amazed

A l'autre bout du terrain, ils se fixent. Quelques secondes suffisent pour échanger plus de mots que ces dernières semaines. Un rendez-vous fixé, à l'abri des regards. Luke le méprise, Alfie, mais il le comprend. Le sent comme dans sa chaire. Une tumeur dont il perçoit encore la présence. Un membre fantôme, en somme.

Il profite d'un moment de répit pour s'éloigner du terrain et gagner les vestiaires. Avant d'en franchir les portes, il s'assure d'un rapide coup d’œil que personne ne le cherche ou ne le suive. Personne. Tant mieux. Cette conversation n'a pas à être surprise.

Il ne voit que le dos d'Alfie. Malgré lui, il en détail les secrets qu'il connaît pourtant par cœur. Ses yeux glissent du t-shirt blanc trempé de sueur aux cheveux collés sur sa nuque. Il détourne sèchement le regard, pris d'amertume.

Cache ta déception.

Luke fourre la main dans sa poche pour n'en rencontrer que le tissu. Ses outils de focus et de contrôle sont dans son casier. Sans s'en rendre compte, il commence à pincer entre son pouce et son index un pli qu'il tire, tourne, triture.

Je pense au contraire qu'il a tenté de m'aider.

Devant Alfie, il ne se sent pas le devoir de faire semblant. Puisqu'à ses yeux il est déjà le monstre, peu lui importe. Au contraire, il en tire même un certain plaisir. Pouvoir être libre de dire les horreurs qu'il pense sans craindre la déception, c'est précieux.

Au final j'ai eu ce que je voulais. explique-t-il aussi détaché que possible. Saki et Danaé vont progresser et ça sert notre objectif. Il vient nonchalamment s'appuyer contre le casier voisin de celui d'Alfie. Sans compter que Danaé n'aura plus à devoir damé le pion à Fang, du coup. C'est franchement pas plus mal.

L'expression d'Alfie l'embrase puis le fige. Il y a de la fureur dans ses yeux et Luke a l'audace de se demander pourquoi. Il n'a ni le réflexe de reculer, ni celui de s'approcher. Simplement là, à se fixer, dans cette tension et ce silence dont ils mesurent à peine le poids.

Tu sais très bien ce que je veux.

Vraiment ? Sa gorge le brûle, il sent dans ses mots une insinuation que lui-même n'est pas bien certain de comprendre et de vouloir assumer. Luke croise les bras contre sa poitrine, relève le menton comme pour se grandir quand le cru de ses mots vient percuter le bord de sa bouche.

Fang n'a jamais été mon amie. Et par amis tu sais ce que j'entends. Tu en faisais partie il n'y a pas si longtemps.

Son expression se fige sous la tension qu'il s'impose pour se contenir. Ses narines qui piquent, son estomac qui se tord, ce feu dans sa gorge quand il sait qu'il vient de le piquer.

Ne me dis pas que tu es furieux pour elle, je ne te crois pas. Aux dernières nouvelles, tu ne la considères pas plus que moi.

Il détourne le regard pour fixer ses pieds et baisser légèrement le menton.

J'avais pas prévu de la blesser, ni de la trahir. Ce que j'ai dit à Danaé, c'est de simplement prendre le lead si elle ne le faisait pas. Si jamais Fang échouait, je ne voulais que ça nous serve. D'une façon ou d'une autre ça a été déformé.

Il hausse les épaules, relève un regard plus incisif et brûlant vers son ancien meilleur ami.

Mais je m'en fou et c'est ça la grande différence entre toi et moi. Je ne perds pas de vu ce qui importe vraiment. Il sent sa nuque picoter, son cœur se soulever. Je sacrifierai la totalité de mes amis si ça peut faire avancer mon objectif. Alors avec mes principes on t'emmerde. On s'attend pas a ce que tu comprennes la notion de collectif.

Un soupir exaspéré franchit ses lèvres. Cette façon qu'il a de réécrire l'histoire l'énerve. Tout foutre en l'air, il n'y avait plus mensonger ! Quand c'était lui qui s'était détourné le premier, avait trahi le premier. Luke serre les poings. Il aimerait se donner un genre, se faire plus mature, plus grand. Peut-être l'aurait-il pu sur d'autres sujets. Mais sur celui-là, sa soif de justice surpasse bien tout le reste.

Que moi j'ai tout foutu en l'air ? Moi ?

Sa respiration se fait plus sifflante alors que son corps se tend. Luke se plante devant Alfie, les sourcils froncés et le cœur proche de déborder.

Va te faire foutre, le seul qui a tout foutu en l'air, c'est toi.

Et en ça il lui en veut. Tout, absolument tout, part de là. Il attrape le menton d'Alfie pour le serrer entre ses doigts. Il refuse de voir le sans-étoile détourner le regard.

Qui a commencé à péter plus haut que son cul quand il a eu ses étoiles hm ? Qui a commencé à se détourner de nous à la première occasion ? Il a suffi qu'on te mette sur un piédestal pour que tu commences à te comporter comme un immonde petit con. Ah, ça, on était visiblement pas assez bien pour avoir un peu de ton temps ou de ton attention. C'était un privilège que sa majesté Alfie Ier des Trou du Cul daigne se rappeler à nous.

A mesure qu'il parle, Luke s'approche, laissant son temps descendre sur les basses notes de l'amertume à mesure que son souffle percute la peau d'Alfie avec plus de colère.

Tu oses me faire la leçon alors que tu es vraiment le plus mal placé pour parler de loyauté et d'amitié.

Il penche un peu la tête, serre un peu plus sa prise. Il considère, avec l'ombre d'un sourire une perspective mesquine.

Ou peut-être que c'est pour ça que tu t'énerves ? T'as jamais été un bon perdant.

Il le lâche et se redresse, le méprit brandit en guise de bouclier, la haine passée en guise d'armure.

Tu dégoûtes. T'es tellement... Petit.

Il fronce les sourcils, Luke, reprend à retardement la conversation laissée en suspens.

Père peut bien mentir. Tout ce que je constate, c'est qu'au final Fang à une bonne raison de se bouger le cul et Danaé toutes ses chances pour avoir dans quelques semaines une étoile en plus. Pas mal pour un connard seulement en place depuis quelques semaines hein ? C'est plus que tout ce que t'as fait pour nous ces dernières années.

Tu t’entends ? T'es même pas capable de tenir le moindre propos cohér-

Son regard s'écarquille. D'Alfie, il a attendu beaucoup de choses, mais la violence n'en avait, jusqu'à peu, jamais fait partie. La claque résonne dans le vestiaire, picote sa joue avec puissance. Luke reste pantois pendant une poignée de secondes. Son regard glisse doucement du sol au visage d'Alfie, ses doigts viennent, incertains palper la chair échauffée de sa joue. Il n'a pas le temps de réaliser qu'Alfie le plaque contre le casier. Son cœur se soulève, il en oublie la gifle, le chaud sur sa peau. Son souffle se bloque dans sa gorge. Il ne sait pas pourquoi il hurle à son tour, pourquoi c'est aussi important qu'il le dise.

JE SUIS PLUS GRAND, PLUS PUR, PLUS MALIN !

Il agrippe le poignet d'Alfie avec une force qui le dépasse. S'il tente de décoller ses épaules du casier, ce n'est pas tant pour regagner sa liberté que pour crier au plus près de sa bouche.

JE SUIS MEILLEUR QUE TOI, A TOUS LES NIVEAUX !

Une meilleure personne, un meilleur blocard, un meilleur ami. Ce troisième cri dans sa tête le meurtri tellement qu'il le pousse à être violent. Ça fait mal. Alfie fait mal.

Je suis bien plus humble aussi. Quand toi... Toi... T'as même pas conscience d'à quel point tu es décevant.

Sa poitrine se soulève, maintenant il n'y a plus que le bruit de leur souffle. Il dévisage l'ancienne figure sacrée avec toute la haine qui lui voue. Des années d'amour, suivit d'une aigreur nourrie, pour finir là, avec tout ce qu'il reste de colère et de chagrin. Mais quand Alfie ouvre la bouche, Luke a la faiblesse de se laisser surprendre.

Qu-Quoi ?

Il laisse échapper un rire nerveux, pris de court. Ce genre de jeu ce n'est plus pour lui. Luke le sait, il voit d'avance le visage déçu de Robin. Ce serait s'abaisser au niveau des animaux, ce serait prendre des risques inutiles. Il y a pourtant trop en jeu, Luke ne peut se permettre de déconner maintenant. Pourtant. Pourtant. Le sérieux dans les yeux d'Alfie, son poing contre son col, leur souffle qui résonnent. Et l'envie grondante, irrépressible, de lui prouver qu'il est meilleur que lui, de lui montrer que le seul imposteur ici ça n'a jamais été lui.

D'accord.

Il articule difficilement, rauque et totalement soumis à ses émotions. Dans son regard, passe une brève seconde la raison. Puis il reprend.

S'il n'y a que ça pour te faire plaisir, c'est d'accord.

Il serre sa main contre son poignet et souffle, empoisonné.

Mais tu vas souffrir, Alfie. Je vais te faire souffrir.