amazed

Le soleil va finir par lui tomber sur le sommet du crâne.
C'est un zénith imperturbable qui longe le ciel puis qui stagne, ses javelots lumineux sont si rayonnants que Max préfère baisser les yeux sur la sacoche qui entoure son bassin, là où des pierres s'amassent et les perles se frictionnent entre elles. Il y a des éraflures parfois même des cassures, mais ce n'est pas grave. Ces coquilles parfois rondes et parfois carrés, brillantes ou mates, entières ou brisées, Max adore les ramasser pour en faire des souvenirs qui feront la Saint glin-glin autour de ses joints.

Les silhouettes font de l'ombre autour d'elle, elles sont vives et assurées et ne s'arrêtent que rarement pour lui dire bonjour. Ça ne dérange pas Max, elle apprécie parfois cette solitude où le monde l'entoure.
Elle apprécie d'apercevoir la foule sans pour autant lui parler, comme ça, elle a le temps de penser correctement sans avoir à réfléchir - et elle n'aura qu'à imaginer mille discussions entre eux au fond de son lit.

Si ses yeux n'ont pas été suffisamment happé par la masse ambulante, ils ont vivement accroché la silhouette plus large que la sienne d'Armel.
Alors dans un élan léger et sans une once de suspicion, Max s'approche, les lippes étirées dans un sourire sincère tandis que le dédale blanc à l'arrière se dévoile. Bonjour Armel. Comment vas-tu aujourd'hui ? Tu n'as pas chaud avec tout ce noir ? J'ai fait des bracelets, tu en veux ?

Max doute d'Armel tout entier. Dans les reliefs mal rasés qui se distinguent hors de sa mâchoire anguleuse comme dans les mouvements las que son corps impose à la terre. Elle ne sait pas pourquoi, mais ça l'inquiète, d'être à côté de lui.

Le tintamarre de ses pensées l'emportent sur celui des bracelets autour des joints qui lui permettent de se déplacer.
Max est à l'aise pour camoufler les perles dégoulinantes sur le rebord de ses tempes et de sa nuque.
Max est à l'aise sans pour autant l'être, ses doigts trifouillent le fond du sac, elle essaie de trouver un bracelet terminé, là où les aspérités ne se voient pas assez. Elle a peur que s'il en voit les égratignures, il finisse par savoir.

Pourquoi ? Il n'y a pas de bon jour pour faire des bijoux, même les mauvais sont biens. Elle en dégote un. Les perles sont asymétriques et nacrées, elles sont bien rondes et forment des montagnes russes. Bien-sûr. Ça me fait plaisir d'offrir.

C'est vrai, Max aime faire plaisir et qu'on le lui rende. Mais elle a l'impression qu'Armel ne le lui a pas bien rendu, d'une manière ou d'une autre.
Elle a des souvenirs confus, une scission fragmentée dans des fresques brodées à l'aiguille rouillée.
Sa réponse la gêne, elle qui d'ordinaire aime qu'on complimente ses ébauches, même ratées. Le pourpre lui montre aux joues - certainement plus par véritable malaise que timidité. Et puis toute sa silhouette s'avance au dessus d'elle, prise au piège, elle est prise au piège. Sa langue glisse derrière ses dents et Max soulève le menton pour le regarder. Donne ton poignet.
Elle ne patiente pas, Max. Elle attrape la main d'Armel dans son entièreté, resserre ses phalanges afin de faire passer le fil de pêche jusque sa poigne plus large que la sienne. Elle reste quelques secondes là, à palper sa main dans ses doigts puis relâche l'étreinte. C'est pas vraiment une question de talent je crois. Mais plutôt un sens de l'esthétique. Si tu mets des ronds avec des carrés puis des triangles avec des couleurs qui n'ont rien avoir, ce sera vilain, même si t'es doué !

La coureuse dépose les poings sur ses hanches tout en gardant le même sourire solaire scotché sur le visage. Max manie l'art de camoufler ses émotions, surtout la colère. Je peux t'apprendre si tu veux. Ce serait un bon moyen de thérapie peut-être pour tes patients. Elle le lance sur le sujet, distraitement, elle veut qu'il parle, qu'il finisse par se confesser.

Dans une aisance propre à lui, le psychiatre n'a ni contesté l'étique de ses doigts contre sa chair ni cette intimité percée. Armel soulève le coude et fait tinter le son des carillons. Ce n'est pas très grave, je crois. Il suffit juste que ça te plaise et c'est assez.
Max sait le goût de la plupart des blocards, elle a appris en observant les manies et les envies, les plats servis en double ration au réfectoire jusqu'au parfum qui sertit les gorges.  

Je sais pas trop, un instinct je dirais ? Par exemple le rose fluo et le bleu marine, ça doit vraiment être affreux ensemble. Ce n'est pas écrit dans les livres, ça s'apprend entre les répétitions des comptines à la nurserie, lorsque les mamans pressent les paumes contre la nuque, contre sa nuque, avec cette main qu'elle imagine souvent, à la tombée de la nuit.
Sa réponse fait sourire Max sans révéler un soupçon de rire. Elle voudrait pourtant, taquiner et murmurer des secrets. Mais Armel fait frissonner son épiderme entière, à des endroits même insoupçonnés et ce, d'une façon qui lui tord les boyaux sans même en avoir des papillons. Si tu es trop nulle j'irai me plaindre aux parents, sache-le.

De sa besace, la blonde extirpe le rouleau de nylon ainsi qu'un petit ciseau à bout rond qu'elle a chapardé il y a bien longtemps. Au social club, j'achète directement là-bas pour avoir des trucs un peu différents, genre des fausses pierres précieuses ou des papillons. Sinon si tu cherches bien, y a toujours des perles par terre. Les gens se rendent pas compte des trésors que tu peux trouver.
Qu'est-ce qu'elle connaît, d'Armel, finalement ? Max se le demande, elle qui se souvient habituellement d'un rien, là, elle commence à sincèrement sécher.
Pourquoi elle a vu Armel, déjà ? Je sais pas vraiment si c'est la vraie méthode pour faire des bracelets mais je fais comme ça. Alors tu fais un nœud ici, comme ça quand tu glisses les perlouses, elles tombent pas !

La coureuse soulève le fil fièrement et fait tinter les quelques perles enfilées. Et à partir de là c'est un peu comme tu veux. Avec ce fil là, ce qu'il y a de bien c'est que t'as pas besoin d'un fermoir, c'est assez élastique pour glisser à ton poignet.
Son regard ne se porte plus à lui, sa nuque est baissée et ses doigts plongent méticuleusement au fond du sac qu'elle a déposé au milieu d'eux.
Un léger silence s'installe, la curiosité brûle sa peau. C'est drôle Armel. Enfin, peut-être que juste je me fais des films mais.. Et finalement elle se rapproche un peu, fait attention à ce qu'autour d'elle, les témoins soient muets. Pourquoi je suis venue te voir ? J'arrive pas à comprendre, j'ai l'impression qu'il manque un bout dans cette histoire. Tu penses que c'est le manque de sommeil ? J'ai à peine dormi en trois jours. Ça n'a pas de sens, elle qui doit fuir les parents à l'exception de Pierrot.

Si son rythme de course n'a pas chuté, les fragments au fond de sa tête vacillent et elle se demande ce qui cloche. Enfin c'est peut-être rien. Peut-être que je devrais utiliser mon pouvoir pour me faire dormir deux jours entiers. Son rire est aspirée, car elle n'oserait pas, être encore dans le flou.

Il ne s'agit plus de malchance désormais, c'est une mascarade toute entière qui veut faire tomber Max au fond du puit, à se noyer entre les algues et les bactéries.
Max s'imagine l'espace d'un instant, le temps que ses cils brassent l'air et papillonnent sous le luminaire du soleil.
Max s'imagine l'espace d'un instant toute une enclave, prête à dénoncer les faux-pas, les mauxots de travers et les os enchevêtrés qu'elle vient percer lorsque le crépuscule retire son manteau d'orange
Ses éclanches font un mouvement bref, presque las. Elle n'a aucune réponse bien précise à accorder à Armel. Ce sont des ripostes qui n'auront pas de sens à ses yeux, qui ne voudront rien dire.
Armel ne peut pas comprendre l'acheminement de ses pensées.
C'est tout un sentier à découvrir, où des murs bariolés s'élèvent trop hauts pour être contournés, alors il faut marcher et en révéler tous les secrets.

Bon, d'accord. Si tu ne me dénonces pas Armel, j'en ferai de même. Regarde. La délicatesse de ses phalanges effleurent la pulpe de ses lèvres, mime une fermeture éclaire et une clé qui se jette plus loin, aux pieds des passants. Tout le temps.  Surtout au social club. Ceux qui en ont trop ne font jamais attention aux choses qu'ils perdent. C'est facile pour eux, d'en avoir à nouveau.
Ce n'est pas du vol puisqu'ils ne s'en rendent jamais compte. Et si c'est le cas, alors ils ne font que rouler des yeux, s'imaginent déjà avoir le poids de l'argent sur les lobes et la pression des colliers de perles autour de la gorge. Mais ce n'est jamais perdu, ces petites babioles ne seront pas oubliées. Max s'en assure toujours. Oui sers-toi. À l'aide de son poignet elle rapproche la besace d'Armel afin qu'il puisse se servir comme il le désire.

Max se met à pouffer lorsqu'elle l'entend parler de cette activité comme de quelque chose de compliqué. S'il n'avait aucun soucis de coordination, alors c'était aisé.
Mais son rire finit par mourir, tout au fond de son estomac. Les perles entre ses doigts roulent, les moulures caressent sa chair et ses dents s'enfoncent dans ses babines.
Max n'aime guère mentir mais Max sait être une hypocrite hors-pair. Pollux n'avait certainement pas tord sur tous les points.

Cette affinité lui semblait étrange, avec Armel. Pierrot, c 'était une chose, les autres parents, elle n'avait jamais su s'y faire. Alors elle a longtemps fait semblant d'être apprivoisée.
Mais de son plein gré, elle sait qu'Armel n'aurait jamais été celui vers qui elle serait allée. Elle préfère elle-même appuyer sur la gâchette.
La blonde le laisse tergiverser, Max ne plonge pas tout de suite, ses rides froissent sur toute sa face. La glabelle est proéminante, les lions se tordent avec son sourire qui se renverse. Alors elle doute, Max. Et si il venait à retourner tout ça contre elle ?
Elle ne peut pas s'imaginer perdre son poste. Après ça, elle n'aurait plus rien à perdre.
Je comprends pas pourquoi je serais venue te voir, Armel. Sa voix se baisse et Max approche, peut-être trop proche. L'humidité des souffles dansent et ses paupières s'affaissent dans une méfiance qu'il ne lui a jamais été reconnu. Je parle rarement aux parents et aux adultes mais toi, de tous, je serais venue te voir ?

Le tact manque, la douceur s'est faufilée hors de ses pores. Max ne s'en veut pas d'être affreuse avec eux, ce n'est qu'une justice méritée.
Alors elle souffle, elle souffle si fort lorsque sa nuque tombe et elle recule, accroche ses jambes contre sa poitrine avant d'y entourer ses bras. Peut-être que c'est juste le labyrinthe oui. Peut-être que je devrais utiliser mon pouvoir pour m'aider.

Ce n'est pas s'aider.
Mais il faut faire semblant, pour les faux-semblants, pour éviter l'injustice.  

Armel glisse les perles une par une à travers le fil, son regard fourmille entre l'action de ses doigts et ses prunelles qui ne la regarde pas.
C'est une colère vaine qui mordille sa chair et fait frissonner l'épiderme. Max devrait elle être en colère, de s'être rapprochée pour qu'aucun regard ne s'accroche à elle ?
Armel n'est pas un parent mais agit tout comme. Son besoin de trouver réponse à tout, cette constance à se croire supérieur. Est-ce bien réel ou son imagination s'amuse t-elle à lui rappeler que tout ceux ayant accéder au Paradis sont des traitres ?

Crois moi, je te considère comme un Parent à part entière. Et puis, qu'est-ce qu'on a en commun, toi et moi ? Max a la voix qui grésille, elle s'étire en arqué et les perles retrouvent leurs adelphes. Elle ne veut plus tresser ni perler.
La situation l'affecte plus qu'elle ne l'aurait cru et la fatigue n'est pas une excuse. Déjà à la nurserie j'avais une préférence pour mes frères et sœurs. Les adultes, non. Je sais pas Armel, mais y a un truc qui cloche et oui, ça me dérange. Pourquoi toi et pas Hadrien ? Pourquoi toi et pas Judith ?
Max a l'impression de perdre pied, la nausée lui donne la sensation de tomber un peu plus.

Ses jambes finissent par retomber sur le sol et elle réfléchit. L'ongle craque sous la dent et son regard s'arrête sur sa stature plus robuste. C'est pas une question d'âge, Armel. C'est une question de position. De pouvoir.
Sa voix s'irrite. Son pouls se scinde et sa respiration martèle. Je ne viendrai jamais parler de mes soucis à un adulte ou à qui que ce soit. Mais toi si ? Toi ? Ne le prends pas contre toi Armel, mais je n'ai même pas parler de ce qui me tracasse à Argo.
De la torture, de ses doigts qui glissent entre les os en houle.
De la douleur, de cette cage d'ivoire qui se froisse.