askhat ? pourquoi tu veux reprendre, askhat ?
tu sais, t'as tord. elles m'aiment, mes bêtes. et moi, j't'aime aussi. je crois. ça dépend des moments.
j'regarde le cadavre du fleuret. j'entends dans tes mots la colère étouffée, la salive au coin des lèvres, la sueur sur les tempes, l'agacement de ce match qui aurait probablement dû finir depuis longtemps. tu triches, alors ? c'est pas beau ça, askhat. s'tu veux je le redresse, hein. ça prend une seconde. face à toi, il n'y a qu'une bête prête pour l'abattoir, tant que c'est toi qui l'y conduit.

abattage mérité

tu tors le fleuret comme tu tordrais un cou. peut-être as-tu raté ta vocation. je le dis en pleine conscience, sans remord : je crois qu’il faut d’abord savoir tuer sans artifice pour pouvoir le faire ensuite à bout portant. nous dénaturons la mort dans les abattoirs pour la rendre plus facile, mais c’est inutile. elle reste similaire ; elle reste toujours le reflet de quelque chose en-dedans. je ne saurais dire quoi. peut-être de l’humanité. ça expliquerait pourquoi je vois magda comme une non-sainte. j’imagine que ça expliquerait aussi pourquoi je m’affole de la mienne, d'humanité, mais pas de celles de mes vaches, que j’aime de tout mon coeur, mais jamais comme des Humain-es. cela n’a pas de sens ; tout comme toi, j’ai ce besoin de supériorité fabriqué, factice et tremblant, au dépend de certain-es. je ne pense pas que les vaches nous soient inférieures par nature, mais il le faut. il le faut parce que sinon ça veut dire que je pourrais te tuer sans trop même m'en vouloir. l’égoïsme, alors, se démontre comme inter-espèce. je me dis que si les vaches mangeaient des Hommes, elles m’auraient tuée depuis longtemps.
c’est une logique fallacieuse. rien ne dit que les vaches seraient aussi horribles que nous.
ouais mais je propose. haussement d'épaules. c'est la bonté qui fait surface, qui choisit quand elle arrive. je n'ai pas peur de toi. je crois que c'est surtout ça qui t'agace. tu penses que je ne te respecte pas, mais c'est la preuve même du contraire que de te proposer ça : de t'aider. j'imagine que ce n'est pas loin d'une insulte quand cela vient de quelqu'un que l'on déteste.
oui, tu ne vas pas me tuer. tu n'en es pas capable -mentalement, physiquement.
l'inverse est incertain. tu ne le vois pas, mais moi je me suis demandée : si je progressais, si j'y mettais toute ma force, est-ce que je pourrais transpercer ton corps d'un fleuret non-aiguisé ?
je crois que oui. j'ai déjà cassé les jambes de jude. un os est plus solide que des entrailles. j'ai pas envie de gagner. je me fais trop peur pour ça.
j'ai enlevé mon casque. la sueur me colle à la peau, j'ai les joues rouges de l'effort. sous le chasuble, le plastique n’enveloppe pas le vide de mon torse. je suis un jouet déjà défait de son emballage. cela se voit aux marques laissées partout, aux éraflures des fleurets aux pointes aussi revanchardes que les tiennes, aux choses enlevées que je ne peux plus réclamer. tu as fait de ton arme une allumette, tu as embrasé ton fleuret en frottant vite contre ma peau, mais l'acier ne brûle pas. il n’y a aucun feu créé en moi. seulement autour. c'est toi qui te consume.
tu m'dira ça quand t’aura 300kg de plus, askhat. je vois des observateurs sourirent. ils arrêtent dès qu'ils s'en rende compte. c'est les préférés du troupeau. et si j'attaquais plutôt, et que t'essayais de me parer ? c'est impossible. on le sait. le fleuret m'enferme dans ma lenteur de par ses conventions, ses priorités ; je suis trop lente pour éviter les parades et te céder l'action, mais hors de ces règles choisies, jamais tu ne fais dévier mon bras. jamais. dans un vrai combat, je te transpercerai avant que tu ne réalises ma force, avec tout ce que tu m'as appris.
je soupire. laisse tomber ; oui, j'suis sérieuse ok, mais on sait que tu vas gagner. y a pas besoin de vouloir gagner, c'est pas ça l'objectif de toutes façons, c'est de s'améliorer. je remets mon casque. ma main court sur le fleuret. il est droit. quand tu veux. prêt, allez.